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perpétuel et irrévocable; autrement les biens de la maison de Valois, ceux de Louis XII et de François Ier seraient passés depuis longtemps dans des familles étrangères. Il n'est pas même nécessaire que ces biens aient été régis pendant dix ans par l'administration des domaines, comme le suppose l'ordonnance de 1566; c'est dans la seconde année de son règne que Henri IV donna une déclaration pour empêcher la confusion de ses domaines particuliers avec ceux de la couronne, et elle ne produisit aucun effet; le parlement en opéra la rectification et maintint les vrais principes. La réunion en matière domaniale n'a donc rien le commun avec l'inaliénabilité, on ne peut tirer de conséquence de l'une à l'autre, parce qu'elles partent de deux sources différentes: l'une procède du droit féodal, et l'autre du droit politique. Il peut sans doute arriver que les biens échus au souverain ne soient pas dans la mouvance directe de la couronne; mais la réunion n'en aurait pas moins lieu en ce cas, parce que tout ce qui appartient au Roi est sur-le-champ affranchi de la mouvance des seigneurs particuliers; au reste, l'abolition du système féodal obligera l'Assemblée nationale à consacrer cette réunion, pour l'avenir, par un décret formel.

Autorités et passages relatifs à la réunion.

M. Gilbert, inspecteur général du domaine, a fait, en 1760, un mémoire, où les principes exclusifs du domaine privé sont établis avec autant de force que de précision. Il dit que la personne du Roi est tellement consacrée à l'Etat qu'elle s'identifie en quelque sorte avec l'Etat même, et que comme tout ce qui appartient à l'Etat est censé appartenir au Roi, tout ce qui appartient au Roi est réciproquement censé appartenir à l'Etat. Le Roi devient l'homme de l'Etat; il contracte avec sa couronne une société perpétuelle et indissoluble, qui, lui communiquant tous les avantages attachés à la couronne, communique aussi à la couronne tous les droits propres à la personne du Roi.

M. Freteau, aussi inspecteur du domaine, a dit, dans un mémoire contre M. l'évêque de Périgueux, que la constitution de cet état ne permet pas de reconnaître dans le prince d'autre caractère qu'un caractère public, qui efface absolument toute idée, tout attribut d'une personne privée ; qu'on ne peut supposer que le prince ait quelque bien propre, quelque domaine particulier, à raison duquel son intérêt puisse être différent de celui de la couronne.

M. de la Guesle, déjà cité, pose pour principe que par le saint et politique mariage entre nos Rois et la couronne, les seigneuries qui leur appartiennent particulièrement sont censées, par même moyen, appartenir au royaume que le domaine public attire le domaine particulier, en sorte qu'il se fait un mélange indissoluble du tout en tout.

M. Dubeloy, avocat général au parlement de Toulouse, dit que le patrimoine particulier du prince se confond et se réunit à la couronne; que tout ce qui lui appartient est dù à la chose publique, ainsi que ce qui lui advient par succession, acquisition, ou autre moyen quelconque.

Par l'édit de juillet 1607, dont on a rapporté les dispositions, Henri IV prononça lui-même la réunion de ses domaines particuliers au domaine public. Il établit pour principe que les rois de France sont dédiés et consacrés au public, duquel

ils ne veulent rien avoir de distinct et de séparé; qu'ils ont contracté avec leur couronne une espèce de mariage saint et politique, par lequel ils l'ont dotée de toutes les seigneuries qui, à titre particulier, pouvaient leur appartenir.

Un arrêt du 9 janvier 1679 a jugé que la terre de Bohin, que ce monarque possédait n'étant encore que Roi de Navarre, sous la mouvance des religieux de Vermand, avait été réunie au domaine par son avénement à la couronne de France, et que la mouvance de ces religieux avait été dès ce moment éteinte.

