Page images
PDF
EPUB

partie des forêts du royaume, et la rareté des bois de marine doit fixer principalement votre attention sur cette nature de biens; cependant on coupe à présent en Berry des bois qui ont à peine douze ou quinze ans, tandis que l'aménagement ordinaire est de vingt-deux ans. Les ordonnances des eaux et forêts ont ordonné ces quarts de réserve qui n'ont presque jamais été faits.

Je demande qu'il soit décrété provisoirement qu'aucuns bois, même taillis, ne seront coupés jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné.

M. Barnave. Ces diverses observations ne doivent rien changer aux articles proposés par M. Treilhard Nous avons mis les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation; il faut les conserver à la nation, ou bien nous n'aurions fait qu'un arrêté illusoire, nous n'aurions établi qu'une maxime sans conséquence. Des lettres et des délibérations des communautés mises sur le bureau prouvent combien nos précautions sont nécessaires et tardives.

La motion de M. Treilhard concilie tout et ne fait tort à personne. Je demande qu'on aille aux voix sur-le-champ.

M. l'abbé de Montesquiou. Est-il juste, est-il utile de mettre le scellé sur les titres des bénéfices?

Est-il juste? Il est donc, en fait de propriétés ecclésiastiques, des titres qui, nécessaires à la propriété, ne le sont pas à la jouissance. M. Treilhard propose d'excepter du scellé les baux, les cueilleraies, etc., etc. Tous nos procès, soit sur la propriété, soit sur la jouissance, exigent une représentation de titres, sinon primordiaux, du moins très-anciens: il faut donc apposer partout le scellé sur tous les titres, ou sur aucun. Ce qu'il y aurait de plus raisonnable serait de faire un inventaire sans frais, et de laisser la jouissance des titres.

Est-il utile? Le seul mot de scellé emporte avec lui quelque chose d'humiliant, et nous ne pouvons changer les préjugés. Je demande si, quand vous ferez une descente dans un monastère de religieuses, vous n'y porterez pas l'effroi, en leur inspirant la crainte de leur destruction? Je demande si, lorsque vous apposerez le scellé dans une maison de religieux, cet acte ne leur paraîtra pas une véritable interdiction, et ne serà pas la cause de la dilapidation que vous voulez éviter? Persuadés de leur suppression, et voyant que vous n'avez encore rien fait pour eux, ils s'occuperont à assurer leur sort. Pourquoi, pendant un grand nombre de séances, s'est-on sans cesse occupé à détruire sans songer à remplacer? C'est un heureux don que de voir partout de l'or, comme les alchimistes; mais faut-il, comme eux, le chercher dans les cendres? Imitons la marche de la nature, qui ne détruit que pour créer.

M. le marquis Lezay de Marnesia. On a oublié de s'occuper des chapelains qui tiennent leurs bénéfices de la piété, de la reconnaissance ou de l'estime; permettez que j'appelle votre attention sur eux et sur les droits des patrons laïcs. Nos pères ont consacré à la fondation de ces bénéfices une partie de leur fortune, pour préparer à leurs héritiers le plaisir de secourir un malheureux, ou de faire accepter un bienfait à l'homme délicat et infortuné. Je laisse aux jurisconsultes à discuter les droits des patrons,

et je me borne à demander que cet objet soit mis en délibération.

M. Cochon de Lapparent. J'approuve les principes de l'article proposé par M. Treilhard, inais je pense qu'il est inutile et dangereux de s'en occuper dans ce moment. On pourrait tirer du décret que vous rendriez à cet égard des inductions sur la question de savoir si l'on touchera à la jouissance des titulaires actuels. Je demande en conséquence l'ajournement, ou que, si l'article est admis, il y soit ajouté par amendement, que c'est sans rien préjuger sur la conservation ou réduction du revenu des titulaires.

M. le marquis de Lacoste propose à l'Assemblée un plan général de travail sur la disposition des biens du clergé.

On le rappelle à l'ordre du jour ci-devant établi.

