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ble, je dirai que la défense de l'armée de Flandre s'étend depuis Dunkerque jusqu'à Montmédy; celle d'Alsace, depuis Montmédy jusqu'à Huningue; et celle du Dauphiné, depuis le Fort-Barraux jusqu'à Antibes.

La frontière, depuis Huningue jusqu'au FortBarraux, se trouve défendue par notre alliance avec la brave et loyale nation suisse, qui nous épargne l'entretien d'une armée d'au moins soixante mille hommes.

Chacune de ces trois armées, en compensant les différences qu'exigeraient les localités, ne pourrait être, l'une dans l'autre, au-dessous de soixante mille hommes, infanterie, artillerie et cavalerie, tout compris.

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En établissant cette force défensive, je n'ai pas supposé que nous la porterions sur les terres ennemies, quoique ce soit le meilleur moyen de se défendre et de ménager son propre pays: j'ai seulement voulu établir le calcul le plus rigoureux, car il me resterait encore à parler des troupes en communication, pour assurer les derrières, les convois et la retraite après une bataille perdue. Mais une armée de cent cinquante mille hommes recrutée et renforcée par quatre-vingt mille hommes de milices, suffirait rigoureusement, avec le secours des gardes nationales, dont chaque département fournirait facilement un bataillon pour le service intermédiaire. Cette ressource jointe à d'autres motifs bien connus, milite fortement pour le maintien d'une troupe qui sera justement célébrée par les historiens de la Révolution.

Si quelqu'un m'objectait qu'il n'est pas vraisemblable que nous soyons jamais attaqués à la fois par tous les points que j'ai indiqués; je lui répondrai que nous ne le serons jamais dans aucun des points indiqués, ou que nous le serons dans tous ces points à la fois, parce qu'il n'y aurait qu'une ligue de toute l'Europe, qui pourrait former une entreprise contre les Francs ressuscités, et que, malgré que je ne sois nullement inquiet de la manière vigoureuse dont nous prouverions à cette ligue que l'insurrection des Français fut la résurrection des Francs en corps et en âme, il y a toujours plus à gagner à empê. cher la ligne de se former qu'à la combattre, et que ce n'est pas à l'aurore de notre renaissance, que nous devons négliger cet adage, vieux comme le temps, que, pour avoir la paix, il faut étre prêt à la guerre. J'y ajouterai même encore que la sécurité d'un peuple nouvellement libre, est l'avant-coureur de son indifférence pour la liberté.

Ce serait donc bien impolitique que de réduire, par un esprit d'économie, l'armée fort au-dessous de ce qu'elle doit être; car si la prodigalité dévore l'avenir, la parcimonie l'étrangle.

Je finis par des excuses à mes lecteurs, d'avoir osé leur présenter un discours et des réflexions aussi mal rédigés. Mes excuses sont fondées sur

trois raisons auxquelles ils auront sûrement égard. La première est, que l'Assemblée nationale en a décrété l'impression; la deuxième, que j'ai appris la langue française trop tard pour y exceller; la troisième que je fais mes écrits moi-même, et que je ne peux prendre sur moi d'y retoucher. (L'Assemblée ordonne l'impression du discours.)

M. le Président. M. le baron de Wimpfen demande que M. le marquis d'Ambly soit adjoint au comité militaire.

L'Assemblée décrète que M. le marquis d'Ambly est adjoint au comité militaire.

M. le Président. L'Assemblée passe maintenant à son ordre du jour de deux heures et va s'occuper de l'affaire de Toulon.

M. Malouet monte à la tribune et veut parler. On lui fait observer que l'affaire a été ren voyée au comité des rapports, et que ce comité n'est pas prêt.

M. Dufraisse-Duchey, pour écarter l'ajournement, demande que l'Assemblée se forme en grand comité, pour décider sur-le-champ, après avoir pris connaissance des pièces qui peuvent avoir été renvoyées, soit par les officiers de la marine, soit par le commissaire du Roi, soit par les officiers municipaux; et dans le cas où la décision serait impossible, par le défaut de ces pièces, que la discussion soit ajournée jusqu'à l'instant où on les aura.