On finira ces citations par une anecdote propre à confirmer les maximes adoptées au rapport. Quand Louis le Grand eut acheté le palais d'Orléans, ou du Luxembourg, il dit à M. de Harlay que c'était pour remplacer le Palais-Royal, qu'il avait donné à M. le duc de Chartres; ce magistrat lui demanda en quel nom il l'avait acheté : Au mien, répondit le Roi.-Tant pis, sire, répliqua-t-il; car tout ce que vous acquérez en votre nom appartient à la couronne, et par conséquent l'achat du Luxembourg ne remplace point l'aliénation que vous avez faite. (Dict. des arrêts, Vo DOMAINE.)

Nouvelle observation.

Ce rapport était à l'impression, lorsque l'Assemblée nationale a été forcée d'abandonner pendant deux séances l'ouvrage immortel de la constitution, pour s'occuper du droit public de la Bretagne. Plusieurs orateurs, divisés d'opinion, ont discuté avec chaleur et énergie la question intéressante dont le décret de 11 janvier à donné la solution. Au milieu d'une foule de vérités instructives, il est échappé à un honorable membre une erreur, ou du moins une inexactitude, qui semble contredire les principes que nous avons établis au comité des domaines, et que nous soumettrons bientôt au jugement de l'Assemblée. Il a dit que, sans le contrat de 1532, la Bretagne serait passée sous une domination étrangère, à l'extinction de la branche royale de Valois; et il a fait le détail des maisons que les lois civiles auraient appelées, selon lui, à cette belle succession. Nous nous croyons obligés, pour le maintien des principes, de prouver que si ce fameux contrat n'avait pas eu lieu, la Bretagne n'en serait pas moins unie à la France.

La province, ou, pour parler plus juste, la nation bretonne, a eu comme tous les peuples ses temps obscurs, dont il n'est resté que des traditions peu fidèles; sans nous arrêter à démêler le petit nombre de vérités qu'une saine critique apprend à discerner parmi les fictions que nous ont transmises la crédulité ou la mauvaise foi des historiens, nous conviendrons que de temps immémorial la Bretagne a eu ses souverains particuliers, dont la reine Anne, issue par måles du sang royal de France, avait recueilli les droits; mais lorsque cette princesse s'unit à Charles VIII, chef de la maison, il y avait longtemps que la Bretagne était devenue un fief de la couronne qu'elle allait partager. On sait que tous les fiefs ne sont pas de concession; une foule d'aleux ont été successivement transformés en fiefs, sans avoir été détachés du fief dominant: cette conversion s'opérait le plus souvent par une simple convention, dont Marculfe nous à conservé la formule; et l'on conçoit aisément qu'un grand nombre d'événements politiques pouvaient, entre deux souverainetés voisines, conduire au même résultat. La Bretagne était donc alors une mouvance de la

couronne; ses ducs, soumis à la formalité de l'hommage, ne contestaient que sur sa nature; ils voulaient qu'il fût simple, et nos rois le prétendaient lige; dès la fin du XIIIe siècle, la Bretagne avait été érigée en pairie, et comme l'on sait, c'était dans la mouvance immédiate que consistait l'essence de cette éminente dignité; c'était donc, dès lors, un fief de la couronne, et elle formait à ce titre une partie intégrante de la monarchie française.