M. le comte de Mirabeau. Il me paraît que la question étant provisoire de sa nature, une décision provisoire n'est point une chose pressée, et que vous pourriez attendre les plans et les observations générales qui vous sont proposés. J'ai une suite de questions à vous présenter sur le décret du 2 de ce mois, et il me semble impossible de délibérer sur des vues particulières avant d'avoir arrêté un plan général.

M. Treilhard. Je reconnais l'avantage de la proposition qui vous est faite; mais je pense que, même en y adhérant, il est indispensable de statuer sans délai sur le troisième article que j'ai à vous proposer. Il a pour objet le scellé à mettre sur les chartriers de tous les bénéfices, excepté des curés. Cette mesure est purement conservatoire, et, sans contredit, avant de s'occuper de la disposition d'un bien, il faut assurer sa conservation.

M. de Bonnal, évêque de Clermont. Je prends la parole pour servir la justice de l'Assemblée et soulager mon âme d'un poids que le devoir m'impose.

L'exception des curés pour le scellé proposé pourrait donner au peuple des idées défavorables aux évêques, et nuire au respect que l'intérêt de la religion exige qu'ils inspirent. Le peuple n'a vu mettre le scellé que sur les effets des morts, des banqueroutiers et des personnes suspectes...

Ce scellé est absolument inutile. Ou vous nous laisserez l'administration de nos biens, ou vous nous l'ôterez. Si vous nous la laissez, l'intérêt réel des titulaires vous assurera la conservation des titres. Si vous nous l'ôtez, notre destinée et celle de nos successeurs étant attachée à la situation pécuniaire de la France, notre intérêt nous prescrira encore de conserver avec soin toutes nos propriétés. Mais l'intéret seul doit-il être votre garant, et ne pouvez-vous compter sur notre foi et sur notre honneur?

Je propose, en amendement, que le scellé ne soit mis que sur les établissements qui, d'après les circonstances et les intentions de l'Assemblée, seront dévoués à la suppression.

Je demande que l'Assemblée, sévère sur les choses, jette des regards favorables sur les individus, et que la question présente soit ajournée jusqu'à ce que le comité ecclésiastique ait présenté les moyens de rassurer les religieux sur le sort qui leur est réservé.

M. Dupont. Vous avez entendu qu'il serait

pourvu au sort des individus dont la position sera changée. Vous avez voulu que la nation eût la propriété des biens ecclésiastiques, vous ne pouvez administrer ces biens et en disposer qu'en les connaissant; et vous ne pouvez les connaitre que par les titres. Votre premier soin surtout doit être de conserver ces biens.

Des supérieurs très-recommandables de plusieurs maisons religieuses m'ont écrit et m'ont dit que, malgré leur respect pour les décrets de l'Assemblée nationale, ils craignaient de ne pouvoir empêcher leurs religieux de dilapider des effets précieux.

M. de Montesquiou demande que le sort des ecclésiastiques réguliers soit assuré. Je propose un décret qui remplira ses vues, celles de M. l'évêque d'Autun, celles de M. Treilhard et les vôtres.

Il consiste à supprimer tous les ordres religieux en France, excepté celui de Malte, sur lequel l'Assemblée se réservera de statuer. Chaque individu pourra choisir s'il veut suivre sa règle, ou être sécularisé. Dans le premier cas, des maisons seront réservées; dans le second, s'ils veulent vivre en commun ils s'adresseront au Roi et à l'Assemblée nationale pour connaître le lieu où il pourront se réunir.

Il me paraît indispensable de statuer sur ces objets avant d'ordonner l'apposition des scellés.

M. le comte de Mirabeau. L'un des préopinants a surtout été effrayé de l'aspect d'humiliation et de l'idée de séquestre et d'interdiction que l'apposition des scellés peut entraîner. Cette objection n'est sans doute pas sérieuse; il a dit que la nature ne détruit que pour créer; il aurait dû dire que la nature détruit aussi pour conserver. Les scellés sont incontestablement conservatoires, et ce préopinant, à raison de ses talents, nous a le mieux fait sentir la nécessité de cette précaution.

