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rétablis dans la ville, en les exhortant à la soumission et à la subordination.

M. de Robespierre. La lettre qu'on vous propose contient un blâme contre le peuple et une punition contre les ouvriers; cependant vous ne connaissez pas les faits; vous avez ajourné l'affaire pour qu'elle fût mieux instruite; on n'a pu vous rendre compte encore des pièces apportées par un courrier extraordinaire de la ville de Tou

lon. Vous avez vu dans celles qui vous ont été présentées une conduite très-répréhensible...

M. l'abbé de Bonneval et plusieurs autres membres interrompent l'opinant, en disant : Nous n'avons pas vu cela.

M. de Virieu demande que l'orateur soit rappelé à l'ordre.

M. de Robespierre continue: Vous avez vu, ou vous avez dû voir le mépris le plus insultant du signe de la liberté nationale; vous avez vu que le commandant de Toulon a soutenu ses soldats avec audace, qu'il a voulu même les armer contre les défenseurs de la patrie... De ce qui vient d'être allégué par M. Malouet, je conclus que sa motion ne mérite aucune considération; qu'elle ne tend qu'à surprendre un décret, qui préjugerait votre décision sur une affaire des plus importantes.

L'Assemblée ajourne à demain deux heures le rapport de différentes pièces et la suite de cette discussion.

La séance est levée à quatre heures moins un quart.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SAINT-JUST. Séance du mardi 15 décembre 1789, au matın (1).

La séance est ouverte par la lecture du procèsverbal de celle de la veille, et des adresses suivantes :

Adresse de la ville de Thoissey en Dombes, qui demande la conservation des religieuses de la Visitation établies dans son sein, avec adhésion et soumission à tous les décrets de l'Assemblée nationale.

Adresse de la ville de Saint-Chamond-en-Lyonnais, qui, pénétrée du respect le plus profond pour l'Assemblée nationale, la supplie de l'autoriser à former provisoirement sa municipalité, jusqu'à ce que l'organisation des municipalités soit définitivement décrétée.

Adresse de la vallée de Baretous en Béarn, composée de six communautés, contenant une adhésion formelle à tous les décrets rendus et à rendre par l'Assemblée nationale, et notamment à celui qni porte l'abandon des priviléges et exemptions des provinces; elle donne des pouvoirs généraux et illimités à ses députés, désirant néanmoins que la coutume du Béarn, relativement aux droits successifs, soit conservée.

Délibération du comité permanent de la ville d'Annonay, par laquelle il invite chaque habitant

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

du Haut-Vivarais à déclarer ou arrêter quiconque chercherait, par des propos séditieux ou tout autre moyen, à troubler la sécurité générale, qui doit être fondée sur une confiance sans bornes dans les sages décrets de l'Assemblée nationale, et sur l'amour le plus dévoué pour le meilleur des rois.

Délibération de la commune de Saint-Vincentde-Boisset en Beaujolais, portant acceptation avec reconnaissance du don fait par M. de Saint-Vincent de l'abandon pendant sa vie, n'étant qu'usufruitier de sa terre, de tous les arrérages des droits seigneuriaux, même des lods à lui dus dans ladite paroisse, pour en faire l'emploi par lui désigné; et un consentement à ce que le montant du produit de l'imposition des ci-devant privilégiés pour les six derniers mois de 1789 soit versé dans le Trésor public avec celui de la contribution patriotique des habitants, aux époques fixées par le décret rendu à ce sujet; portant en outre que cette délibération serait communiquée aux paroisses de l'arrondissement, et qu'elle serait présentée à l'Assemblée nationale par M. Chasset, l'un des députés du Beaujolais.

Délibération des villages de Bellicourt, Hargicourt, Frénoy-le-Grand, Honnecourt, le Haucourt, le Vergie, Joncourt, Magny-la-Fosse, Nauroy-Vendelle et Vendheuille-France, bailliage de Saint-Quentin, qui adhèrent à tous les décrets émanés de la sagesse de l'Assemblée nationale, hors celui sur la gabelle, du 23 septembre. Ils offrent à la nation en don patriotique le produit des rôles des suppléments des ci-devant privilégiés pour les six derniers mois de cette année. Ils demandent à payer le sel, les trois derniers mois de cette année, à raison de 60 livres le minot; savoir, 45 livres par chaque quintal, pour être versées dans la caisse nationale à titre de don patriotique, et les 15 livres restantes seront payées au receveur; et à compter du 1er janvier 1790, ils payeront leur contribution pour le sel à raison de 30 livres le quintal, à condition qu'ils ne seront pas tenus de le lever au grenier à sel.