Ce précieux héritage fut successivement apporté en dot à trois de nos rois, Charles VIII, Louis XII et François Ier. Ce monarque le réunit à la couronne par le contrat de 1532, que les Bretons ont jusqu'ici regardé avec raison comme le palladium de leurs franchises et de leurs libertés. Mais si ce contrat n'eût pas existé, la réunion qu'il a produite n'aurait été retardée que de quelques instants. La Bretagne, dans cette hypothèse, serait passée à titre successif à Henri II, fils et successeur de François Ier, et à son avénement au trône elle aurait été réunie irrévocablement et de plein droit au domaine royal, comme l'avaient été avant elle les patrimoines de Louis XII et de François Ier, et comme l'a été depuis celui de Henri IV. Je n'examinerai point si les deux contrats de mariage de la reine Aune auraient empêché cette réunion; je laisse aux publicistes à décider si une convention privée, un pacte domestique peut déroger à une loi de l'Etat; je me borne à prétendre que les lois générales du royaume auraient consommé cette réunion sans le secours d'autres actes. Les généreux Bretons, si jaloux de leur liberté, et si dignes d'en jouir, n'en auraient pas moins conservé leurs franchises. Le principal but du traité de Vannes, était de maintenir les maximes d'après lesquelles leurs ducs les gouvernaient; et les rois de France, héritiers de ces ducs, n'auraient pu, sans injustice, s'arroger des droits plus étendus que ceux des souverains qu'ils représentaient.

Signé ENJUBAULT DE LA ROCHE.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Séance du samedi 14 novembre 1789 (1).

M. de Lachèze, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance de la veille.

M. Camus fait une motion tendant à faire déclarer que, dans tous les monastères et chapitres où il existe des bibliothèques et archives, les supérieurs seront tenus de déposer des états et catalogues au greffe du siege royal ou municipalité le plus voisin; de les affirmer véritables et d'y designer particulièrement les manuscrits qui pourraient se trouver dans les bibliothèques ; de s'en constituer les gardiens; d'affirmer qu'ils n'ont pas connaissance qu'il en ait été soustrait. - Il demande que sa motion soit immédiatement adoptée et ajoutée au décret d'hier.

Là discussion du cette motion est retardée par la lecture des adresses suivantes :

Délibérations et adresses des villes, bourgs et communautés de Méracq, de Souprosse, de Sainte

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

Croix, de Fichous et de Damoulens en la sénéchaussée de Saint-Sever de Guyenne, contenant félicitations et remerciments à l'Assemblée nationale, de ses glorieux travaux, renonciation à tous leurs priviléges particuliers, adhésion pleine et entière à tous ses décrets et notamment à ceux du 4 août et jours suivants, et à l'article 17, qui proclame Louis XVI, notre glorieux monarque, le restaurateur de la liberté française.

Délibération du même genre, de la ville de Boiscommun en Gâtinais. Elle demande d'être rangée dans la classe des bailliages secondaires du second ordre.

Délibération de la ville de Saint-André en Dauphiné, contenant adhésion aux décrets rendus et à rendre par l'Assemblée nationale, ainsi qu'aux principes renfermés dans l'arrêté de la ville de Vienne, relativement à la convocation des Etats de la province, et du doublement, faite par la commission intermédiaire.

Adresse de félicitations et remercîments de la ville de Bourganeuf. Eile demande un siége royal.

Adresse du même genre, des habitants de la ville, vicomté, ancien bailliage et district de Rochechouart, en Haut-Poitou.

Adresse du comité permanent de la ville de Chatellerault, où il adhère, avec un respectueux remerciment, au décret de l'Assemblée nationale sur la disposition des biens écclésiastiques.

Adresse de la municipalité de Vatan, contenant deux procès-verbaux qui constatent une violente émotion populaire arrivée dans cette ville au sujet de l'exécution du décret de l'Assemblée nationale sur la libre circulation des grains. Elle la supplie de lui indiquer la conduite qu'elle doit tenir, lui présentant une adhésion parfaite et une soumission entière à ses décrets.

Adresse des religieux bénédictins de l'abbaye de Saint-Georges de Boscherville, où ils abandonnert leurs biens à la nation, pleins de confiance en la justice de l'Assemblée nationale, pour leur subsistance.

Délibération de la ville de Gap, en Dauphiné, contenant l'adhésion la plus entière aux décrets de l'Assemblée nationale.

Délibérations des communes de Loriol et Livron, en Dauphiné, où elles adhèrent avec un dévouement absolu aux décrets de l'Assemblée, et protestent de la manière la plus forte contre la convocation des Etats de la province, et du doublement, faite par la commission intermédiaire.