Il faut auxiliariser à la chose publique les intérêts bien entendus des ecclésiastiques. Tel est l'esprit des mesures que j'ai à proposer; mais la conservation des biens que la nation a mis à sa disposition doit précéder ces mesures, et j'opine pour le scellé.

M. Cortois de Balore, évêque de Nimes. Je ferai remarquer qu'en tout état de cause, les scellés ne peuvent être apposés que sur les bibliothèques des corps et non sur celles des particuliers.

M. Regnaud de Saint-Jean-d'Angely. Comme l'on pourrait craindre des arrangements frauduleux à raison de certaines possessions litigieuses du clergé, je propose d'interdire aux titulaires des bénéfices et administrateurs actuels des biens ecclésiastiques, de consentir aucun arrêt d'expédients ou de transactions, sous aucun prétexte que ce soit, jusqu'à ce que l'Assemblée ait statué sur la disposition de ces biens. Je propose également de défendre aux notaires de passer des transactions et aux tribunaux de prononcer de pareils arrêts d'expédient.

M. Bouchotte. Un inventaire sommaire des titres serait suffisant sans recourir aux scellés.

M. de Coulmiers, abbé d'Abbecourt. Il est des égards auxquels les ministres d'une religion sainte ont droit de prétendre; ce qui tend

à les avilir, tend à détruire le respect des peuples. Pourquoi recourir à des moyens flétrissants, les déclarations ne seraient-elles pas suffisantes? Je propose que les titulaires des bénéfices et chefs des communautés ecclésiastiques soient tenus de faire leur déclaration des effets, titres et papiers dont ils seront personnellement resresponsables envers la nation.

M. le Chapelier. Je ne cherche point à appuver la motion de M. Treilhard; elle me paraît n'en avoir pas besoin, d'après la manière dont elle a été attaquée et défendue.

Je me borne à exposer, d'après un fait, qu'il est aussi utile au clergé qu'à la nation que la proposition du scellé soit adoptéé. On a prétendu à Nantes que des ecclésiastiques dissipaient leur mobilier, et sur-le-champ on a voulu mettre le scellé partout, ce qui aurait alors été réellement désagréable pour le clergé; mais, dans l'espoir d'un décret prochain de l'Assemblé nationale, on a différé cette opération. Il est aisé de prévoir, dans de telles circonstances, ce qui résulterait d'un ajournement.

Le scellé qui serait ordonné par nous ne causerait pas le plus léger préjudice aux titulaires. Dans les cas très-rares de procès, la levée de ce scellé pourrait être faite avec très-peu de frais pour leur remettre les pièces dont ils auraient besoin.

M. Gossin. Je demande que les chapitres possesseurs des cures soient exceptés de la formalité des scellés et inventaires.

M. Démeunier. La motion de M. Treilhard est d'une nécessité pressante; mais je crois que nulle autre motion de détail ne doit être désormais discutée avant que le comité ecclésiastique ait présenté un plan général. Je crois aussi qu'il est nécessaire de prévenir les alarmes que l'apposition du scellé pourrait donner aux religieux.

Je propose, dans cette vue, que l'Assemblée nationale décrète que, si elle supprime les monastères, elle laissera subsister un assez grand nombre de maisons des deux sexes, pour que les religieux et religieuses qui sont attachés à la vie monastique puissent y vivre continuellement. On propose plusieurs autres amendements de détails.

M. Hutteau réclame la priorité pour la motion de M. l'abbé d'Abbecourt sur celle de M. Treilhard.

Cette demande donne lieu à beaucoup de débats.

M. l'abbé Maury. Quel est l'objet que nous nous proposons? Nous voulons garantir à la nation la disposition des bien écclésiastiques, et en assurer la conservation. Deux moyens sont indiqués: M. Treilhard propose le scellé, M. d'Abbecourt les déclarations des titulaires. Si vous voulez éloigner les diverses dispositions et simplifier les délibérations, vous pouvez poser ainsi la question: Adoptera-t-on les déclarations des titulaires, ou procédera-t-on par le scellé?

La question ainsi posée, on délibère.

La première épreuve est douteuse; la seconde donne la majorité à la motion de M. l'abbé d'Abbecourt.

