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demande la permission de s'absenter pendant quinze jours ou trois semaines, pour se rendre auprès de son père, âgé de 86 ans, et malade ; cette permission lui est accordée.

M. Rabaud de Saint-Etienne présente l'état du travail sur la division du royaume. Le comité est retardé par l'embarras qu'occasionnent, sur la disposition des chefs-lieux, les prétentions de différentes villes. Il demande, comme un moyen de concilier les intérêts opposés, que la liberté lui soit laissée de ne pas fixer, et de réunir dans une même ville les chefslieux du département, de la justice et de l'Eglise, et que ceux du département puissent être alternés entre les villes qui, par leur nature, semblerait y être exactement propres.

On objectera sans doute qu'il serait difficile de transporter les bureaux et les archives. Les bureaux seront composés de dix ou douze personnes, et le transport n'en sera pas très-dispendieux. Des archives pourraient avec avantage être établies dans chacune des villes destinées à devenir chefs-lieux à leur tour; en étendant à tous les objets importants l'impression ordonnée pour les comptes, les exemplaires se multiplieraient aisément, et l'on serait ainsi à l'abri des événements tels que les incendies, et qui peuvent faire perdre sans retour les titres et les papiers d'un département.

M. Target propose pour amendement que les départements alternent entre les districts.

M. Delley d'Agier, propose que les villes qui auront un évêché ou un district ne puissent jamais obtenir un département.

M. Mougins de Roquefort appuie la demande du comité.

M. Larreyre. Il faut ajouter au décret à rendre à ce sujet : « que les chefs-lieux de département ne pourront être placés dans les villes qui renfermeront moins de quatre mille âmes. >>

M. Malouet présente les grandes villes comme des maux nécessaires, dont les législateurs doivent chercher à atténuer les inconvénients. Il adopte, sous ce point de vue, la demande du comité. Il propose un article qui pourrait être ajouté à ceux relatifs aux municipalités, et dont plusieurs événement récents démontrent la nécessité. Il est ainsi conçu: « Chaque municipalité ne peut et ne doit se mêler de la haute police que conformément aux décrets de l'Assemblée nationale, ni étendre sa juridiction au delà de sa banlieue. »

M. Pison du Galand est d'avis de ne rien prononcer directement ou indirectement sur l'établissement des tribunaux et des évêchés.

M. le vicomte de Mirabeau propose la motion de faire tenir l'Assemblée nationale alternativement dans chaque chef-lieu de département. L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur tous les amendements.

La motion de M. le vicomte de Mirabeau est ajournée.

M. Bouche dit qu'il a des observations importantes à présenter sur la division de la Provence, mais qu'il les adressera au comité. (Voy. aux An

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M. Target donne lecture des articles ainsi qu'il suit :

« Art. 14. En chaque administration de département, il y aura un procureur général syndic; en chaque administration de district, il y aura un procureur syndic; ils seront élus au scrutin individuel, et à la pluralité absolue des suffrages, en même temps que les membres de chaque administration, et par les mêmes électeurs. »

Cet article est adopté sans discussion.

« Art. 15. Le procureur général syndic du département et le procureur syndic du district seront 4 ans en place, et pourront être réélus et continués par une nouvelle élection. »

M. Target. Le comité, en rédigeant cet article, a pensé qu'il était important d'offrir au procureur syndic l'espoir d'obtenir pour prix de ses services, de sa délicatesse et de son exactitude à remplir ses fonctions, une récompense bien précieuse, puisqu'elle serait la preuve bien certaine de la confiance publique; qu'il était important que celui qui tiendrait le fil des différentes opérations pût être conservé...

M. le comte de Virieu. Les procureurs syndics seront les chevilles ouvrières de l'administration; leur influence sera extrême; vous appellerez sur eux toutes les tentations; et si vous leur permettez d'être continuellement réélus, ils deviendront bientôt administrateurs perpétuels. Je demande qu'ils ne puissent être réélus plus d'une fois.

M. Rewbell. S'ils n'ont pas l'espoir d'être continués, ils négligeront leur gestion.

M. le comte de Crillon. Les craintes du préopinant ne me semblent pas fondées; il paraît oublier que le directoire fera tout sous les ordres de l'Assemblée générale, et que le procureur syndic ne fera rien que sous les ordres du directoire. Il n'a pas senti d'ailleurs que l'administration est une science comme les autres; qu'elle exige des hommes qui y soient entièrement adonnés, et que leur nombre sera nécessairement peu considérable. J'adhère à l'article proposé par le comité.