Adresse du même genre de la ville du Buis, de la même province.

Adresse du comité permanent du pays d'Aunis, qui supplie l'Assemblée nationale, par les motifs les plus pressants, d'organiser au plus tôt les assemblées provinciales et municipales; il représente que les citoyens, ne pouvant se soumettre à l'ancien régime pour la répartition de l'impôt, se trouvent dans la nécessité de s'assembler dans peu au sujet des impositions de l'année 1790.

Adresse de l'abbé Batbedat, prébendé de l'église cathédrale de la ville d'Acq, syndic des chapelains prébendés de la dite cathedrale, et de plusieurs autres, où il supplie l'Assemblée de casser la prétendue assemblée du clergé du diocèse d'Acq, du 14 octobre dernier, tenue et convoquée par M. l'évêque, comme nulle et irrégulière, attendu que les bénéficiers simples et électeurs du diocèse n'y ont pas été appelés, et comme contraire aux décrets de l'Assemblée nationale,

auxquels il adhère de cœur et d'esprit, notainment à tous ceux qui intéressent les ecclésiastiques.

Délibération du comité municipal de la ville de Pont-à-Mousson, où il représente que les onze maisons religieuses qui existent dans la ville lui rendent les plus grands services, soit parce qu'elles se consacrent à l'éducation de la jeunesse, soit parce qu'elles y répandent des aumônes abondantes. Il supplie l'Assemblée de les conserver.

M. Alquier, député de la Rochelle. Je demande au nom de ma province que le président se retire vers le Roi, à l'effet d'obtenir qu'il y soit envoyé un nouveau délégué pour faire la répartition des impôts. L'intendant est absent, et des circonstances particulières font présumer qu'il ne se rendra pas à ses fonctions.

Plusieurs députés font de semblables demandes.

M. Deschamps, député de Lyon. Si la motion est appuyée, je propose, par amendement, d'y ajouter la suppression des intendants.

M. Milscent. Comme l'Assemblée ne peut se déterminer en n'entendant qu'une seule partie, je propose le renvoi au comité des rapports.

M. le comte de Crillon. Nous n'avons pas besoin d'entendre les deux parties; il suffit qu'un intendant soit haï dans la province pour qu'il ne puisse faire le bien qu'exige son institution.

M. Fréteau. Il faut différer jusqu'à ce que nous avons établi le nouveau régime. Si nous sollicitions l'envoi d'un autre délégué, et que, par la suite, nous vinssions à les supprimer tous, notre démarche ne paraîtrait-elle pas avoir été inconséquente?

Le renvoi au comité des rapports est ordonné.

M. le comte de Morge, député du Dauphiné, donne sa démission.

M. Morel, cultivateur, député de Chaumonten-Bassigny, présente également sa démission. Ces deux démissions sont acceptées sans opposition.

M. Camus reprend sa motion relative aux bibliothèques des maisons religieuses et en donne une nouvelle lecture.

M. de Coulmiers, abbé d'Abbecourt. En se servant dans le décret du mot mobilier, on a implicitement compris les livres et les manuscrits; il n'y a donc pas lieu à délibérer.

M. Camus, Messieurs du comité des recherches savent très-bien qu'ils ont été obligés de prendre des précautions relatives à la bibliothèque de l'abbaye Saint-Germain voilà le motif de ma motion; qu'on juge s'il y a lieu à délibérer.

M. Gossin. La motion est très-importante pour les lettres et le droit public, dont les ordres religieux conservent les monuments les plus

rares.