Adresse d'adhésion de la ville de Gournay en Normandie; elle demande une justice royale.

Adresse de la compagnie du jeu d'arquebuse de la ville de Chaumont-en-Bassigny, qui présente à l'Assemblée nationale l'hommage d'nne adhésion respectueuse à ses décrets, et d'un dévouement absolu pour en maintenir l'exécution; elle fait le sacrifice de tous les priviléges dont elle jouit depuis plusieurs siècles.

Adresse de la communauté de Soncourt, contenant une délibération sur l'établissement d'une milice nationale destinée à maintenir l'ordre et la tranquillité publique, et à faire exécuter, autant qu'il sera en elle, tous les décrets rendus et à rendre par l'Assemblée nationale; un procèsverbal qui ordonne la visite des bois du prieuré de la Genevroie, situés dans ladite communauté, et un rapport qui constate les dégâts énormes qui ont été commis dans ces bois par le prieur.

Adresse de félicitation, remerciement et adhésion de la ville de Marville en Verdunois; elle demande l'autorisation de sa milice nationale, telle qu'elle est formée, ensemble la conservation de sa prévóté royale; et en cas de suppression, elle supplie l'Assemblée de lui accorder une justice royale, et de couserver les officiers actuels, dont elle n'a qu'à se louer, et particulièrement du chef de la juridiction.

Adresse du même genre de la ville de Grenadesur-Garonne; elle demande l'établissement d'un des districts qui seront compris dans le département de Toulouse.

Adresse du même genre de la ville de Jallais en Mauges, province d'Anjou : elle demande une justice royale.

Adresse du même genre de la ville de Rodez: elle renonce expressément à tous ses priviléges; elle fait à la patrie le don des boucles d'argent de ses habitants, en attendant l'exécution du décret concernant la contribution patriotique: enfin, elle fait remise à la nation d'une créance, sur l'Etat, de 22,470 livres, payées par la ville de Rodez pour l'acquisition des offices municipaux dont les titres sont joints à l'adresse.

Adresse du même genre du comité municipal de la ville d'Argentan en Normandie: elle demande d'être le siége d'un tribunal supérieur.

Adresse des religieuses de la Visitation de Pontà-Mousson, en Lorraine, qui, pénétrées du respect le plus profond envers l'Assemblée nationale, la supplient, avec les plus vives instances, de les laisser vivre et mourir dans l'état qu'elles ont embrassé sans contrainte, qu'elles exercent avec zèle, et qui fait le bonheur de leur vie.

Adresse des officiers du bailliage royal de SaintOmer, qui présentent à l'Assemblée nationale l'hommage du plus entier dévouement pour l'exécution de ses décrets. Ils se plaignent de la lenteur que l'on met dans leur envoi, et demandent pour cette ville le siége d'une assemblée de dépar

tement.

M. le Président fait lecture d'une délibération des officiers du présidial de Besançon, qui, animés d'un zèle ardent pour la régénération de l'Etat, se sont fait un devoir, dès la rentrée de la SaintMartin dernière, d'offrir à leurs justiciables l'hommage de l'exercice gratuit des fonctions qui leur sont confiées, et de s'engager en même temps de redoubler de zèle et d'activité pour les remplir. Considérant néanmoins que des circonstances fâcheuses ont opéré une diminution sensible dans les ressources d'une classe nombreuse du peuple, que des secours extraordinaires sont indispensables pour soutenir cette portion de la nation dans la crise au milieu de laquelle se prépare le bonheur général, ils ont délibéré de remettre entre les mains des représentants de la commune de cette ville, l'abandon qu'ils font des émoluments attribués aux fonctions de leurs offices, pour que le profit en soit versé dans la caisse patriotique, établie pour fournir à la subsistance de la classe indigente. Ils supplient l'Assemblée nationale d'agréer cette délibération comme une preuve de leurs sentiments de respect, de soumission et de dévouement pour ses décrets.

Cette offre est accueillie avec applaudissement par l'Assemblée.