M. le curé de***. Si le procureur syndic devient

malade, et que vous ne lui donniez pas un substitut, le directoire sera paralyse.

M. le duc de la Rochefoucauld. Il est sans doute très-avantageux que les procureurs syndics puissent être conservés; mais je conviens qu'il serait fâcheux que cette conservation, objet d'une ambition bien naturelle, fût le résultat de l'intrigue, et non celui de l'estime et de la confiance. Je propose que les procureurs syndics puissent être réélus pour deux ans; la première fois à la majorité des suffrages; la seconde aux deux tiers, et les autres fois aux trois quarts.

L'article avec l'amendement de M. de Virieu est décrété en ces termes :

« Art. 15. Le procureur général syndic du département et les procureurs syndics des districts seront en place pendant 4 années; ils pourront être continués par une seconde élection pour 4 autres années, mais ensuite ils ne pourront être réélus, si ce n'est après un intervalle de 4 ans. >>

« Art. 16. Les procureurs généraux syndics, et les procureurs syndics assisteront aux assemblées générales des administrations. Il ne pourra y être fait aucun rapport sans qu'ils en aient eu communication, ni être pris aucune délibération sur ces rapports, sans qu'ils aient été entendus; ils seront chargés de la suite des affaires; cependant ils n'auront, ni dans les assemblées générales, ni dans les directoires, aucune voix délibérative, mais simplement voix consultative. >>

Cet article est adopté après quelques courtes observations de M. de Virieu.

« Art. 17. Quant aux membres de l'Assemblée nationale, ils seront toujours élus au scrutin individuel, et à la pluralité absolue des suffrages. Si les deux premiers scrutins ne la donnent pas, il sera procédé à un troisième, dans lequel le choix ne pourra se faire qu'entre les deux qui auront eu le plus de suffrages au scrutin précédent. >>

M. le duc de La Rochefoucauld. Vous avez adopté le scrutin de liste double pour déjouer l'intrigue, en ce qui concerne les municipalités; il faut adopter pour les députés à l'Assemblée nationale les mêmes formes afin d'avoir les mêmes garanties, car l'intrigue sera bien plus puiss ante quand il s'agira d'un plus grand intérêt.

M. Rewbell. Avec les scrutins de liste double les cabales feront les députés comme nous en avons des exemples sous nos yeux.

M. Démeunier. Le scrutin individuel est moins imparfait; il est adopté pour les places de maire et de procureur de la commune et c'est une considération morale d'une certaine valeur d'empêcher un homme de se présenter à l'Assemblée nationale seulement avec vingt voix, ce qui serait possible par la forme des scrutins à liste double.

On demande à aller aux voix.

L'article est décrété en ces termes :

« Art. 18. Les membres de l'Assemblée nationale seront toujours élus au scrutin individuel et à la pluralité absolue des suffrages; si les deux premiers scrutins ne donnent pas cette pluralité, il sera procédé à un troisième, dans lequel le choix ne pourra se faire qu'entre les deux qui auront eu le plus de suffrages à celui précédent. »

M. le Président. M. le garde des sceaux m'a fait remettre un mémoire relatif aux lois crimi

nelles provisoires décrétées par l'Assemblée. Je demande si l'Assemblée veut entendre la lecture du mémoire ou le renvoyer au comité des sept qui a travaillé à la rédaction de ces lois. (Voy. le mémoire annexé à la séance de ce jour.)

Le renvoi au comité est ordonné.

M. le Président. Le comité féodal demande à faire imprimer un rapport et un mémoire de deux de ses membres sur le droit féodal de la province de Bretagne (Voy. ces documents annexés à la séance de ce jour.)

L'Assemblée autorise l'impression.

M. de Robespierre. J'aurais à présenter une motion importante sur la restitution des biens communaux envahis par les seigneurs. (Voy. cette motion annexée à la séance de ce jour).

On demande vivement l'ordre du jour, qui consiste dans la réclamation de la ville de Nérac, au sujet de la mendicité et dans l'affaire des impositions de la province de Bretagne. Cette dernière affaire obtient la priorité.