La motion de M. Camus, mise aux voix, est adoptée et le décret suivant est rendu :

<< Dans tous les monastères et chapitres où il existe des bibliothèques et archives, lesdits monastères et chapitres seront tenus de déposer

aux greffes des siéges royaux ou des municipalités les plus voisines, des états et catalogues des livres qui se trouveront dans lesdites bibliothèques et archives, d'y désigner particulièrement les manuscrits, d'affirmer lesdits états véritables, de se constituer gardiens des livres et manuscrits compris auxdits états, enfin, d'affirmer qu'ils n'ont point soustrait et n'ont point connaissance qu'il ait été soustrait aucun des livres et manuscrits qui étaient dans lesdites bibliothèques et archives. »

M. Lebrun, au nom du comité des finances, fait un rapport sur les réclamations de la province d'Anjou concernant la gabelle.

L'horreur qu'inspire la gabelle a excité les habitants de la province d'Anjou à proscrire cet impôt. Rassemblés en grande partie à Angers, ils l'ont remplacé par un impôt de 60 livres par minot ce qui fait 1,500,000 livres et ils offrent de porter cette somme à 1,600,000 livres. Quelques villes n'ont pas voulu adhérer à ce remplacement très-avantageux sous plusieurs rapports, mais qui a aussi ses inconvénients, car il faudra rembourser les cautionnements, rembourser les offices et d'ailleurs la contrebande se répandra dans l'Orléanais, dans la Touraine et fera refluer les cordons d'archers sur ces provinces. Cependant le comité des finances a pensé qu'il fallait accepter la proposition de l'Anjou et légitimer par un décret de l'Assemblée nationale la délibération tumultueuse de la province. Je vais donner lecture du décret que nous vous proposons.

DÉCRET.

Art. 1r. Le pouvoir exécutif cet autorisé à accepter le remplacement de l'impôt du sel, proposé par la plupart des communautés de l'Anjou, a raison de 60 livres par minot, sans qu'il soit fait aucune délivrance de sel.

Art. 2. Le remplacement de cet impôt ne pourra être cependant pour la province, moindre de 1,600,000 livres par années, 800,000 livres pour six mois, ainsi de suite, jusqu'à ce que la gabelle soit supprimée.

Art. 3. La répartition des sommes sera faite par l'administration de la province, sans distinction de personnes et à raison des facultés.

Art. 4. Les contestations qui seront relatives aux rôles seront portées devant les tribunaux qui connaissent de l'impôt.

Art. 5. La perception sera faite tous les mois et le versement au Trésor royal se fera également tous les mois.

Art. 6. Les sommes qui auront été versées dans les caisses particulières seront nécessairement versées dans les caisses respectives.

M. le marquis de Ferrières. Je déclare que la sénéchaussée de Saumur n'a pas adhéré aux réclamations de la province d'Anjou parce que la contribution a été portée à un chiffre trop élevé, attendu que l'abolition du régime actuel des gabelles procurera une économie dont les contribuables doivent profiter.

M. Lebrun produit un tableau des opérations du comité des finances à l'aide duquel il établit que les frais de perception ont été distraits de la somme à laquelle l'Anjou va être assujetti.

M. Dupont établit par des calculs économiques, qu'il appelle arithmétique politique, qu'il est de la justice de fixer le prix du sel à 51 livres le quin

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tal, et non à 60 livres, selon la proposition faite par l'Anjou. Il pense qu'il serait convenable d'étendre l'abonnement à toutes les provinces où la gabelle est établie. Vous arriveriez, ajoute-t-il, sans doute à la réforme, par le moyen très-dur de ramener le cordon terrible d'employés sur les provinces qui ne seraient pas abonnées, et qui dans leur effroi demanderaient bientôt à imiter l'Anjou; mais faut-il faire cette réforme les armes à la main, et par la voie trop sûrement victorieuse de l'irruption de l'armée fiscale?

L'orateur fait la motion suivante :

Que la proposition de la province d'Anjou soit adoptée à la charge que l'abonnement qu'elle offre ne sera réglé que sur le pied de sa consommation actuelle, évaluée à 51 livres le minot;

Que la même opération sera étendue à toutes les provinces de grandes et petites gabelles et aux provinces de salines, en faisant à celles qui sont sur les frontières la remise d'un sixième sur leur. contribution et à celles de l'intérieur la remise d'un tiers;

Que les provinces rédimées soient tenues en même temps d'abandonner les droits de convoi sur le transport des sels, auxquels elles sont actuellement soumises;

Que les commis actuellement employés au service des gabelles soient portés sur les frontières pour perfectionner la perception des droits de traite et réprimer l'exportation des grains.