M. Target. Quelques membres ont proposé une exception en faveur des curés, lorsqu'il était question de l'apposition des scellés; cette propo

sition ne convient plus pour les déclarations. Il ne peut y avoir d'exception quand il ne s'agit que de dire la vérité.

M. Defermond. La même raison doit déterminer à comprendre dans le décret les ordres de Saint-Michel, de Malte, de Saint-Lazare, etc.

M. le comte Des Roys, député du Limousin, propose cette motion:

Que tous les titulaires et supérieurs des élablissements ecclésiastiques, sans exception, seront tenus de faire des déclarations, etc., et que tous ceux qui auront fait des déclarations frauduleuses seront déchus de tous droits à leur bénéfice, ainsi qu'à toutes pensions ecclésiastiques.

M. le marquis de Toulongeon présente cet amendement que les déclarations soient faites par-devant les juges des lieux, et sous procèsverbaux d'inventaire, dont copie sera envoyée à l'Assemblée nationale.

M. l'abbé de Montesquiou. Vous ne pouvez pas vouloir nous soumettre à des peines avant d'avoir fixé exactement la forme des déclarations. Beaucoup d'abbés commandataires ne sont jamais allés dans leurs abbayes; voulez-vous les dépouiller pour des erreurs involontaires ? Vous ne devez punir que la mauvaise foi. Indiquez-nous donc les moyens qu'il faut prendre pour faire des déclarations complètes.

M. Treilhard. Ce que vient de dire le préopinant nous prouve peut-être la sagesse de la mesure que vous venez de rejeter. Depuis trois cents ans, on a fait une multitude de déclarations, et pas une peut-être ne s'est trouvée exacte J'appuie d'autant plus volontiers la proposition de M. Des Roys, qu'il sera infiniment aisé de se conformer au vieu de l'Assemblée. Je m'étonne qu'on ait cherché à excuser d'avance l'inexactitude et l'infidélité des déclarations.

M. Hébrard. Beaucoup d'ecclésiastiques ont fait au fisc des déclarations inexactes; il serait à propos d'insérer dans le decret une clause qui les mit à l'abri des poursuites des traitants.

MM. de la Galissonnière et Milscent proposent d'ordonner que les déclarations seront affichées aux portes des églises et des paroisses.

M. de Cazalès observe que beaucoup de membres ont quitté la séance dans la persuasion qu'elle était levée. Il demande l'ajournement à demain.

Cet ajournement est rejeté.

On délibère sur la proposition de l'affiche; elle est adoptée, ainsi que divers amendements, Le décret est conçu en ces termes :

[ocr errors]

« L'Assemblée nationale a décrété ce qui suit: Que tous titulaires de bénéfices, de quelque nature qu'ils soient, et supérieurs de maisons et établissements ecclésiastiques, sans aucune exception seront tenus de faire sur papier libre et sans frais, dans deux mois pour tout délai, à compter de la publication du présent décret, par devant les juges royaux ou officiers municipaux, une déclaration détaillée de tous les biens mobiliers et immobiliers dépendants des dits bénéfices, maisons et établissements, ainsi que de leurs revenus, et de fournir dans le même délai un état détaillé des charges dont lesdits biens peuvent être grevés;

lesquels déclarations et états seront par eux affirmés veritables devant lesdits juges ou officiers, et seront publiés et affichés à la porte principale de chaque paroisse où les biens sont situés, et envoyés à l'Assemblée nationale par lesdits juges et officiers. Décrète pareillement que les titulaires et supérieurs d'établissements ecclésiastiques seront tenus d'affirmer qu'ils n'ont aucune connaissance qu'il ait été fait directement ou indirectement quelque soustraction des titres, papiers et mobilier desdits bénéfices et établissements, comme aussi que ceux qui auraient fait des déclarations frauduleuses seront poursuivis devant les tribunaux, et déclarés déchus de tout droit à tous bénéfices et pensions ecclésiastiques; pourra néanmoins le susdit délai de deux mois, être prorogé, s'il y a lieu, pour les ecclésiastiques membres de l'Assemblée seulement, et sur leur réquisition, sans que des déclarations qui seront faites, il puisse résulter aucune action de la part des agents du fisc. »

M. le Président a levé la séance, et l'a indiquée pour demain neuf heures et demie du matin.

ANNEXES

A la séance du 13 novembre 1789.