M. Le Chapelier. Il est important que l'Assemblée prenne sans délai un parti sur l'objet que j'ai à lui présenter.

Il existe en Bretagne une régie appelée des devoirs, impôts billots, et droits y joints; ces droits se lèvent sur le détail de l'eau-de-vie et sur les boissons. Le produit s'en élève annuellement à 4 ou 5 millions.

Les anciens états de Bretagne ont donné aux commissions intermédiaires des pouvoirs qui expirent au 31 de ce mois. Suivant les anciens usages, ces commissions sont composées de six membres du clergé, six de la noblesse, et six des communes. La province a demandé pour les communes une proportion égale aux deux autres ordres réunis. Le Roi, à l'époque de cette demande, n'a rien voulu innover jusqu'à ce que l'Assemblée nationale, qui n'était pas encore réunie, eût statué à cet égard.

M. Le Chapelier propose un décret par lequel l'Assemblée ordonnerait:

1o La prorogation des pouvoirs des commissions intermédiaires;

2o La perception des impôts directs;

3o La prorogation de là régie des devoirs de Bretagne, et droits y joints, pour un an;

4° La manière d'effectuer, en Bretagne, la suppression des priviléges en matière de devoirs et d'autres impôts;

5o La continuation de diverses dépenses urgentes, et la suppression de certains traitements, pensions et gratifications.

L'Assemblée décide que ce projet de décret sera communiqué au comité des finances pour donner son avis. La discussion est renvoyée à demain, séance du soir.

M. le Président indique pour demain à 2 heures l'affaire de Nérac, et celle de Troyes. II lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour 9 heures du matin.

ANNEXES

à la séance de l'Assemblée nationale du 9 décembre 1789.

1re ANNEXE.

Mémoire présenté à l'Assemblée nationale, et communiqué au comité de constitution, sur les villes d'Aix et de Marseille, relativement à la division de la Provence (1), par CharlesFrancois Bouche, député de la sénéchaussée d'Aix (2).

Messieurs, je serais coupable aux yeux de mes commettants si je laissais sans réponse le mémoire que je vais tâcher de réfuter dans ses parties les plus marquantes: il est certainement la preuve du zèle, des talents et de l'activité des députés de la sénéchaussée de Marseille; il prouve combien ils sont dignes de la confiance dont leurs concitoyens les ont honorés; mais on ne saurait leur pardonner de l'avoir produit, mystérieusement, à MM. du comité de constitution, et de ne l'avoir pas distribué dans les bureaux, pour en donner connaissance à tous les membres de l'Assemblée nationale, enfin de ne l'avoir pas communiqué expressément à tous les députés de Provence, ou pour les forcer de lui rendre justice, ou pour les inviter à le combattre.

Les députés de la sénéchaussée de Marseille veulent que cette ville forme un département séparé. Tel est d'abord le fond et le but du mémoire. Voici comment ils s'y prennent.

Pour asseoir leur système, ils commencent par se qualifier de députés de Marseille.

Ce fait n'est pas exact; ils sont députés de la sénéchaussée, et non de la ville de Marseille.

Cette observation affaiblit l'intérêt que Marseille est bien capable de faire naître, et que personne n'éprouve plus que moi. Ce genre de députation manifeste déjà la confusion, bien loin d'être une preuve nécessaire de la séparation que les députés de Marseille sollicitent.

Ils disent que leur motion du 2 novembre, tendant à laisser à Marseille une administration séparée, n'a été ni discutée, ni jugée; qu'elle est restée dans toute son intégrité, et qu'ils en réclament le jugement définitif.

Leur motion a eu le sort de celles de tant d'autres députés; elle a eu le sort de la mienne tendant à laisser à la Provence un seul département ou assemblée provinciale, et à laisser aux provinces et villes du royaume le soin de se localiser, à la charge de se conformer aux règles générales que la sagesse de l'Assemblée nationale leur dicterait.

Le décret général fut rendu après et sans égard pour la motion des députés de la sénéchaussée de Marseille, et pour les motions de tous les autres députés qui se tinrent et se tiennent pour condamnés, quoiqu'on n'ait pas discuté par le menu et en détail leurs motions particulières. Les députés marseillais savent bien que l'usage

(1) La haute Provence n'a ni terres ni habitants : les côtes de la mer sont riches et peuplées; la partie de l'occident est dans la médiocrité. Ces trois parties contiennent tout au plus 700.000 habitants : l'union seule peut les soutenir. (Note de M. Bouche.)