M. Nairac. D'où M. Malouet a-t-il eu les pièces dont il a parlé hier? Si ce sout des lettres particulières, le courrier extraordinaire envoyé par la ville de Toulon n'a donné nulle inquiétude. L'intérêt des citoyens de cette ville doit rassurer davantage encore.

M. le baron de Menou, Personne n'est indifférent sur le sort de la ville de Toulon; mais nous n'avons nulle connaissance officielle des détails sur lesquels on veut que nous délibérions. Je fais la motion expresse que le président se retire pardevers le Roi, à l'effet de savoir quelle est la situation actuelle du port de Toulon.

M. Malouet. J'ai déposé au comité des rapports les pièces qui constatent les faits sur lesquels je désire fixer l'attention de l'Assemblée. Leur importance me fait insister pour qu'on délibère sans délai.

Une partie de l'Assemblée persiste à demander que la délibération soit différée, jusqu'à ce que le comité des rapports ait été entendu sur l'ensemble des faits.

On décide de s'occuper sur-le-champ de cette affaire.

M. Malouet. Les lettres que j'ai déposées ont été écrites au ministère par M. d'André, par M. le commandant de la ville, et par l'officier qui commande le port à la place de M. d'Albert. Une fausse nouvelle a été répandue; elle favorise l'insurrection, en donnant le prétexte de rester en armes. Les entrepreneurs du port sollicitent la résiliation de leur marché, parce que les ouvriers font des demandes tumultueuses et des menaces inquiétantes.

Je demande que M. le président soit autorisé a écrire à la municipalité de Toulon qu'aucune

escadre ne menace le port, et qu'on prendra en considération les demandes des ouvriers, sitôt que le calme et la subordination seront rétablis.

(On presse M. Malouet de donner la preuve des demandes des ouvriers.)

M. Ricard de Séalt, l'un des députés de la sénéchaussée de Toulon. Nous avons reçu des lettres de Toulon; elles sont datées du 7, et ne contiennent rien qui soit conforme à celles qui ont été communiquées à M. Malouet. Il est incroyable que l'on effraie le Roi et les ministres, par des bruits aussi faux qu'invraisemblables.

Je certifie qu'il y a une connexité évidente entre les deux événements arrivés le mois dernier à Toulon. Je certifie qu'on a préparé le combat, qu'on a exhorté les soldats dans leurs quartiers, que des gargousses et des cartouches, faites dans le parc d'artillerie, leur ont été délivrées, tandis qu'on avait refusé deux cartouches à chaque poste de la garde nationale. Je certifie qu'on a commandé aux soldats de tirer sur le peuple, avant qu'on put prévoir un soulèvement. Je certifie que M. d'Albert aurait pu arrêter l'insurrection, s'il avait accordé la grâce aux deux charpentiers qui ajoutaient à leur délit celui de porter la cocarde nationale. Cette grâce fut enfin donnée, lorsqu'on eut refusé d'exécuter la loi martiale, et que l'effervescence fut portée à l'excès.

C'est cette milice nationale qui a sauvé M. d'Albert, et que l'on a cherché à inculper; c'est elle qui a défendu bravement les officiers du Roi et les droits des citoyens, et c'est contre elle qu'on veut aujourd'hui surprendre un décret à l'Assemblée... J'ai été indigné d'entendre dire hier que les demandes des ouvriers, quelque raisonnables qu'elles fussent, ne seraient accueillies qu'après le calme rétabli..... Mon devoir m'oblige de le dire, si on pouvait croire à Toulon qu'un artifice ou qu'une intrigue quelconque nous ont arraché un décret qui ne serait pas le vœu de l'assemblée, c'en serait fait de la classe de ceux qui y auraient participé.....

M. de Montlosier interrompt M. Ricard, et demande qu'il répète ses dernières expressions.

M. Ricard les répète, et continue: Il y a deux partis dans toute ville de guerre. Celui qui, à Toulon, s'oppose encore à la révolution, est beaucoup moins fort que celui des citoyens. Il serait imprudent de rendre un décret tel qu'on le propose ce serait exposer mille personne à la vengeance de dix-neuf mille. On peut éviter ce malheur en ne précipitant pas la décision d'une affaire importante, qui ne sera bien jugée que quand elle sera bien connue.

