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M. le Président est chargé d'écrire à la garde nationale de Marseille que l'Assemblée a reçu la délibération.

M. le Président rapporte que des députés des administrateurs et des actionnaires de la caisse d'escompte l'ont chargé de soumettre à l'Assemblée le vœu qu'ils forment que des commissaires soient nommés pour éclairer les opérations de cet établissement.

M. le Chapelier propose de fixer à cette semaine le dernier terme du travail sur la division des départements, et d'arrêter que, lundi prochain, le comité de constitution rendra compte de ses opérations sur cet objet, et que l'Assemblée entendrà les diverses réclamations.

M. Bureaux de Pusy. Le rapport est presque terminé, il pourra être incessamment soumis à l'Assemblée. Le travail du comité a été retardé par les nombreuses réclamations qui lui parviennent, surtout par le défaut d'entente entre les députés de plusieurs provinces (Voyez aux Annexes, le Mémoire des députés du pays d'Aunis et les Observations des députés du pays de Léon et de Tréguier.)

M. Poignot, député de Paris. M. l'abbé Fauchet a fait au sein de la commune de Paris, le 15 de ce mois, une importante motion sur l'étendue et l'organisation du département de Paris. L'impression a été ordonnée par les représentants de la commune et la distribution en sera faite à tous les membres de l'Assemblée nationale. (Voyez ce document annexé à la séance de ce jour.) M. LeChapelier. Je propose le décret suivant: « L'Assemblée natiouale décrète :

Que dans la semaine, pour tout délai, les députés des diverses parties du royaume remettront au comité de constitution le travail qu'ils auront arrêté pour la division des départements et des districts, ou leurs mémoires instructifs, touchant les objets qui auront excité leurs réclamations, et sur lesquels les députés ne se seraient pas conciliés, pour le rapport en être fait Inndi prochain par le comité de constitution. »>

Ce décret est mis aux voix et adopté. L'ordre du jour appelle la discussion des motions faites dans la séance du samedi et dont l'ajournement a été prononcé à la séance d'aujourd'hui.

La première motion a pour objet la nomination de commissaires chargés de surveiller l'émission des billets de la caisse d'escompte et des assignats du Trésor royal.

M. le comte Lévis de Mirepoix. Je demande que ces commissaires ne soient pas actionnaires de la caisse d'escompte.

M. le marquis de Lusignan. Ces actions sont au porteur; on en possède aujourd'hui, on n'en possède plus demain.

M. Regnaud de Saint-Jean-d'Angely. L'administration doit être surveillée, même lorsque des mains pures y puisent. Déjà on affecte de publier qu'il a bien dépendu de l'Assemblée nationale de rendre les derniers décrets, mais qu'il ne dépendra pas d'elle de les faire exécuter. L'Europe entière sera persuadée quand la France le sera, et la France lè sera quand on verra que vous avez pris les précautions les plus sages.

Je propose qu'il soit nommé six commissaires chargés: 1° d'assister et concourir au traité définitif qui doit être fait avec la caisse d'escompte;

ils en raporteront un double pour être déposé dans les archives; 2° de faire un travail sur l'émission de 400 millions d'assignations. L'Assemblée jugera s'ils présentent les moyens suffisants d'assurer l'emploi et deprévenir l'abus de ces effets.

Le comité des finances présentera le plus tôt possible un plan d'organisation de la caisse de l'extraordinaire et des dépenses arriérées pour 1789, et pour les années précédentes qui doivent être payées par cette caisse. Il offrira aussi une nouvelle comptabilité pour le trésor.

M. de Cazalès. Je n'ai qu'une observation à faire sur ces mesures : elles sont absolument destructives de la responsabilité. Je pense qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

M. le comte de Montlosier. Je demande la division de la question préalable.

M. Barnave. Tous les objets proposés par M. Regnaud sont intéressants; mais quelques-uns doivent être renvoyés à un autre temps. Je réduis sa motion à nommer des commissaires pour surveiller l'émission des billets de la caisse et les assignats. Ainsi, la responsabilité n'est ni détruite ni affaiblie, mais la confiance publique est assurée.