(2) Ce mémoire n'a pas été inséré au Moniteur.

de l'Assemblée nationale n'est point et ne peut pas même être de laisser la liberté à cette manière de discuter; les affaires deviendraient interminables dans une Assemblée de 1,200 personnes, où on trouverait 1,200 motions à discuter et à juger.

Le 12 novembre, j'eus le courage de me déclarer opposant à tous les décrets qui seraient rendus sur la constitution municipale et provinciale de la Provence, si ses députés n'étaient pas entendus. Je demandai acte de mon opposition; il me fut refusé, et je me soumis avec respect.

Le 13 novembre, voyant que le procès-verbal ne faisait pas mention même du rejet de ma motion, je me plaignis avec force; car enfin je voulais me justifier aux yeux de mes commettants: la mention même du rejet de ma motion de la veille me fut refusée encore. Je gardai un silence respectueux; je me tins pour bien condamné, et je restai convaincu que l'Assemblée nationale était plus éclairée que moi.

Revenons.

Par son décret général, l'Assemblée nationale jugea donc que la ville de Marseille ne devait pas être distinguée des autres villes du Royaume, quant à l'administration. Premier déboutement.

Dans le comité particulier des députés de Provence, dont les auteurs du mémoire parlent, on n'a point agité avec eux la question de savoir si Marseille serait, ou non, annexée à quelque département provençal, mais si l'on établirait en Provence un ou plusieurs départements ou assemblées provinciales.

Je fus d'avis de n'y en établir qu'un mon avis ne fut pas du côté le plus nombreux.

Dès le premier mot que les députés de la sénéchaussée de Marseille prononcèrent sur la séparation de cette ville, tous les membres du comité se réunirent pour les repousser. Second déboute

ment.

Le 17 décembre, il y eut une assemblée des députés de Provence au comité de constitution. Les députés marseillais essayèrent de remettre sur le tapis la séparation de Marseille. Les députés de Provence se réunirent encore contre eux. Troisième déboutement.

Du calcul qu'ils font, pages 6 et 7 de leur mémoire, il résulte que la Provence contient 859,000 habitants.

Il est de fait qu'elle n'en a que 698,500; on en compte communément 700,000.

Il résulte encore des pages susdites, que la Provence a 1,301 lieues carrées de surface.

La Provence ne contient qu'environ 900 lieues carrées de surface, dont plus de la moitié est dans une infertilité rebelle à tout genre de culture. Me méfiant de mes faibles lumières, je l'ai fait mesurer par d'habiles géographes, sur des cartes fidèles que je me suis procurées. Je l'ai divisée. sous divisée, cantonnée, districtée, départementée en cinq systèmes différents, et toujours je me suis convaincu qu'elle n'avait qu'environ 900 lieues carrées de surface.

M. Necker, dit-on, a avancé le contraire dans son ouvrage sur l'Administration des Finances de la France.

Cela est vrai; mais je prie qu'on observe que M.Necker n'a donné à la Provence que 1,146 lieues et non 1,301; qu'il lui a donné 754,400 habitants, et non 859,000, comme les députés marseillais l'ont écrit dans leur mémoire.

Dans son cacul, M. Necker a compris une partie des terres anciennes de la Provence, et il a donné plus de surface et plus d'habitants.

M. Necker a écrit d'après les états déposés dans les bureaux du ministère. Ces états sont inexacts, j'ai eu, l'hiver dernier, l'occasion fréquente de m'en convaincre. Avec un texte pareil, M. Necker a écrit des erreurs en fait de population et d'étendue, au moins provençales.

A présent, veut-on savoir le pourquoi des calculs exagérés des députés marseillais? Le voici tel que je le présume; car ils ne m'en ont pas fait la confidence.

Ils ont dû dire: En donnant beaucoup d'étendue, beaucoup d'habitants à la Provence, un seul département paraîtra trop grand; deux ne satisferont pas tout le monde; trois seront suffisants; et alors, Marseille se sauve à travers tant de lieues et tant d'individus, et elle forme un quatrième département.