M. Malouet par le des lettres écrites le 7, avant midi nous en avons reçu par un courrier extraordinaire, datées du 7, avant minuit; elles ne disent rien des faits que contiennent celles des ministres du Roi. Dans les circonstances où nous sommes, si l'arsenal de Toulon est en péril, si vous voulez véritablement le sauver, le premier moyen est de prier le Roi de retirer les officiers de Toulon. Je ne prétends pas attaquer leur réputation; je reconnais qu'ils sont tous de braves geus; mais leur propre salut existe uniquement dans leur retraite. L'insurrection subsistera tant qu'ils resteront dans la place.

Le second moyen est de nommer des officiers qui ne soient pas suspects au peuple.

Le troisième moyen consiste à témoigner un peu plus de confiance à un peuple généreux, aussi

avide de la liberté que fier de la force qu'il a développée pour la conquérir, et qu'il conserve pour la maintenir.

La motion de M. Malouet est inadmissible.

Si l'Assemblée le juge nécessaire, la députation de Toulon écrira à la municipalité pour détruire le bruit absurde qu'on prétend s'être répandu dans cette ville.

M. Malouet. Le préopinant a traité le fond de l'affaire ; je m'en étais abstenu. Il a exposé des faits graves contre M. d'Albert; je dois y répondre pour éviter la prévention défavorable qui ne tarderait pas à s'établir. Je puis les expliquer d'une manière bien simple.

Tous les jours on fait de l'artifice dans le parc d'artillerie et dans l'arsenal. Toutes les dépositions se réunissent à constater qu'au premier ordre donné aux soldats de charger leurs armes, ils ont désobéi. Je demande si on a pu ensuite ordonner de faire feu avec des armes qui n'étaient pas chargées.

L'heure étant très-avancée, la suite de cette affaire est renvoyée à demain deux heures. La séance est levée à quatre heures.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SAINT-JUST. Séance du mardi 15 décembre 1789, au soir (1).

M. Lebrun, au nom du comité des finances, propose un décret concernant les impositions de la ville de Paris, qui est adopté sans discussion ainsi qu'il suit:

« L'Assemblée nationale ayant entendu le rapport fait au nom de son comité des finances, d'une demande formée par le maire et les officiers municipaux de la ville de Paris, au nom de la commune, relativement à la perception des impositions de 1789, et à la répartion prochaine de 1789, a jugé convenable de ne prononcer, dans ce moment, que sur la connaissance des contestations relatives à la répartition ou au recouvrement de 1789 et années antérieures: en conséquence, elle a décrété que les contestations qui ont pu ou pourront s'élever sur les impositions de 1789 où années antérieures, seront jugées provisoirement et sans frais par le comité composé des conseillers administrateurs de la ville de Paris, au département des impositions, présidé par le maire de Paris, ou en son absence, par le lieutenant de maire; et que ce même comité surveillera le recouvrement des impositions de ladite année 1789, ainsi que des années antérieures. >>

M. Le Chapelier demande à être entendu sur la conduite de la chambre des vacations du parlement de Rennes. Il dit que cette chambre s'est conduite d'une manière plus répréhensible que les parlements de Rouen et de Metz, en ce qu'elle a d'abord refusé nettement de transcrire sur ses registres le décret du 3 novembre dernier sanctionné par le Roi; ensuite, refusé une seconde fois sur des premières lettres de jussion; et une troisième, après de secondes lettres semblables, en répondant au Roi, suivant le mémoire adressé par M. le garde des sceaux à l'Assemblée, qu'elle ne pouvait se charger des fonctions qui lui étaient

(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.

attribuées par le décret. L'orateur fait remarquer qu'il y a dans cette conduite une désobéissance formelle, réfléchie et réitérée aux décrets de l'Assemblée et aux ordres du Roi qui peut mériter des peines bien plus sévères que les chambres des parlements de Rouen et de Metz; que cependant, d'après sa propre façon de penser, et suivant une délibération prise par la municipalité de Rennes, les généraux des paroisses et les députés des différentes corporations, et une adresse de la même municipalité, dont il fait lecture, il se borne a demander l'érection d'un tribunal provisoire; tel qu'il est proposé dans l'adresse, pour remplir les fonctions dont les magistrats composant ladite chambre, se sont dépouillés votontairement, en restant sourds à la loi de leur devoir, aux réclamations et aux pressantes instances de leurs justiciables; en conséquence, il lit et propose un projet de décret.