M. le comte de Clermont-Tonnerre. J'appuie la question préalable dans toute son étendue. Le moyen d'obtenir la confiance universelle consiste à placer tous les pouvoirs dans les mains qui leur sont propres. On sentira toute l'étendue de la responsabilité, quand on verra que l'Assemblée nationale a écarté, par la question préalable, des propositions qui tendaient à témoigner de la défiance.

L'Assemblée décide que la question préalable ne sera pas divisée, et qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

On propose de s'occuper de l'amendement de M. d'Estourmel, ayant pour objet de mettre, ainsi que les biens du clergé, les domaines sous la surveillance des assemblées de département. La priorité est demandée en faveur de la question de savoir quel non on donnera aux membres des nouvelles municipalités,

L'Assemblée décide de renvoyer ce dernier obJet au comité de constitution.

M. le Président. M. Brunet de Latuque a la parole pour une motion relative aux non catholiques.

M. Brunet de Latuque, député de Nérac (1). Messieurs l'organisation future des municipalités et des assemblées de district et de département fait naître une question qui n'est pas difficile à résoudre, mais à laquelle la tranquillité publique exige que vous fassiez une réponse péremptoire.

Le désir d'occuper des places dans ces assemblées anime tous les esprits, et la facilité d'y parvenir devant être d'autant plus grande qué f'on aura moins de concurrents, on s'efforce en plusieurs lieux d'écarter de l'élection les noncatholiques, sous le vain et faux prétexte qu'ils ne sont pas nommés dans vos décrets.

Cependant, Messieurs (plusieurs députés m'en sont témoins), il est des communautés en grand nombre, et j'en connais dans ma province, où les protestants composent la moitié, les trois quarts, et presque la totalité des citoyens actifs, des contribuables, des électeurs et des éligibles, et s'il avait été possible qu'en ne les nommant pas po(1) Cette motion n'a pas été insérée au Moniteur.

sitivement vous eussiez prétendu les exclure, il s'en ensuivrait que dans les communautés où il n'y a presque que des protestants, vous auriez entendu qu'elles seraient sans officiers municipaux et sans administration, ou que du moins ce gouvernement populaire et constitutionnel serait constamment exercé dans ces lieux par les mêmes individus, espèce de privilége d'autant plus propre à indisposer les peuples, qu'ils connaissent mieux les principes de justice depuis qu'ils ont été consacrés par vos décrets.

Ceux qui veulent exciure les protestants pour arriver plus sûrement aux places municipales, et forcer les elections en demeurant seuls éligibles, allèguent pour prétexte les édits de 1681 et 1685, édits funestes dont la France déplore encore les sinistres effets, et que leur absurde injustice a heureusement fait tomber en désuétude. Ils argumentent encore de l'édit de Nantes de nov. 1685, qui ne permet aux non catholiques d'occuper des places municipales qu'autant qu'elles n'emportent pas fonctions de judicature. Il est certain, Messieurs, que suivant la lettre de ces dernières dispositions, les non catholiques se trouvent exclus des offices municipaux dans tous les pays méridionaux de la France; car il n'est presque pas de villes dans cette partie du royaume, où les offiriers municipaux ne soient en usage et possession d'exercer la juridiction politique et criminelle, ou seuls ou concurremment avec les officiers royaux. Je cite pour exemple les villes de Bordeaux, Agen, Nérac, Condom, Bazas, Marmande,etc.; et j'en pourrais citer un grand nombre d'autres. Aussi depuis, comme avant l'édit de 1685, on ne voit aucun protestant élevé aux places municipales dans la province de Guyenne; et il est indubitable qu'ils en seront exclus dans les élections qui vont se faire incessamment en exécution de vos décrets, si vous ne les déclarez pas admissibles, parce que ceux qui sont intéressés à les éloigner prétendent que cet article particulier de l'édit de 1685 est encore dans toute sa force, comme tous les autres articles qui le composent, attendu que vos lois n'y ont pas dérogé expressément. Il faut l'avouer de bonne foi, Messieurs, ce raisonnement a quelque chose de spécieux; mais les adversaires des protestants le regardent comme inexpugnable, et il ne serait pas impossible, que de bons esprits se laissassent séduire par ces prestiges.