Je ne sais pas si je me trompe, mais je crois avoir pris leur intention sur le fait : il est possible que je les calomnie; en ce cas, je leur en demande pardon.

Quoi qu'il en soit, Marseille, peuplée d'hommes intelligents, actifs, laborieux, et de bons citoyens, riche, commerçante, savante et guerrière, est faite pour illustrer et soutenir toutes les associations auxquelles on voudra l'adjoindre.

Les députés de Marseille ne pouvant plus espérer d'obtenir par là un département particulier, demandent à annexer Marseille au département de la Provence orientale.

Les députés de la ville de Marseille sont trop judicieux, je les honore trop pour que je croie

que les vieilles querelles de l'an deux mille quatre cent quarante, avec l'occident de la Provence, aient part à cette demande; mais je sens qu'il n'y aurait point d'égalité parmi les divers départements de Provence, si Marseille passait du côté de l'orient, et était réunie aux villes, bourgs et villages du côté de la Méditerranée.

Riche peuplée et industrieuse comme elle l'est, Marseille accroîtrait par sa masse la masse de la population et des richesses qui sont, pour ainsi dire, concentrées dans la partie orientale et maritime. Les autres parties ou pauvres ou médiocres, qui sont surchargées d'une multitude de grands, chemins,de ponts, de chaussées et d'édifices publics se trouveraient sans soutien. Il n'est pas certainement dans l'intention de la ville de Marseille, de rendre les Provençaux de l'occident et du septentrion, malheureux d'une simple satisfaction dont elle jouirait, sans accroître sa gloire et son opulence, qui sont au plus haut point possible.

Mais, disent les députés de la sénéchaussée de Marseille, l'administration de cette ville est différente et ne peut s'allier avec d'autres.

Je prie ces Messieurs de se ressouvenir que l'administration de Marseille n'a été différente qu'en ce qu'elle était sous la main tortionnaire des intendants, lorsque l'administration des autres communautés était sous celle des Etats. La vallée de Barcelonette et les terres adjacentes pourraient faire la même objection que Marseille; mais elles n'osent pas la faire, parce qu'elles en sentent la faiblesse.

Dans tout le reste, toutes les communautés de Provence se ressemblaient; mais il ne s'agit plus ici d'une différence d'administration. Bientôt des Alpes aux Pyrénées, des rivages du Rhin aux bords de l'Océan et de la Méditerranée, toutes les administrations municipales et provinciales seront les mêmes qui en connaîtra une, les connaîtra toutes; ainsi cette objection des députés de Marseille expire de faiblesse.

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Il est une observation décisive; la voici :

Si Marseille appartenait au département de l'orient et maritime, tout le département occidental resterait chargé de la construction et de l'entretien des grands chemins par lesquels on transporte chez elle les productions et les fabrications de la France; elle jouirait sans contribuer aux frais de ses jouissances: cela ne serait ni juste, ni politique, ni moral; ce serait outrager les Marseillais que de leur supposer une exemption semblable.

Les pays agricoles, réplique-t-on, ne peuvent s'allier avec les pays commerçants. La partie occidentale n'est que cultivatrice.

Les pays agricoles peuvent se soutenir par euxmêmes, les pays commerçants ont besoin des pays agricoles, sans ceux-ci, ceux-là ne seraient rien, ou presque rien. Les navigateurs marseillais qui fréquentent les ports de Sardaigne, des Etats du Pape, de la Sicile et de l'Afrique, prouvent cette vérité.

Du côté de l'orient, ajoute-t-on, Marseille trouverait des villes commerçantes qui ont les mêmes habitudes et la même profession.

Du côté de l'orient, je ne vois que Toulon que le commerce de Marseille pompe continuellement; tout le reste est agricole.

Enfin on dit que Marseille a des dettes.

Elle en aura du côté de l'orient comme du côté de l'occident placée sur l'un comme sur l'autre point, elle les payera parce que ses dettes n'intéressent qu'elle.

Réunie aux pays agricoles, elle sera obligée d'entrer dans des détails qu'elle appelle minutieux et de parcimonie; elle sera gênée dans ses grandes vues, dans les réparations qu'elle est obligée de faire pour son port, ses rues, etc. Voilà ce qu'on objecte encore.