1re ANNEXE.

Observations et motions de M. le comte de Clermont-d'Esclaibes, député de Chaumont-enBassigny, relatives au port d'armes. (Distribuées le 13 novembre 1789.)

Député du bailliage de Chaumont-en-Bassigny, j'ai l'honneur d'observer à l'Assemblée nationale:

1° Que cette partie de la Champagne est couverte de forêts qui servent d'aliment à quantité de forges, fourneaux, clouteries et autres usines à feu ;

2° Que les nombreux ouvriers occupés à l'exploitation des bois et à la fabrication des fers, sont, les uns venus de provinces éloignées, la plupart sans domicile fixe, et presque tous sans aucune propriété foncière;

3o Que d'une part on les voit, depuis la suppression du droit de chasse, empressés à se pourvoir d'armes à feu, et de l'autre, à la veille de tomber dans le désœuvrement, puisque Paris a fermé le principal débouché où se portaient les produits de leur industrie;

4° Que les réflexions à faire sur le danger de laisser armés une multitude de bras oisifs et qui portent tout avec eux sont applicables, sans doute, à plusieurs autres parties du royaume;

5° Qu'enfin le prétendu droit de tout homme libre à porter des armes, disparaît devant celui de la société, qui pour sa propre conservation, peut exiger une garantie de ceux à qui elle confie cette force artificielle.

En conséquence, je propose à l'Assemblée de décréter qu'aucun habitant des campagnes ne pourra porter ou garder chez lui une arme à feu, s'il n'est propriétaire ou fermier d'une étendue de sol suffisante à l'occupation d'une charrue.

Nota. Il y a plus de six semaines que cette motion a été mise sur le bureau M. le président m'a observé qu'elle n'était point dans l'ordre du jour, et je n'ai pas cru devoir insister.

[ocr errors]

De nouveaux avis, de pressantes, d'itératives sollicitations me persuadent que mes commettants croient nécessaires et très-urgent de la renouveler.

Pressé entre ma soumission à leurs volontés et la crainte d'importuner l'Assemblée, j'ai pris le parti de mettre chacun de ses membres à même de juger si ma demande mérite attention ou ajournement.

2o ANNEXE.

Rapport fait au comité des domaines, le 13 novembre 1789, sur les domaines de la Couronne par M. Enjubault de Laroche, l'un des membres du comité (1). (Imprimé par ordre de l'Assemblée nationale.)

Messieurs, le temps qui répand les lumières, perfectionne aussi les lois celles qui régissent les domaines de la Couronne ont subi des révolutions fréquentes, qui jettent sur cette matière une assez grande obscurité. Pour bien connaître cette branche essentielle de notre législation, il faut en rechercher l'origine, en étudier les variations en suivre les progrès. C'est la tâche que vous m'avez imposée. Les détails où je vais entrer sont arides et rebutants. Je compte sur votre attention, parce que la matière est importante; et j'implore votre indulgence, parce que je connais la faiblesse de mes moyens.

Les rois de France ont eu, dès l'établissement de la monarchie, des domaines considérables. Les Francs, conquérants des Gaules, s'emparèrent d'une portion du territoire des peuples vaincus. Toute l'armée victorieuse prit individuellement une part plus ou moins grande à cet intéressant partage; et l'on juge bien que celle du chef de la nation fut relative à la dignité et aux charges qu'il avait à soutenir (2); aussi le produit des domaines royaux, joint à quelques perceptions accessoires, a-t-il longtemps suffi aux dépenses ordinaires de la souveraineté.

Ces précieux domaines qui formaient toute la richesse de l'Etat, n'étaient cependant pas considérés alors comme inaliénables. Les rois mérovingiens, entourés de guerriers exigeants et farouches, de prélats ambitieux (3), de courtisans avides, détachaient chaque jour des portions considérables de leurs domaines, qu'ils conféraient à titre de bénéfice. Ces dons multipliés furent

(1) Le Moniteur n'a pas inséré le rapport de M. Enjubault de Laroche.