M. Defermon. Dans le décret qui contient les dispositions relatives au remplacement de la gabelle en Anjou, le comité des finances propose de faire juger les contestations par les juges des élections. Je crois cette clause contraire à l'esprit de l'Assemblée. En matière d'impôt, les juges compétents doivent être élus librement. Je propose en conséquence de renvoyer aux assemblées de district ou de département toutes les contestations relatives au remplacement de la gabelle en Anjou.

M. Chassebœuf de Volney, député d'Anjou, adhère à cette observation, au nom de sa province.

M. Jouye des Roches. L'offre excessive de l'Anjou est une offre patriotique qui ne peut tourner au détriment d'un tiers; cependant, en reculant les barrières de l'Anjou, vous les rejetez sur le Maine. Cette dernière province ne peut se soumettre à l'évaluation excessive de 60 livres, par minot. Je propose en son nom un abonnement à raison de 30 livres.

M. le duc de la Rochefoucauld. Le décret que vous avez rendu sur la gabelle n'existera provisoirement que jusqu'au moment où, après un examen approfondi, vous prononcerez la suppression totale d'un impôt désastreux, déjà jugé depuis plusieurs années. L'Anjou a mieux aimé payer une somme considérable que de s'y soumettre: je ne vois pas qu'en acceptant cette offre, qui rejette les barrières sur les provinces voisines, Vous commettiez une injustice. Ces provinces peuvent imiter cet exemple.

Le préopinant vous propose pour le Maine un remplacement à raison de 30 livres par minot. Cette faveur deviendrait une charge pour d'autres provinces.

Si la gabelle, qui est décrétée à 60 millions, n'en produit que 40, il se trouvera un déficit de 20 millions qui portera sur les provinces non assujetties à cet impôt ne croyez pas que ces

dernières, dans le mauvais gouvernement où nous avons vécu, fussent réellement soulagées. Le fisc, pour établir un équilibre parfait, les forçait sur des impositions d'une autre nature; plusieurs étaient même surchargées évidemment; et si la méthode des sous pour livres a servi à aggraver la gabelle, elle a été employée d'une manière aussi aggravante sur la taille des provinces rédimées. Je pense donc que vous devez vous borner à accepter l'offre de la province d'Anjou, sans approuver la manière dont elle a été faite, et en invitant toutefois les provinces également soumises à la gabelle à vous présenter, dans le plus court délai, leurs propositions.

On demande à aller aux voix.

M. le Président. Je dois prévenir l'Assemblée que M. le ministre des finances demande à être

reçu.

Le ministre est introduit et l'Assemblée témoigne par de vifs applaudissements du plaisir qu'elle a de le voir dans son sein. Il prend séance dans l'enceinte au-devant de la barre où l'on place un fauteuil pour lui.

M. Necker apporte un mémoire ayant pour objet la conversion de la Caisse d'escompte en une Banque nationale (1).

Le ministre, étant très-fatigué, ne lit que le commencement de son discours; la lecture, qui dure une heure et demie, est ensuite continuée, de l'agrément de l'Assemblée, par un de ses secrétaires.

Voici le texte du mémoire:

Messieurs, c'est une pénible situation pour moi que d'avoir si souvent à vous entretenir des embarras et des difficultés des finances. Je n'ai eu que des inquiétudes et des déplaisirs dans cette administration, depuis l'instant où je l'ai reprise au mois d'août de l'année dernière.