Eh! fut-elle jamais plus gênée que sous l'administration des intendants, dont la suppression doit être comptée parmi les biens infinis que l'Assemblée nationale a faits à la France ? Sous l'administration des intendants, les administrateurs municipaux de Marseille ne pouvaient pas, sans leur permission écrite, dépenser plus de 50 livres. En se faisant des associés, Marseille s'acquerra de nouveaux amis; les détails de parcimonie lui deviendront utiles.

Telles sont les parties les plus marquantes du mémoire que je voulais réfuter. Les députés de la sénéchaussée de Marseille sont trop raisonnables pour trouver mauvais que, lorsqu'ils font tant d'efforts pour cette ville intéressante à tant d'égards, lorsqu'ils prouvent par leur zèle et leurs talents qu'ils furent dignes de la confiance dont elle les honore, je donne de non côté des preuves que j'aime ma province entière, et que je fasse quelques efforts pour son bonheur. Ce bonheur je ne l'ai point vu dans la séparation absolue des parties qui n'en faisaient qu'un corps, et j'ai eu le courage de le soutenir jusqu'à trois fois dans le sein de l'assemblée générale, et de le soutenir dans tous les comités de Provence.

Si la belle, la consolante constitution que l'Assemblée nationale donne à la France, s'affaiblissait jamais; si le gouvernement redevenait entreprenant; si le despotisme, écrasé par des mains courageuses, s'agite un jour sous la main de quelque ministre audacieux ou adroit; si un ennemi étranger entre dans nos terres, trois parties séparées et indépendantes les unes des autres se regardant comme étrangères les unes aux autres, sous le même ciel et sur le même sol, seront envahies pièce à pièce, une à une, sans qu'elles puissent se défendre. Un esprit d'égoïsme, un ca

ractère de solitude éloigneront les âmes en distinguant les intérêts. Telles sont mes craintes pour ma province; puissent-elles être vaines!

Dans tous les pays de la terre, le gouvernement peut être comparé à un loup affamé, sans cesse brûlé par une faim dévorante. Si vous voulez essayer de le contenir en lui opposant 75 ou 85 petits roquets, il les dévore; mais si, au contraire, vous lâchez contre lui 32 dogues, il est effrayé, se retire et le troupeau est sauvé. C'est l'histoire des départements et des provinces.

Celles-ci réunies constamment à l'Assemblée nationale, leur conducteur et leur centre auraient eu, ce me semble, bien plus de force: rien cependant n'aurait empêché que les provinces fussent divisées en plusieurs districts correspondant, dans leur propre sein, à un centre commun et unique.

Il est possible que l'amour du bien m'ait aveuglé sur le bien même que l'Assemblée nationale a fait et veut faire encore, par l'établissement de tant de petits corps politiques vivant à la porte les uns des autres, et toujours, cependant, sur un terrain différent; en ce cas, ma bonne foi doit me servir d'excuse. Un cœur aimant est toujours en peine sur l'objet aimé; et je conviendrai que c'est avec douleur, que j'ai vu qu'on ait voulu faire dans ma province trois corps d'un seul, déjà faible, épuisé et bien petit.

Vers la fin du onzième siècle, la Haute-Provence voulut avoir une administration indépendante de celle de la Basse-Provence. Lors du dénombrement général fait en 1200, les habitants de la première furent obligés de déclarer que l'appui des habitants de la seconde leur était absolument nécessaire, puisque, sans elle, ils ne pourraient ni contenir les torrents qui ravageaient leurs campagnes, ni payer tous leurs devoirs au Comte.

Depuis cette époque, le sort de la Haute-Provence a bien empire; elle a perdu plus d'habitants, de terres et de bois, en acquérant plus de dépenses particulières et publiques, plus de digues à construire et plus de chemins à entretenir ou à réparer.

Ces raisons et une foule d'autres que je passe sous silence, quant à présent, m'obligent donc de regarder comme très-funeste à la Provence la triple division sous laquelle elle a été meurtrie; mais ce qui m'épouvante, c'est la cessation des travaux publics entrepris à frais communs; c'est la liquidation des caisses publiques; c'est la répartition des charges provinciales et nationales; c'est l'apurement des obligations communes à tous les habitants de la province.