M. le Président fait part d'une réclamation de MM. les députés de Saint-Jean-d'Angely, contre une erreur du procès-verbal du 2 de ce mois. Ils ont demandé qu'au lieu de la relation qui y est faite, que l'abbaye royale, établie dans leur ville, soit remplacé par un collége, il soit inséré dans le procès-verbal de ce jour, que l'esprit de l'adresse de cette ville est que l'abbaye soit conservée pour y établir un collége à l'instar de ceux de Pontlevoy et Sorèze, tenus et administrés par les bénédictins de la congrégation de Saint-Maur.

La rectification de cette erreur est décrétée.

M. Latyl, prêtre de l'oratoire, député de la sénéchaussée de Nantes, dit qu'on a omis dans le procès-verbal du 19 novembre dernier, de meationner qu'après la lecture et l'acceptation faite

de la démission de M. Chevalier, et ses pouvoirs ayant été vérifiés, il avait été admis et proclamé député à l'Assemblée nationale; il a demandé que cette mention fût faite dans le procès-verbal de ce jour, ce qui lui a été pareillement accordé.

M. Garon de La Bévière, député de Bresse, donne sa démission; elle est acceptée.

M. le comte de Faucigny-Lucinge, son suppléant, dont les pouvoirs out été vérifiés, est admis comme député à l'Assemblée nationale.

M.Bureaux de Puzy.L'Assemblée avait chargé des commissaires d'examiner une machine dont M. l'abbé Demandre est auteur. Il résulte de notre examen que ce mécanisme, très-simple et infiniment ingénieux, peut s'appliquer avec avantage aux pompes d'épuisement, aux sonnettes à battre des pieux, etc., et qu'il double les forces des hommes. M. l'abbé Demandre a aussi fait l'application de sa machine à la navigation. Des pièces très-authentiques et la notoriété publique prouvent que, dans un des endroits où le Rhin a le plus de rapidité, trente bateaux, attachés à la suite les uns des autres, et dont quatre étaient remplis de gravier, ont facilement remonté ce fleuve par le moyen de ce mécanisme, auquel huit hommes étaient employés.

M. Malouet. On a fait à Toulon l'essai de la machine de M. Demandre, et le succès a été complet.

L'Assemblée témoigne le désir de voir cette machine M. le président annonce qu'elle sera exposée sur le bureau avant l'ouverture d'une des prochaines séances.

M. Malouet qui, dans la séance de la veille, avait demandé que M. le président fût autorisé d'écrire une lettre à Toulon dans les vues qu'il avait expliquées, désire que sa proposition soit de nouveau prise en considération.

M. le Président lui fait observer que l'Assemblée a rendu un décret, qui porte que sa demande est ajournée pour cejourd'hui à deux heures, à la charge par le comité des rapports de faire, le plus promptement possible, celui qui est relatif à cette affaire.

Après quelques observations de la part de quelques membres, M. le président met aux voix la question de savoir si le décret est véritablement dans les termes ci-dessus rapportés; elle décide l'affirmative. En conséquence, elle renvoie la discussion à l'ordre de deux heures.

M. le duc de Villequier présente sa démission, motivée, d'après un certificat de médecins, sur sa santé, qui ne lui permet pas de remplir ses fonctions. 11 annonce, par la lettre qu'il à écrite à M. le président le 11 de ce mois, que son suppléant a été choisi en même temps qu'il a été nommé lui-même, et quoique ce suppléant n'ait pas encore été admis, l'Assemblée, sans tirer à conséquence, accepte la démission de M. le duc de Villequier.

M. le comte d'Aremberg de la Marck demande la permission de s'absenter pendant quelque temps pour aller dans sa patrie; cette permission lui est accordée; il en remercie l'Assemblée par sa lettre à M. lé présideut, en lui annonçant qu'il se fera toujours une gloire de por

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M. Malouet reprend sa motion de la précédente séance tendant à fixer des bornes à la juridiction des municipalités.

Ce que je propose, dit-il, et ce que j'ai déjà proposé deux fois, tend à empêcher les grandes municipalités de prendre un empire sur les municipalités de moindre considération.

(L'Assemblée se montre impatiente).

L'orateur se hâte de lire deux articles portant: 1° qu'aucune municipalité n'aura, en administration, autorité ni juridiction sur une autre ; qu'elle ne pourra rendre ses arrêtés exécutoires ni les faire proclamer et afficher hors de son territoire; 20 qu'il sera défendu à toutes les municipalités des villes capitales et principales et à toutes autres, de prononcer par statuts et règlements sur les détails de la haute police et d'administration générale, autrement qu'en exécution des décrets de l'Assemblée nationale sanctionnés par le Roi.