M. Prieur dit que le projet de décret est trèssage, qu'il ne peut qu'y applaudir, mais qu'il est insuffisant pour l'intérêt de l'ordre public; il propose un amendement, tendant à ce que les membres de la chambre des vacations du parlement de Rennes soient mandés à la barre ; et dans le cas où ils ne justifiraient pas leur conduite, qu'ils soient envoyés au Châtelet, pour la forfaiture être jugée contre eux, suivant les précédents décrets de l'Assemblée.

M. le baron de Tessier de Marguerittes demande que M. le président se retire devers le Roi pour le supplier d'envoyer un commissaire qui composerait une chambre des vacations des membres du parlement qui n'auraient pas pris de part aux arrêtés du corps, et que ce commissaire soit autorisé à faire transcrire ce décret sur les registres du parlement.

M. Tuaut de la Bouverie, député de Bretagne, pour appuyer le décret et l'amendement, se borne à lire une délibération de la municipalité de Ploërmel, dont l'Assemblée ordonne l'insertion dans le procès-verbal, et l'impression. Elle est conçue en ces termes :

Extrait des registres des délibérations de la municipalité de la ville de Ploërmel.

Du 10 décembre 1789.

« A l'assemblée de la municipalité de la ville de Ploërmel, tenue en l'hôtel de ville, après conVocation particulière, répétée par le son de la cloche, à laquelle se sont réunis les membres du comité, où présidait M. Gaillard de Kbertin, maire et président;

L'assemblée, considérant que celui qui refuse d'obéir aux décrets de l'Assemblée nationale, et cherche à diminuer la confiance aux actes qui émanent d'elle, ne veut que repousser 23 millions d'hommes dans les mêines fers sous lesquels ils avaient langui abattus pendant tant d'années, et qu'ils ont eu la force de briser; et que, par conséquent, il ne peut être que l'ennemi de la liberté et de la régénération salutaire de la France.

<< Considérant encore, que, dans ces moments surtout où la fermelé, le courage des Français, et les vœux de ceux-ci, vont être couronnés, et où le terme de l'esclavage a été fixé, toute nouvelle insurrection exhalée du fond de l'abîme où l'aristocratie et ses satellites doivent être engloutis

pour jamais, ne pourrait qu'engendrer de ces maux horribles préparés avec cette même noirceur et cette même adresse dont nos tyrans se félicitaient de nous rendre les victimes, mais que le ciel nous a fait éviter, et ne pourrait que nous replonger dans une suite de malheurs plus affreux encore que ceux que nous avons essuyés.

Considérant de plus, que si de pareilles manœuvres, de la part de quelques individus, ne doivent mériter à leurs auteurs qu'une punition éclatante et proportionnée à des attentats si odieux, nécessairement elles deviennent infiniment plus graves et plus criminelles encore de la part d'un corps qui, au lieu de se joindre au peuple dont il devrait être le soutien, ose se mettre au rang de ses oppresseurs;

« Considérant enfin qu'un délit de cette nature, auquel il manque un nom à raison de l'horreur qu'il inspire, ne peut être puni trop rigoureusement, alin de prévenir de nouvelles calamités, et d'étonner les rebelles, et qu'au contraire l'indulgence ne doit plus être employée dans ces instants, où l'étendard aristocratique parlementaire se déploie ouvertement, et d'une manière propre à faire craindre qu'il pourrait être soutenu;

« A, d'une voix unanime, déclaré ennemi de la nation, et traître envers elle et le Roi, et arrêté de traiter désormais comme tel quiconque oserait refuser d'obéir aux décrets de l'Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par Sa Majesté, les méconnaitre, ou chercherait à les discréditer, même tous les parlements, et notamment celui de Bretagne, qui persisteraient dans les intentions et opiniâtretés anti-nationales qu'ils auraient manifestées.

A en même temps arrêté d'adresser copie de la présente délibération à MM. les députés de cette sénéchaussée à ladite Assemblée, pour la supplier d'y avoir égard, et de punir ou faire punir rigoureusement et sans aucune considération, comme coupables de lèse-nation et forfaiture particulière, tous ceux qui ne reconnaîtraient pas ses décrets, ou voudraient attenter à leur force, tant le parlement de Bretagne que toutes les autres cours et corps qui auraient montré les mêmes sentiments.