Des provinces autant et même plus étendues et plus peuplées, ont eu du moins la prévoyante et sage sobriété de ne se diviser qu'en deux départements. La raison, la politique et la nature appelaient la mienne à n'en former qu'une. Richesse, médiocrité et pauvreté qui forment ses trois caractères locaux, ne peuvent pas se séparer sans se nuire.

Après m'être occupé de la Provence entière, je dois faire quelques réflexions concernant la ville d'Aix. Mon caractère de député me donne le droit de porter mes regards sur la Provence entière; mais député de la sénéchaussée d'Aix, je dois surtout le plus grand intérêt à cette ville.

Aix n'a ni terroir fertile, ni commerce, ni industrie, ni entrepôt. Sans cesse pompée par la ville de Marseille, dont l'aspiration, principalement depuis 1669, se porte sur les hommes et sur les choses d'un bout de la Provence à l'autre, elle n'a jamais pu subsister qne par les secours

de la politique. L'hiver dernier lui a enlevé ses oliviers, et lui a fait une plaie que trente ans suffiront à peine pour cicatriser. Tous les cultivateurs et les propriétaires sont donc condamnés à languir dans le besoin pendant cette longue succession d'années.

Depuis 124 ans avant Jésus-Christ, tous les tribunaux civils, religieux, politiques et militaires, sont dans le sein de la ville d'Aix. Ces divers établissements attiraieut chez elle les Provençaux et les étrangers, et leur concours alimentait ses babitants. Peuplée aujourd'hui d'environ 24,000 individus, ce serait prononcer contre eux un arrêt de misère et de mort, que de ne pas la rendre chef-lieu du département et des tribunaux de justice et souverains qui seront établis.

Elle n'a pas été ni ne sera jamais aussi riche, aussi brillante, aussi heureuse, aussi peuplée que la ville de Marseille; mais elle est plus ancienne qu'elle; elle est mieux située qu'elle, elle soutint Marseille dans son berceau cette ville voudrait-elle aujourd'hui déchirer le sein qui la réchauffa, et exténuer celle qui accueillit avec tant d'humanité les dieux et les débris de la fortune de ces fondateurs, et qui leur fit généreusement le don du précieux local que leurs descendants occupent aujourd'hui ?

Plus rapprochée du centre, la ville d'Aix est plus à portée des administrés et des justiciables. On ne lui conteste point l'avantage de renfermer dans son sein le plus grand nombre d'hommes les plus propres à être administrateurs ou juges, et que l'espérance d'y jouir d'un état acquis à grands frais, y avait amenés ou fixés.

Qu'on se représente pour un moment une ville ancienne, capitale de sa province et d'une grande souveraineté, accablée de dettes et d'impôts, où sont 24,000 individus sans commerce, sans terroir et sans manufactures, tous utiles, tous bons citoyens qu'on se représente, dis-je, cette ville privée tout d'un coup des établissements qui l'alimentaient et sous la foi desquels ses habitants s'étaient rassemblés!..... La sensibilité et la justice m'ordonnent de me taire, et m'imposent la loi d'attendre, pour la ville d'Aix, des amis et des protecteurs parmi tous ceux qui m'entendent et qui me liront,

Ces déchirantes réflexions ne paraîtront pas hors de propos, lorsqu'on saura que Marseille, qui possède tout l'or et presque tous les habitants de la Provence, qui correspond avec toutes les nations de l'univers; qui, en envois ou en retours, en fabrication ou en matières qui attendent la vente, fait un commerce annuel de près de 60 millions; qui est peuplée de près de 90,000 habitants, dans laquelle entrent et sortent journellement plus de 25,000 étrangers, qui jouit, dans tous les genres, de l'utile, du nécessaire, du commode et du somptueux, ces réflexions, dis-je, ne paraîtront pas hors de propos lorsqu'on apprendra que Marseille, changeant de système, et consentant de faire partie du département de l'occident, demande de devenir le chef-lieu du département et de l'administration.

Combien l'ambition est quelquefois inconséquente! Ici, pour satisfaire celle qu'on attribue à Marseille, les députés de sa sénéchaussée oublient qu'ils ont tiré de la différence d'administration un de leurs moyens de séparation.

Marseille appelle à l'appui de sa demande, sa supériorité dans tous les genres.

Eh! c'est précisément parce qu'elle jouit de cette supériorité, que la saine politique et la raison publique ordonnent qu'elle ne soit point

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