M. Charles de Lameth. La disposition qui nous est proposée est inadmissible dans les circonstances actuelles. Si elle était admise, personne ne pourrait prévoir où s'arrêterait le désordre dans la capitale, car vous n'ignorez pas combien de pouvoirs la municipalité de Paris a succédé et dans combien d'occasions elle a été obligée d'outrepasser les attributions qui lui sont confiées dans un autre ordre de choses. Si vous adoptiez la motion, vous mettriez la subsistance de la capitale entre les mains du premier intrigant venu. Voilà les motifs qui m'engagent à demander la question préalable.

M. Defermon. Qu'avons-nous décrété sur les municipalités ? qu'elles seront chargées de la perception et du recouvrement des impôts. Vous décréterez plus tard quels statuts elles pourront faire relativement à la police; mais le faire à présent serait exposer les campagnes aux plus grands désordres. Je demande que la motion soit ajournée jusqu'au moment où l'on s'occupera de l'organisation du pouvoir judiciaire.

M. Dufraisse-Duchey. Les craintes des préopinants sont autant de chimères, tandis qu'il serait du plus grand danger que les grandes villes, profitant de l'influence que leur donne nécessairement leur population, s'arrogeassent une espèce d'empire sur les villes d'une faible importance.

M. le vicomte de Mirabeau paraît à la tribune.

On demande la clôture de la discussion. Elle est prononcée.

M. le vicomte de Mirabeau, s'écrie: On nous ferme la bouche dès que nous voulons défendre les provinces et les opprimés!

M. le Président consulte l'Assemblée quidécide qu'il n'y a pas lieu à délibérer, quant à présent, sur la motion de M. Malouet.

L'ordre du jour appelle la discussion de la mo

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M. Barrère de Vieuzac (1). Messieurs, quoique le premier soin des législateurs soit de se détier de l'éloquence, et d'examiner froidement ce qu'elle lui présente avec enthousiasme, je ne peux m'empêcher de rendre un hommage public aux grandes vues que M. de Mirabeau a développées hier daus cette même tribune. C'est une sublime pensée de mettre de la fraternité entre toutes les fonctions publiques. C'est une belle conception législative de jeter un voile d'honneur sur toutes les magistratures, de changer tous les emplois publicsjen témoignage de vertu, de faire de ces dépôts, que la patrie confie à un citoyen, autant de titres pour parvenir aux fonctions les plus éminentes de la société. Il fallait surtout, en régénérant les municipalités, effacer les traces de cette espèce de flétrissure que l'orgueil, les préjugés le despotisme des agents subalternes du pouvoir, el le fisc lui-meme, leur avaient imprimées depuis un siècle. Il fallait engager tous les citoyens sans distinction à servir la patrie avec le même zèle, dans les inagistratures les plus inférieures, pour mériter la préférence sur leurs concurrents. Il fallait enfin ouvrir le trésor de l'honneur, au lieu d'accorder à ces faits odieux de priviléges, des exemptions et de vaines prérogatives. C'est ainsi, Messieurs, qu'à Rome, par une allégorie admirable, on n'arrivait au temple de l'honneur qu'en passant par celui de la vertu.

Mais, en adoptant ces grandes vues de législation, devons-nous adopter aussi l'application qu'en fait M. de Mirabeau? Devez-vous exiger rigoureusement cette marche expérimentale, et ces honneurs graduels? Devons-nous exclure, avec sévérité, des grands honneurs ceux qui n'auront pas parcouru toute l'échelle politique que l'auteur de la motion a élevée devant vous ?

C'est ici que les doutes se présentent....

Je ne dirai pas que la motion de M. de Mirabeau détruit absolument vos décrets qui admettent des éligibles à l'Assemblée nationale, âgés de 25 ans, puisque, d'après son calcul, il faudra avoir 35 ans révolus pour y parvenir.

Je ne dirai pas que cette motion fait revivre les trois degrés d'élection que vous avez sagement proscrits, dans l'idée de donner au peuple une influence plus directe, et un champ plus vaste à l'élection.

Jene dirai pas que la motion tend à faire administrer toutes les municipalités par des jeunes gens âgés de 21 ans, tandis qu'il importe à la nation que des hommes mûrs soient chargés de ces fonctions importantes mêlées de justice, de police, d'administration et de pouvoir militaire; le bon sens de l'administration est bien différente du génie des lois.