« A encore arrêté d'en adresser copie aux membres tenant le parlement de Bretagne, afin qu'ils n'en prétextent cause d'ignorance, et à toutes les municipalités de la province et du royaume, pour qu'elles aient à prendre le parti que la sagesse et les circonstances leur suggéreront; et ont, les délibérants, signé. Le registre dûment signé.

« Pour copie conforme au registre, signée : MEELA l'ainé, secrétaire. »

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M. le Président rappelle l'interrupteur à | à l'ordre par M. le président, sera nommé dans le l'ordre. procès-verbal. »

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M. le vicomte de Mirabeau interrompt le président, en termes peu mesurés, et s'obstine à vouloir être entendu, malgré les observations qui lui sont faites de toute part. (L'Assemblée reste longtemps dans un désordre extrême.)

M. le Président parvient enfin à ramener le calme.

M. Bouche. Le scandale auquel nous venons d'assister n'a pu être prévu par votre règlement; je demande que celui qui en est l'auteur soit exclu pendant huit jours de l'Assemblée.

M. Barnave. Cette peine excède notre droit. Je propose l'exclusion pour la séance seulement, afin que l'orateur réfléchisse sur ses intempérances de langage et autres.

(L'intempérance de M. le vicomte de Mirabeau lui avait mérité le surnom de Mirabeau-Tonneau.)

M. Alexandre de Lameth. Comme il est indispensable de conserver quelque décence dans les séances de l'Assemblée, je demande que M. le vicomte de Mirabeau soit rappelé à l'ordre et que son nom soit inscrit au procès-verbal. Je demande ensuite que l'Assemblée ajourne à la séance de samedi soir la question de savoir quelle punition mérite un membre qui s'oublie au point de manquer de respect au président et à l'Assemblée, et si cette punition peut s'étendre jusqu'à l'exclusion de ce membre.

L'ajournement à samedi est décrété, ainsi que la reprise de l'ordre du jour.

M. le vicomte de Mirabeau réclame la parole avec un grand éclat de voix.

(Les termes peu mesurés de l'orateur et ses emportements au delà des bornes prescrites dans une assemblée publique, font renaître le tumulte.)

Plusieurs membres demandent que la séance soit levée, en mentionnant la cause de sa discontinuation.

M. Lambert de Frondeville cherche à excuser l'orateur en disant que, s'il a tant élevé la voix, c'est par un excès de sensibilité et d'inquiétude sur l'ajournement prononcé à samedi prochain. Il demande que l'ajournement soit révoqué et qu'on revienne simplement à l'ordre du jour.

M. le duc de Liancourt. L'Assemblée a été troublée d'une manière extrêmement pénible pour elle-même et pour le public qui assiste à la séance. Je suis loin de pencher pour les partis rigoureux, mais je ne puis m'empêcher, dans l'intérêt de l'Assemblée, de demander qu'en révo quant l'ajournement, le membre qui a été rappelé à l'ordre par M. le président soit nommé dans le procès-verbal.

Cette motion est mise aux voix et l'Assemblée décrète seulement :

«Que M. le vicomte de Mirabeau, qui a été mis

M. le baron de Menou. La plus belle grâce qu'on puisse faire à M. le vicomte de Mirabeau, c'est de croire qu'il n'est pas de sang-froid.

La discussion est reprise sur l'affaire du parlement de Rennes.

M. le vicomte de Mirabeau dit qu'il existe, au comité des rapports, différentes pièces tendant à justifier la chambre des vacations du parlement de Rennes et à démontrer que le président seul a fait au Roi la réponse qui a été mentionnée. Il ajoute que l'adresse qui a été lue a été faite par la municipalité sans que le surplus des citoyens y ait eu aucune part. Čes motifs le déterminent à penser que la chambre n'est pas coupable, et il demande que la discussion soit continuée à demain, deux heures, pour qu'on puisse faire le rapport des pièces.