Cependant, Messieurs, l'époque de la suppression des abus est arrivée; les droits de l'homme et du citoyen ont été retirés de l'amas des fers sous lesquels le despotisme les avait ensevelis; vous les avez promulgués; vous avez déclaré que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits; vous avec déclaré que nul ne pourrait être inquiété pour ses opinions religieuses, vous avez décrété que tous les citoyens, sans distinction de rang et de naissance, pourraient parvenir aux charges et aux emplois; vous avez décrété que tous les citoyens qui payeraient une contribution de dix journées de travail, seraient admissibles aux assemblées municipales de district et de département, et que ceux qui payeraient d'un mar d'argent, seraient admissibles aux fonctions législatives, et vous n'avez certainement pas voulu, Messieurs, que les opinions religieuses fussent un titre d'exclusion pour quel ques citoyens et un titre d'admission pour d'autres.

Si l'intérêt particulier ne faisait pas méconnaître sans cesse les principes souverains de la justice, ceux qui cherchent par des motifs si condamnables à écarter les protestants des emplois

publics, entreraient mieux, Messieurs, dans l'esprit, et même dans le texte de vos décrets; ils porteraient leurs regards sur l'Assemblée nationale, et voyant siéger plusieurs protestants au milieu de vous, ils rougiraient de vouloir exclure des fonctions secondaires de l'administration ceux qu'eux-mêmes avaient nommés pour remplir les fonctions de la législature suprême.

Il ne me serait jamais venu dans l'idée, Messieurs, de vous demander la décision que je sollicite: nourri de vos principes, animé de votre esprit, je n'aurais jamais pu penser qu'une classe nombreuse de citoyens utiles que j'ai appris à estimer et à chérir, pût être exclue des droits de citoyen, et qu'on songeât à les lui contester. Mais les nouvelles que j'ai reçues de ma province ont rendu ma réclamation nécessaire. Il est de votre sagesse, Messieurs, de manifester votre justice; il est de votre dignité de faire connaître à tous, et même d'interpréter vos principes; il est de Votre prudence de prévenir l'intrigue, les préten tions anti-constitutionnelles, les animosités, les ressentiments et l'indignation.

J'ai eu l'honneur de vous exposer la question avec la simplicité qui convient à des vérités aussi claires que le jour, et j'ai celui de vous proposer un décret à ce sujet ; et puisque votre silence est interprété à rélicence, et par conséquent calomnié, puisque de ce que je ne vous parle aujourd'hui que des droits à la représentation et à l'élection, on pourrait en conclure dans d'autres occasions, au mépris de vos principes et de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que les non catholiques ne sont pas admissibles à tous les emplois, j'ai l'honneur de vous proposer, Messieurs, un décret qui n'ait plus besoin d'être interprété en la forme suivante :

« L'Assemblée nationale décrète :

« 1° Que les non catholiques, qui auront d'ail leurs rempli toutes les conditions prescrites dans les précédents décrets pour être électeurs et éligibles, pourront être élus dans tous les degrés d'administration, sans exception;

«2° Que les non catholiques sont capables de tous les emplois civils et militaires, comme les autres citoyens. >>

M. le comte de Virieu. Vous avez établi des lois générales; il n'y a point d'exceptions contraires aux non catholiques, ainsi nulle interprétation nécessaire. On pourrait dire tout au plus que tous ceux qui auront rempli les conditions d'éligibilité seront admis: dérogeant à cet égard à toute loi à ce contraire ».

M. Roederer. Je réclame pour une classe de citoyens qu'on repousse de tous les emplois de la société, qui a son intérêt et son importance. Je veux parler des comédiens. Je crois qu'il n'y a aucune raison solide, soit en morale, soit en politique, à opposer à ma réclamation.

M. de Clermont-Tonnerre. Je n'ajoute pas un mot à une chose qui n'a pas besoin d'être développée pour vous frapper.

Je propose seulement la formule de décret que voici :

L'Assemblée nationale décrète qu'aucun citoyen actif, réunissant les conditions d'éligibilité ne pourra être écarté du tableau des éligibles, ni exclu d'aucun emploi public à raison de la profession qu'il exerce, ou du culte qu'il professe.» On demande l'ajournement.

L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette demande.

Plusieurs personnes réclament la discussion sur l'état des Juifs, comme tenant à la constitution.