(1) L'opinion de M. Barrère de Vieuzac n'a pas été insérée au Moniteur.

Mais ce que je dirai, ce que je prouverai sans peine, c'est que la motion de M. de Mirabeau tend à resserrer le cercle des éligibles déjà si fort rétréci par vos décrets; c'est qu'elle tend à concentrer les élections dans un plus petit nombre de citoyens qui auront eu assez de fortune pour s'occuper entièrement pendant dix années de l'administration publique. C'est en cela, Messieurs, que je découvre une véritable lésion des droits des citoyens, une brêche faite à la déclaration des droits, et des bornes mises au droit naturel de représentation.

Loin de nous donc ces transitions administratives, ces espérances graduelles, dès qu'elles peuvent nuire au premier, au plus sacré de tous les droits!

Parmi les autres inconvénients que produirait cette motion, si elle est admise telle qu'elle est rédigée, l'homme le moins susceptible de réflexion y aperçoit l'impossibilité, presque certaine, d'avoir, même dans dix ans, un nombre suffisant d'éligibles, pour que la confiance populaire ait la latitude qui lui est due, et qui lui est nécessaire. Qui d'entre vous n'est pas persuadé que les citoyens dignes d'administrer leur pays, ou de former ses lois, ne peuvent pas avoir été tous, dans quelle période de temps qu'on le suppose, membres des corps municipaux et administratifs, ce serait cependant une injustice manifeste de les exclure.

Une pareille loi avait été proposée aux Américains par l'abbé de Mably, dans un de ses ouvrages. Voici ses paroles : « Il voulait que chaque république se fit une loi de ne charger de ses pouvoirs, dans le congrès continental, que des citoyens qui auraient été employés dans le conseil, auquel il a confié la puissance exécutrice, et qui s'y seraient distingués par leur probité et leurs talents. Je voudrais, disait-il, que le plus grand honneur, auquel puisse aspirer un citoyen, fût d'être délégué au conseil de vos Amphictyons. »

Quelques Américains ont réfuté l'abbé de Mably; ils ont craint, en adoptant une pareille loi, de borner à un trop petit nombre leurs éligibles au congrès; ils ont pensé que tous les citoyens étaient également appelés à faire des lois, si la république les trouvait capables, quoiqu'ils n'eussent point exercé d'autres fonctions publiques. Quant à l'honneur, disaient ces zélés républicains, nous pensons qu'un citoyen est assez honoré par la place que la patrie lui confie, de quelque nature qu'elle soit, et que cet honneur est plus ou moins grand, suivant la manière plus ou moins distinguée dont il remplit ses devoirs......

Laissons donc, Messieurs, aux peuples, laissons aux électeurs le soin et la liberté de reconnaître les services qu'on aura rendus, et ne craignons pas que le peuple, restitué dans ses droits et libre dans ses suffrages, ne distingue, avec autant de sagacité et de justice, les hommes dignes de sa confiance pour le corps législatif.

Les municipalités, devenues électives, s'élèveront d'elles-mêmes au-dessus des préjugés absurdes, et des tyrannies de la vanité. Elles deviendront l'objet de toutes les ambitions nobles, de toutes les volontés pures, de toutes les vertus populaires. Mais si vous en faites un degré pour arriver à l'Assemblée nationale, vous les perdrez en voulant les honorer. Ce ne sont jamais les titres de ceux qui occupent les places qui les relèvent, mais la vertu et le mérite de ceux qui les exercent. La gradation expérimentale qu'on nous

propose ressemblerait bientôt à ces grades dérisoires que les lois avaient prescrits pour encourager l'étude des lettres et des lois par l'aptitude à la possession des bénéfices, ou des offices de judicature; et les fonctions administratives ne seraient que de vains titres d'ambition et de vanité.

Faut-il pour cela, Messieurs, abandonner le plan de M. de Mirabeau? faut-il rejeter sa motion? Non, sans doute; les idées morales qu'elle renferme méritent d'être consacrées solennellement dans vos lois. Voici les motifs de l'usage qu'on en peut faire :

Il faut distinguer le Corps législatif du corps administratif. Je ne parle, d'abord, que de l'éligibilité pour les Assemblées nationales.

Déjà vous avez rejeté le tribut civique qu'on vous proposait comme un moyen d'éligibilité, et vous avez été aussi justes que politiques; la loi et la constitution auraient eu un caractère de fiscalité indigne d'elle et de vous.