M. Giraud-Duplessis appuie la motion de M. Le Chapelier par la lecture d'une délibération de la ville de Morlaix.

M. d'Estourmel dit que l'ancienne constitution de Bretagne sans doute induit le parlement en erreur; que les magistrats se sont trouvés embarrassés entre les lois anciennes et les lois modernes; qu'il faut prier le Roi d'écrire au parlement et de remplacer les magistrats de la chambre des vacations.

On demande l'ajournement de la question.
L'ajournement, mis aux voix, est rejeté.

M. Ræderer fait une motion qui est adoptée en ces termes :

« L'Assemblée nationale décrète :

<< Que les magistrats composant la chambre des vacations du parlement de Rennes seront mandés pour comparaître à la barre, dans la quinzaine de la réception du décret, et que le Roi sera supplié de former une autre chambre parmi les autres magistrats du même parlement. »

M. le Président lève la séance, après avoir indiqué celle de demain, à neuf heures et demie.

PREMIÈRE ANNEXE

à la séance de l'Assemblée nationale du 15 décembre 1789.

Idées et réflexions sur quelques points de la constitution militaire adressées à MM. les députés, membres du comité militaire, par le marquis de Puységur (1), colonel du régiment de Strasbourg-Artillerie.

Une constitution militaire doit, comme celle d'un gouvernement, être appuyée sur des bases si stables, sur des principes si clairs, qu'une fois ces principes établis et sanctionnés par l'unanimité des opinions, aucun être ne puisse s'en écarter sans en devenir responsable au tribunal de la loi.

(1) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur.

mander.

Ces solutions, si généralement et si faussement adoptées, résultent cependant de l'inobservance de l'ordre. Que les règles de la discipline soient clairement exposées; que l'observance de ces règles soit si impérieusement recommandée, qu'aucun chef ne puisse s'en écarter sans être puni par la loi; et l'on verra l'homme bon forcé d'être sévère, le méchant d'être modéré; et tous deux, n'étant que justes d'après la loi, produiront des résultats également satisfaisants.

Il ne faut pas se le dissimuler, le despotisme | grand mérite, qu'il n'est point fait pour comest une hydre qui tend à se reproduire sans cesse sous toutes sortes de formes. Il ne suffit pas en France que le plus honnête et le plus vertueux des Rois se soit mis dans l'impossibilité de l'exercer; si ses réflexions et ses lumières l'on porté à la persuasion pleine et entière que la souveraineté pouvait exister sans despotisme; je dis plus, qu'il n'y en a véritablement de réelle et de satisfaisante que celle appuyée sur des lois qui fixent à chacun ses droits comme ses devoirs; il ne faut pas s'attendre à voir tous les hommes chargés de pouvoirs partiels et secondaires se pénétrer des mêmes vérités. Tous les hommes ont des passions; donc ils peuvent être justes ou injustes, bons ou méchants, humbles ou glorieux, débonnaires ou tyrans; el chacune de ces qualités peut produire également de bons ou de mauvais résultats. Dans l'ordre ordinaire de la société, où les procédés mutuels établissent les liens, aucune règle ne doit en établir les formes; aussi chacun est-il libre d'admettre ou non, tel ou tel individu à son intimité. Mais il n'en est pas de même dans toute association quelconque, et à plus forte raison dans une association militaire.

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Toute association ne peut se maintenir que par le bonheur que trouve constamment chaque individu à se soumettre aux lois de cette association; or, ce bonheur n'est certainement que dans l'ordre et dans le maintien de cet ordre; mais qui dit ordre, dit le seul dispotisme auquel l'acception de ce mot puisse être employée désormais; qui dit ordre, dit que l'on ne remplit que son simple devoir en s'y conformant, et que l'on se rend coupable au dernier chef en s'y soustrayant. Si ce principe est généralement reconnu pourquoi l'observance de cet ordre n'est-elle pas générale? pourquoi, si des principes de justice ont déterminé que l'ordre militaire, ou son synonyme, la discipline militaire, doit être sévère et rigoureusement établie pour le simple soldat, pourquoi, dis-je, n'en a-t-on pas conclu qu'elle doit être aussi sévère et aussi rigoureusement établie pour l'officier, depuis le maréchal de France jusqu'au sous-lieutenant ? car enfin l'ordre est un chainon qui lie également tous les individus, et dont un seul anneau ne peut être distrait sans risquer de les voir tous se rompre également.