(2) Rien ne nous instruit, dit l'abbé Mably, de la manière dont ils acquirent des terres... Le silence de nos lois et de Grégoire de Tours permet de conjecturer qu'ils se répandirent sans ordre dans les provinces.... et qu'ils s'emparèrent sans règle d'une partie des possessions des Gaulois.... chacun.... suivant son avarice, ses forces ou le crédit qu'il avait dans la nation.

(3) Les rois mérovingiens ne levaient d'abord aucun impôt; la guerre se défrayait elle-même, et les rois de la seconde race, les premiers mème de la troisième, n'établissaient des subsides, avec le consentement de la nation, que lorsque quelque grande expédition militaire ou quelque événement imprévu les forçait à des dépenses extraordinaires. Le prince eut pour subsister, dit l'auteur déjà cité, ses domaines, les dons libres de ses sujets, les amendes, les confiscations et les autres droits que la loi lui attribuait :

Aiebat (Chilpericus) plerumque ecce pauper remansit fiscus noster: divitiæ nostræ ad ecclesias sunt translate: nulli penitùs nisi soli episcopi regnans, etc. GREG. TUR.

d'abord amovibles à la volonté du donateur : ils furent ensuite conférés à vie, et la commune opinion est que le traité d'Andelaw ou d'Andely entre Childebert et Gontrau les rendit héréditaires. Celui de Paris consomma bientôt après cette grande révolution.

La prodigalité des rois eut bientôt épuisé leurs possessions territoriales, et les Francs loin de contester au monarque le droit de les aliéner, cherchèrent à faire imprimer le sceau de la loi (1) à ces dissipations ruineuses. Le traité dont on vient de parler fut l'ouvrage des grands du royaume. Ils allèrent jusqu'à forcer les deux rois français à rétablir dans leurs bénéfices ceux qui en avaient été dépouillés (2).

Ces rois privés de leurs domaines perdirent leur puissance avec leurs richesses. Les maires du palais profitèrent de cet affaiblissement et ne leur laissèrent que le vain titre de roi. Le trône même fut vacant pendant un assez long intervalle, sous le gouvernement de Charles-Martel (3) et son fils Pépin dicta bientôt après à l'évêque de Rome (4) cette fameuse réponse par laquelle ce pontife disposa du trône, en déclarant qu'il convenait que le titre et la puissance fussent réunis sur la même tête.

Charlemagne dont le caractère moral porte toujours l'empreinte de la véritable grandeur, gouverna ses domaines avec une attention digne du citoyen le plus économe. On trouve, dans un de ses capitulaires, un compte exact de son administration domestique. Les détails où il daignait descendre et qu'il partageait avec l'impératrice, paraîtraient aujourd'hui minutieux et presque vils.

(1) Le traité d'Andely passé entre les rois français avec le concours des grands de la nation, et réglant les propriétés particulières, doit sous ce rapport être considéré comme une loi civile.

(2) Les maximes du droit public étaient alors absolument méconnues : le royaume se partageait comme une grande terre; le monarque en détachait des portions, comme on a demembré depuis un simple fief.

Les bénéfices, dit l'abbé Mably, que les rois mérovingiens donnaient à leurs leudes, furent incontestablement des terres qu'ils détachèrent des domaines considérables qu'ils avaient acquis par leurs conquêtes, et dont ils se dépouillèrent par pure libéralité, pour récompenser les services de leurs officiers, ou les complaisances de leurs courtisans. Remarques et preuves sur l'histoire de France et l'esprit des lois.