Vous avez décrété que la réception civique, et le serment patriotique ne dispenseront pas des autres conditions d'éligibilité; et ces moyens vous ont paru insuffisants pour obtenir une pareille dispense.

Mais aujourd'hui, Messieurs, jetez les yeux sur vos décrets concernant l'éligibilité; voyez à quel point vous avez borné la confiance des peuples, et affaibli ses espérances, qui sont son unique domaine; voyez à quel petit nombre vous avez réduit ces éligibles. Voulez-vous resserrer encore le cercle ou l'étendue? Voulez-vous servir ou détruire la liberté publique? Eh bien, Messieurs, M. de Mirabeau vous propose évidemment de restreindre le cercle des éligibles; car il y aura bien moins d'hommes qui aient obtenu deux fois les suffrages publics pour les administrations et les municipalités, qu'il n'y en a dans ce moment d'éligibles à l'Assemblée nationale, d'après vos décrets. Je vous propose au contraire d'étendre ce cercle, et d'augmenter la latitude de la confiance publique.

M. de Mirabeau inflige une sorte de peine par l'exclusion qu'il donne à ceux qui n'auront été ni du district, ni du département, ni de la municipalité.

Et moi, Messieurs, je vous propose de donner un encouragement à ceux qui, n'ayant pas les autres conditions, auront été deux fois d'un district, municipalité ou administration.

On vous propose d'éloigner le citoyen qui n'a pu être officier municipal ou administrateur. Je vous propose d'encourager le citoyen vertueux, éclairé, qui n'aura pas assez de fortune pour être imposé au marc d'argent.

On vous propose de faire une nouvelle condition d'éligibilité; et je vous propose d'en faire un titre de dispense.

J'ajouterai même dans la classe des hommes qui pourraient aspirer à l'éligibilité sans avoir rempli les conditions prescrites, ceux qui auront exercé, pendant quatre années, cette magistrature aussi morale que politique, aussi religieuse que civique, qui maintient les peuples dans la fidélité aux lois, qui secourt les indigents, et console les malheureux.

Tournez donc, Messieurs, des regards favorables vers les moyens d'encourager le civisme, au lieu de l'atténuer et de le refroidir. C'est l'opinion qui dirige les hommes. C'est la majesté des récompenses publiques qui commande tous les sacrifices, tous les travaux utiles. Dans une nation chez laquelle l'amour de la patrie vient

s'identifier à l'honneur, vous pouvez attacher les citoyens à toutes les fonctions importantes de la société. C'est ici la cause de la nation que je défends; car elle n'a pas d'autre moyen de récompenser les différents services publics et de s'acquitter envers ceux qui les font, que de dispenser les bons citoyens et les hommes éclairés, des conditions que la fortune a imposées, ou que M. de Mirabeau vous a proposées : c'est pour ellemême que la nation agit lorsqu'elle encourage ainsi à la servir.

Je propose l'article suivant:

Tous les citoyens français qui auront réuni deux fois les suffrages du peuple, comme membres de quelqu'une des assemblées administratives de département, de district ou de municipalité, ou qui auront rempli, pendant quatre années au moins, une place de magistrature, civile ou religieuse, seront dispensés des autres conditions de l'éligibilité pour l'Assemblée nationale; et ceux qui auront été une seule fois membres des municipalités, seront dispensés des autres conditions d'éligibilité pour les assemblées administratives de département et de district.

M. Verchère de Reffye. Quelque intéressante que soit la motion, elle est moins pressante que beaucoup d'autres objets de constitution. Je demande qu'elle soit ajournée, et qu'on s'occupe en ce moment de la constitution militaire.

M. le comte de Clermont-Tonnerre. Quoique l'exécution de la motion soit éloignée, les effets en seront prochains; il est important qu'elle soit promptement prise en considération.

M. Roederer. Une des raisons sur lesquelles M. de Mirabeau fonde sa motion est de rendre honorables à tous les citoyens les premières fonctions de la société. Beaucoup de gens, faits pour remplir les places des municipalités, les dédaigneront, si elles sont isolées des autres emplois publics. En en faisant des échelons pour les emplois supérieurs, ils s'empresseront sur-le-champ de les occuper, quoique l'effet de la motion ne doive avoir lieu qu'en 1797. Je pense en conséquence qu'elle ne doit pas être ajournée. Elle est susceptible de beaucoup d'amendements; mais, après avoir fait le départ du bien et du mal qu'elle renferme, elle pourra être décrétée. Je propose de la discuter sur-le-champ.