Le discrédit général à cette époque, l'existence d'un déficit immense, et l'extrême pénurie du Trésor royal ont déployé devant moi les premiers obstacles. Cependant les revenus de l'Etat étaient au moins dans leur entier, et les recouvrements s'exécutaient avec la ponctualité usitée. On ne prévoyait pas encore l'affreuse disette des subsistances dont nous étions menacés, et l'on ne soupçonnait pas les malheureux événements qui ont contrarié la perception des droits et des impôts, et qui, en jetant l'alarme dans les esprits, ont détourné le cours de toutes les affaires et ont fait disparaître, à la fois, l'argent et la confiance. Un avenir favorable se présente à nos regards, mais il n'est embrassé que par l'espérance, et les affaires de finances n'en éprouvent point encore la salutaire influence.

L'Assemblée nationale, de concert avec le Roi, a cependant déterminé deux grandes dispositions pour l'encouragement du crédit, et pour le réta– blissement de l'ordre dans les finances. Par l'une elle assure, à commencer du 1er janvier prochain, un parfait équilibre entre les revenus et les dépenses fixes, et par l'autre, elle autorise une contribution patriotique, dont elle a présumé que le produit pourrait être équivalent aux besoins extraordinaires de cette année et de l'année prochaine.

Une immense difficulté reste à vaincre encore. Cette contribution patriotique ne fournira que des ressources graduelles, puisque le dernier

(1) Le Moniteur ne donne qu'une courte analyse du mémoire de M. Necker.

terme de payement s'étend jusqu'au 1er avril 1792. Cependant les besoins sont instants, et l'état du crédit, en ces moments critiques, n'offre aucun secours sur lequel on puisse solidement compter.

L'Assemblée nationale verra, par le tableau annexé à ce mémoire, qu'en acquittant les engagements pris avec la caisse d'escompte, pour le 31 décembre, les besoins de cette année s'élèveraient à 90 millions, mais les anticipations sont fort diminuées.

Les dépenses extraordinaires pour l'année prochaine peuvent être évaluées à environ 80 millions, et l'on vous en remettra l'aperçu.

Mais le besoin serait plus grand si, à commencer du 1er janvier prochain, l'équilibre entre les revenus et les dépenses n'était pas encore établi dans son entier;

Si le remplacement de la diminution du produit sur la gabelle n'était pas effectué à commencer pareillement du 1er janvier prochain;

Si le payement de l'année ordinaire des droits et des impositions essuyait des retards;

Si les anticipations sur l'année 1790, quoique infiniment réduites, ne pouvaient pas être renouvelées complétement.

On ne peut donc encore, en cet instant, déterminer, d'une manière positive, quel sera le secours extraordinaire, indispensable, pour suppléer au déficit extraordinaire et momentané de l'année 1790. C'est être modéré que de le supposer de 80 millions, et personne ne peut en répondre avec certitude, au moment où je rédige ce mémoire.

Voilà donc 80 millions à ajouter au moins aux 90 qui sont nécessaires pour achever le service de cette année et s'acquitter avec la caisse d'escompte.

Secours total à trouver, 170 millions.

Cependant, pour se faire une juste idée de la difficulté des circonstances, il ne suffit pas d'arrêter son attention sur l'embarras du Trésor royal; il faut encore porter ses regards sur la situation de la caisse d'escompte, établissement étroitement lié avec la chose publique, et avec les finances en_particulier.

Cet établissement a rendu les plus grands services au commerce, et les secours que les finances en ont reçu depuis quelque temps, ont été aussi importants que nécessaires. Il n'en résulterait aucun inconvénient pour la caisse d'escompte, si l'Etat avait des moyens suffisants pour la rembourser aux époques convenues; mais un grand discrédit ayant pris la place des ressources dont un nouvel ordre de choses avait donné l'espérance il devient impossible, sans de nouveaux moyens, de remplir les engagements contractés avec la caisse d'escompte, engagements qui font partie des besoins extraordinaires de cette année.