Un principe reconnu généralement parmi tous les militaires, c'est que trop de bonté dégénérant en faiblesse, cette vertu de société devient souvent très-dangereuse dans l'homme chargé d'une autortté; ce qui sans doute est très-vrai; car une faute pardonnée produit un relâchement dans la discipline, et autorise, par l'exemple, de nouvelles infractions à la règle.

Un autre principe également vrai, mais qui n'est pas (militairement parlant), aussi généralement reconnu, c'est qu'une sévérité trop outrée, dégénérant ordinairemont en méchanceté, ce vice devient de même très-dangereux dans l'homme de ce caractère, chargé d'une autorité; car dès lors il arrive que, n'inspirant que de la crainte, il rend malheureux ses subordonnés, ne s'attire que leur haîne, et les tenant dans des ressorts trop tendus, les expose à désirer de s'en délivrer.

Eh bien, avec l'arbitraire, aujourd'hui toléré dans la discipline militaire, il n'y a pas de doute cependant que les résultats de l'homme méchant ne soient préférables à ceux de l'homme dont le coeur est humain er bon. L'on dit du premier qu'i! sait conduire les hommes; de l'autre qu'il en est incapable: du premier, n'eût-il ni esprit ni vertu, qu'il est bon militaire, du second, eût-il le plus

Un bas officier, un sergent n'est bon, dit-on, que lorsqu'il sait se faire respecter de ses subordonnés, et qu'il sait punir à propos. S'il est faible, s'il se laisse maîtriser, ou manquer par un soldat de son escouade ou de sou poste, il doit lui-même être puni. Pourquoi, si telle loi est élablie avec raison pour le sergent, ne l'est-elle pas de même pour le capitaine, le colonel, et généralement pour tous les individus chargés d'une autorité militaire? Il n'y aura jamais d'ordre ou de discipline militaire, je le répète, tant qu'un chef qui aura fait une grâce contraire à la loi à son ami, n'en sera pas puni de la même manière que celui qui injustement aurait puni son eanemi. L'ordre, encore une fois, doit enchaîner toutes les passions, et parmi les militaires être la règle de leur conduite,

Il est temps de dire hautement des vérités que la conscience de tous les hommes avoue, et que l'intérêt personnel seul obscurcit. Inégaux par leurs facultés, par leurs richesses, tous les hommes sont égaux en droits, et la justice seule, dépendant d'un ordre rigoureusement établi, est ce qui peut seul en faire jouir. Il est temps que les hommes se persuadent qu'ils n'ont d'avantage réel sur leurs semblables que par ce qu'ils valent, et non par ce qu'ils peuvent valoir.

Que l'on ne conclue pas cependant de ce que je viens de dire, que je regarde la distinction établie chez tous les peuples, et connue sous le nom de noblesse, comme une chimère. Non, tous les hommes seraient égaux demain, que, le jour suivant, celui que des facultés personnelles ou des perfections feraient distinguer d'entre ses semblables, fondrait ses premiers titres de noblesse dans l'estime universelle, et dès lors aucune puissance humaine ne pourrait empêcher que tous ses descendants ne proviennent d'une telle souche. Qui pourrait, dans ce moment-ci même, où tant d'effervescence dans les esprits obscurcit les idées les plus saines; qui pourrait, dis-je, refuser sa bienveillance, son intérêt, sa disposition même, à de jeunes enfants qui paraltraient au milieu de nous sous les noms de Montesquieu, du Guesclin, Duguay-Trouin, ou Turenne? Qu'il est beau de descendre d'aïeux dont la noblesse ne s'est acquise que par leurs vertus ou les services éminents qu'ils ont rendus à leur patrie! Quand on nomme un beau nom, il me semble toujours entendre dire, un tel, fils d'un tel. Cette désignation, la plus naturelle, et sans doute adoptée par les premiers nobles, est enCore en usage chez les peuples du Nord. Ea Russie, où les traces des institutions premières ne sont pas perdues, les nobles ne se désignent pas autrement; et certes ces qualifications valent bien, je pense, celles de duc, de comte et de marquis, dont nous sommes inondés, et qu'un pouvoir arbitraire, ou un relâchement de tout principe peut appliquer ou laisser prendre à quiconque est assez riche ou assez intrígant pour l'usurper.

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