M. Duport (1). Messieurs, s'il s'agissait de lutter de talents avec ceux qui ont parlé avant moi, je serais effrayé sans doute; mais heureusement il s'agit de raison, et l'on sait que le talent et la raison ne sont pas toujours d'accord.

La question que vous avez à décider est celleci: Voulons-nous recommencer notre constitution? au lieu de l'Assemblée nationale, établir un Sénat? - au lieu de créer un gouvernement pour les peuples, sacrifier les peuples au gouvernement?

On vous a dit qu'il fallait rendre plus intéressantes et plus recherchées les fonctions des assemblées d'administration et de municipalité.

On vous a dit encore qu'il fallait amener aux législatures des hommes capables et éclairés dans l'administration. Ces vues sont désirables, mais il ne faut pas sans doute y sacrifier notre liberté.

(2) L'opinion de M. Duport n'a pas été insérée au Monileur.

1re SÉRIE, T. X.

D'abord pour les appuyer, l'on vous a cité, et bien gratuitement à mon avis, l'exemple des Romains. Chez ce peuple, toutes les fonctions, tous les honneurs étaient graduellement conférés aux citoyens. L'on commençait par les fonctions municipales, ensuite celle de trésorier, de juge, enfin de général d'armée. C'est ainsi qu'en alliant toutes les fonctions publiques, on les soumettait toutes à un même esprit; au lieu que divisées dans nos gouvernements modernes, elle ont fait naître, dans les corps, des esprits et des principes différents. Cette gradualité des fonctions, qui tend à fortifier l'unité dans le gouvernement, est essentiellement utile dans l'ordre du pouvoir exécutif, mais elle est absurde et nuisible dans l'ordre de la législation. Lorsque des hommes exercent seuls ou en petit nombre des fonctions publiques, lorsque ces fonctions leurs confèrent un grand pouvoir, alors la liberté publique veut qu'on les environne de près de l'opinion, qu'on accumule autour d'eux les motifs de bien user de leur pouvoir, qu'on prenne dans leur intérêt même un garant de leur bonne conduite, en un mot qu'on mette leur intérêt d'accord avec leur conscience.

Mais l'Assemblée nationale n'est point cela. Ce n'est point un sénat comme à Rome; ce n'est point un tribunal, ni une assemblée purement administrative, comme on voudrait la faire envisager c'est une réunion de citoyens, dont le but est de censurer, contenir et diriger tous les pouvoirs. Elle n'en exerce proprement aucun, parce qu'elle les renferme tous. C'est le foyer de tous les principes, de la raison et de la justice qui vivifie, anime et rectifie toutes les parties de l'ordre social.

Il est tellement hors de propos, à mon sens, d'exiger que l'on ait été membre des assemblées administratives, pour devenir membre de la législature, qu'il serait facile de prouver que l'opinion contraire est vraie. Je voudrais que tous les membres de la législature eussent l'expérience de tous les pouvoirs, non pour les avoir exercés, car ils seraient portés à les étendre, mais pour y avoir été soumis, parce qu'ils seraient portés å les restreindre. L'Assemblée nationale a pour unique objet d'exprimer la volonté du peuple, et non la volonté de ceux qui le gouvernent; et pour cela il est nécessaire que le peuple rentre souvent, pleinement et sans restriction dans son droit de choisir ses représentants. C'est d'abord la seule manière de le consulter d'après notre constitution; et d'ailleurs, une réunion d'administrateurs et de juges peut-elle présenter l'idée d'une assemblée qui ne doit ni administrer, ni juger, ni gouverner, mais contenir et réprimer ceux qui jugent, qui administrent, qui gouver

nent.

Il existe d'autres inconvénients encore à la motion.

La nature semblait entièrement d'accord avec nos idées. Elle a réparti entre les hommes des talents divers. Elle les a surtout séparés en deux classes bien distinctes ceux qui se plaisent aux détails, qui dévorent les difficultés, et que le travail le plus long ne rebute point; et les hommes plus paresseux peut-être, mais plus méditatifs, plus propres par conséquent à généraliser leurs idées, et à voir l'ensemble des affaires; les premiers semblent appelés à exercer des fonctions administratives, les seconds sont plus propres à devenir membres des législatures. La fortune les différencie également. Il est beaucoup d'hommes estimables qui seraient détournés de

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