La situation de la Caisse d'escompte n'est pas seulement critique, en raison des avances qu'elle a faites au gouvernement; elle participe, comme le Trésor royal, comme tout le commerce, comme la France entière, aux inconvénients majeurs qui résultent de la rareté excessive du numéraire effectif.

Je dois répéter ici ce que j'ai dit dans une autre occasion sur les causes de cette rareté. Et d'abord elle a toujours été éprouvée dans les temps d'alarmes et dans les importantes crises des empires; chacun, incertain des résultats d'un grand trouble, ou simplement d'une révolution majeure, resserre son argent, et attend, pour en disposer, que les événements se calment ou s'éclaircissent.

Il y a de plus, aujourd'hui, des circonstances particulières qui concourent à la rareté du numéraire. Notre ancienne balance de commerce avec les pays étrangers, balance toujours favorable å la France, est dérangée par diverses causes. Nous avons importé cette année des quantités immenses de blé, et nous demandons encore aux pays étrangers de nouveaux secours; notre traité de commerce avec l'Angleterre nous rend débiteurs, envers ce royaume, d'une somme de marchandises manufacturées que nos propres fabriques fournissaient autrefois.

Les étrangers, intimidés par les circonstances, s'éloignent de nos fonds publics, et au lieu d'y employer annuellement une portion de leurs capítaux, plusieurs, depuis quelque temps, cherchent à s'en défaire, et tout au moins ils n'y replacent pas les intérêts que nous leur payons, et nous sommes obligés de leur en remettre les fonds en entier. Les voyageurs étrangers sont détournés par nos troubles intérieurs de venir en France, et nous avons perdu pour un temps l'introduction de numéraire que leurs grandes dépenses dans le royaume occasionnaient.

Enfin, ce que peut-être on n'a jamais vu, même aux époques les plus fatales de la monarchie, une émigration prodigieuse, toute composée de gens riches ou aisés, attire dans l'étranger, non-seulement des fonds proportionnés aux dépenses des citoyens qui nous quittent, mais encore une partie de leurs capitaux disponibles.

Je dois citer encore une cause de la rareté de l'argent, non pas dans le royaume, mais dans la circulation c'est le retard du payement des impôts, retard qui retient inutilement dans une multitude de mains, les espèces qui doivent servir aux dépenses publiques, et se diviser ensuite de nouveau par les consommations.

Enfin, les temps de divisions, les temps où l'esprit de parti se déploie avec une grande force, donnent lieu quelquefois aux séquestres de l'argent, par le seul désir de gêner la circulation et de produire un embarras qui amène un surcroît de confusion, propre à changer la situation des affaires et la scène des événements. Il existe donc une grande diversité de causes particulières qui, avec les causes générales, concourent à la rareté du numéraire, rareté qui s'accroît ensuite par elle-même, parce que la crainte de manquer d'argent, comme la crainte de manquer d'une denrée nécessaire, engage ceux qui en ont à se ménager une double provision.

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Faisons maintenant le résumé précis des effrayantes difficultés que nous avons encore à vaincre.

Il faut trouver un secours extraordinaire de 170 millions, soit pour les besoins imminents de cette année, soit pour assurer le service de l'année prochaine, et il faut trouver ce secours au milieu d'un discrédit absolu.

Il faut de plus soutenir l'édifice de la caisse d'escompte, édifice ébranlé et prêt à tomber; il faut, s'il est possible, lui procurer une nouvelle force; ou, si l'on veut abandonner cet établissement, malgré son intime connexité avec les finances et les affaires publiques, malgré le souvenir des services qu'on en a tirés, il faut se proposer un dessein plus difficile encore à remplir, celui d'être juste envers les actionnaires et envers les porteurs actuels des billets de caisse.

Il faut encore s'occuper d'accélérer le payement des rentes sur l'Hôtel-de-Ville, et parvenir, d'ici à une époque peu éloignée, à les remettre au moins assez au courant pour n'avoir plus qu'un

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