(3) C'était un grand homme que Charles-Martel il avait des talents supérieurs, de grandes lumières, et quelques vertus; mais il était austère, dur, même cruel, et excessivement ambitieux. Il voulait être craint pour se faire redouter, et pour exécuter ses vastes projets, il lui fallait des troupes affectionnées. Il les combla donc de bienfaits, et, comme les domaines de la couronne étaient dissipés, anéantis, il s'empara des biens ecclésiastiques, et il partagea entre ses soldats les richesses immenses que le clergé avait pieusement amassées. Plus habile et plus prévoyant que les rois mérovingiens, dont la chute avait fait remarquer les fautes, il ne fit ces dons qu'à la charge de rendre au bienfaiteur des services militaires et domestiques; de là ces bénéficiers furent appelés vassaux le mot vassal dans la langue de ces temps reculés signifiait un officier domestique.

Ceci nous conduit naturellement à observer que c'est à ces nouveaux bénéfices, et non à ceux de la première race qu'il faut attribuer l'origine des fiefs. Cette source, comme l'on voit, n'a pas été extrêmement pure; la féodalité, cet aliment de la vanité française, a eu pour instituteur un sujet ambitieux des projets coupables furent ses motifs, et des dons corrupteurs ses moyens. Ce n'est qu'après une révolution de 10 siècles que l'Assemblée nationale a eu le courage et le bonheur de renverser cet édifice barbare et gothique.

(4) Le pape Zacharie.

Quoi qu'il sentit bien le prix de ses possessions territoriales, qu'il se fût même singulièrement appliqué à les étendre, il continua d'en disposer comme son aïeul. Obligé de s'attacher les grands

des bienfaits toujours nouveaux, il multiplia les bénéfices aux dépens de ses domaines. On lui reproche même d'avoir donné à ses enfants ce dangereux exemple, et de leur avoir appris à acheter des flatteurs et à s'entourer de courtisans intéressés à les séduire (1).

Sous ce prince, les bénéfices ne se donnaient cependant encore qu'à vie. Louis le Débonnaire, cédant à la nécessité, en aliéna quelques-uns à perpétuité, et Charles le Chauve bientôt après consentit à les rendre héréditaires. Il voulut même que les seigneurs qui en étaient en possession pussent, à défaut d'enfants, en disposer en faveur des collatéraux. N'ayant plus de bénéfices à donner, il poussa la subversion des règles jusqu'à rendre les comtés héréditaires. Chacun sentit bien qu'il agissait contre ses intérêts; mais il ne vint dans l'esprit de personne que ce nouvel ordre de choses fût contraire aux principes du droit public, qu'on ne soupçonnait pas. On peut consulter sur ce point de fait Dom Bouquet, dans sa collection des historiens de France, et les Capitulaires de Charles le Chauve de l'année 877, article 10. On y verra pour la seconde fois, la libre disposition des domaines royaux érigée en loi de l'Etat. La suite des rois carlovingiens offre encore bien des exemples de divisions de la monarchie et d'aliénations partielles des domaines de la couronne; ceux qui connaissent mieux le droit actuel que notre histoire ancienne, verront peut-être avec quelque étonnement la fille de Charles le Simple apporter en dot au chef d'une horde de Normands la belle province de Neustrie, et la suzeraineté sur celle de Bretagne.

Les derniers rois de cette race fameuse ne cessèrent ces imprudentes prodigalités, que lorsque la source en fut entièrement épuisée. On vit avec quelque pitié les héritiers du plus puissant monarque qui ait régné en Europe, réduits à un nom sans pouvoirs, et aux villes de Laon et de Reims pour tout domaine.

Cette race dégradée descendit du trône; elle fit place à celle des capétiens. Le chef de cette 3e dynastie était excessivement riche; il possédait entre autres domaines le comité de Paris, le duché de France, et celui d'Orléans. Il rendit au trône, dont il s'empara, une partie de la splendeur; mais sa fortune, immense pour un particulier, était encore médiocre pour un souverain. Les premiers rois de cette famille auguste, à qui la monarchie doit son intégrité, comprirent que la puissance tient aux richesses. Ils profitèrent des fautes et des malheurs des deux maisons auxquelles ils avaient succédé; ils ne songèrent qu'à accroître leurs domaines; les aliénations qui avaient avili le trône n'eurent plus lieu. On vit une suite de rois appliqués à se ressaisir de l'autorité échappée à leurs prédécesseurs. Ils suivirent un système d'agrandissement bien combiné,

(1) Dans les forêts de Germanie, l'ambition des Francs se bornait à obtenir des chefs de la nation quelque présent médiocre, tel qu'un cheval de bataille, un javelot, une francisque, ou une épée. Etablis dans les Gaules, ils se firent donner de grandes terres, de vastes seigneuries et, dès que les impôts furent devenus arbitraires, il leur fallut des pensions sur le trésor public. L'avidité, l'intrigue et la bassesse ont été de tous les temps; mais le désordre et la corruption sont à leur comble quand tous les genres de service sont mis à prix et payés en argent.

bien adroit pour leur siècle. Ils eurent tous, jusqu'à Philippe-Auguste, l'attention d'associer, de leur vivant, leur fils aîné à la couronne. Ils avaient autant pour but de maintenir l'indivisibilité du trône, que de le conserver dans leur famille. La loi des apanages réversibles n'était cependant pas encore connue, leur prévoyance ne s'étendait pas jusque-là. Le duché de Bourgogne, sous Henri ler, l'Artois, l'Anjou et le Maine, sous Louis VIII, furent détachés de la couronne à perpétuité; on donna même aux filles de France des domaines en dot, à titre perpétuel et non réversible.

Philippe le Bel, donnant en apanage à son second fils Philippe le Long, le comté de Poitou, est le premier qui ait stipulé la réversion à défaut d'hoirs mâles.

Louis VII avait déjà donné l'exemple d'une semblable réserve, mais il ne s'était pas borné aux hoirs mâles, les femines pouvaient encore succéder. Chopin observe même que, jusqu'à Charles V, nos rois n'avaient restreint l'apanage aux mâles que par des dispositions dans leur famille, domesticá lege, et que ce prince est le premier qui en ait fait une loi du royaume.

On a cependant prétendu que vers la fin du XIIIe siècle les princes chrétiens, assemblés à Montpellier, en personne ou par leurs représentants, avaient réglé qu'à l'avenir les domaines de leurs couronnes respectives seraient inaliénables. Cette fable, sans possibilité, sans vraisemblance, a été hasardée, pour la première fois, par un jurisconsulte anglais, dans un ouvrage donné sous le nom de Fleta, parce que l'auteur était alors dans la prison nommée The Fleet; mais personne aujourd'hui n'est dupe de cette fiction mal tissue.

Après ce précis purement historique, on va rappeler dans l'ordre de leurs dates les principales ordonnances relatives aux domaines. La première de l'année 1318, a été rendue par Philippe V, dit le Long; elle peut être regardée comme la loi constitutive de l'inaliénabilité des domaines dans l'ordre civil (1). Cette loi cependant et celle de Charles le Bel, son frère, de l'année 1321, semblent faire dépendre la question d'un point de fait, de la lésion et de la surprise.

On trouve ensuite celle de 1356, dont les articles 41 et 45 sont relatifs aux domaines. Par le premier, Charles V, lors Dauphin, promet aux gens des trois états de ne point aliéner ses domaines, ni souffrir qu'ils soient aliénés ; il promet également de faire révoquer les dons excessifs, ou sans juste cause, faits depuis Philippe le Bel, et il veut, par l'article 45, que le chancelier fasse serment de ne sceller aucunes lettres portant alliénation du domaine. Ce prince, devenu roi, renouvela ses dispositions en 1364: sous ce prétexte la Chambre des comptes fit saisir les dons faits à Guillaume Nogares et à Guillaume Duples sis; mais Charles V déclara, par d'autres lettres du 24 novembre de la même année, que ces termes, depuis Philippe le Bel, ne devaient être entendus que de ce qui avait été fait, depuis la mort de ce prince.

Par une ordonnance de 1374, Charles V régla les apanages de ses enfants nés et à naître et les dots de ses filles. Il fixa les apanages de ses fils à 12,000 livres de rente, la dot de sa fille aînée à 100,000 livres, et celle des autres à 60,000 livres.

(1) On verra bientôt que, dans l'ordre politique les domaines de l'Etat n'ont jamais pu être aliénés sans le consentement de la nation.

« PreviousContinue »