M. Rewbell. Je pense sur les Juifs comme les Juifs eux-mêmes ils ne se croient pas citoyens. C'est dans cette opinion que j'admets l'amendement de M. de Clermont-Tonnerre, parce qu'il les exclut en se servant de cette expression, citoyens actifs.

M. le comte de Custine. Je demande qu'en s'occupant des non-catholiques l'Assemblée prononce en même temps la liberté de l'exercice public de toutes les religions.

M. Thiebault, curé de Metz. Vous faites là une motion inconstitutionnelle (Voy. aux Annexes l'opinion imprimée de M. Thiebault sur la proposition de M. de Custine.)

M. le Président observe qu'il est deux heures, et qu'il faut procéder à l'élection d'un président, de trois secrétaires et de plusieurs membres pour les différents comités.

Il lève la séance, et l'on se retire dans les bureaux.

ANNEXES

à la séance de l'Assemblée nationale du 21 décembre 1789.

PREMIÈRE ANNEXE.

Mémoire présenté au comité de constitution pour la division du royaume en départements, par les députés du pays d'Aunis (1).'

Si les considérations de la plus haute importance peuvent suppléer à la circonscription d'un pays, au défaut des bases exigées par l'Assemblée nationale pour former un département, les députés de la sénéchaussée de la Rochelle ne craindront point d'exposer la demande que leurs commettants les ont expressément chargés de former. Les motifs qui la justifient écarteront sans doute l'idée de ces prétentions déplacées qu'on leur suppose.

Le pays d'Aunis, extrêmement resserré par la mer et par les limites que lui présentent les provinces de Poitou et de Saintonge, n'offre qu'une surface de 130 lieues carrées, y compris le territoire de l'île de Ré. Mais dans ce petit espace et sur les côtes qui le bordent on trouve 5 ports (2), les deux meilleures rades (3), où se rendent en temps de guerre, les convois qui doivent être escortés, et où les vaisseaux, à leur retour des Indes, trouvent le plus sûr atterrage; trois villes considérables (4), soixante bourgs, cent vingt villages, et deux cents hameaux ou écarts. Dans les parties du nord et du midi, le génie, l'industrie et des dépenses considérables ont rendu au continent par de superbes desséchements un terrain que la mer couvrait autrefois et qui donne aujourd'hui des blés de la plus belle et meilleure qualité. Dans les autres parties, les richesses du

(1) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur. (2) La Rochelle, Rochefort, La Flotte, Saint-Martin, Daligre.

(3) La rade de l'ile d'Aix, celle de la Flotte. (4) La Rochelle, Rochefort, Saint-Martin.

commerce ont animé et perfectionné la culture de la vigne, la seule dont le sol aride et sablonneux soit susceptible; l'industrie a converti les vins en eaux-de-vie, et secondant ailleurs la nature, a établi et multiplié les marais salants. Ainsi, par les efforts constants de la plus active industrie, ce petit pays est devenu une province précieuse à l'Etat, et une des plus peuplées du royaume. On n'y compte guère moins de cent trente mille habitants dont une partie forme la meilleure classe de nos matelots. Le sel, le vin, les eaux-de-vie, les différents blés et fourrages qu'on retire des marais désséchés sont le produit ordinaire du sol du pays d'Aunis et de l'étonnante industrie de ses habitants. Cette petite province paye pour la taille ou accessoires 461,011 livres 12 sols 1 denier; pour les vingtièmes 365,612 livres 16 sols 3 deniers et plus de 700,000 livres en droits d'aides.

La ville de la Rochelle n'existe et ne peut exister que par le commerce auquel sa situation avantageuse l'a toujours appelée. Placée entre Nantes et Bordeaux, elle ne peut se soutenir entre ces deux puissantes rivales qu'autant qu'elle sera protégée et encouragée. Considérée comme ville de guerre, elle est le boulevard et le dépôt des forces qui protégent nos côtes depuis Bayonne jusqu'à Brest. Sous ces deux rapports elle doit mériter une attention particulière de la part de l'Assemblée nationale.

La ville de Rochefort, un des principaux départements de la marine royale, digne du plus grand intérêt, d'après ses bâtiments, ses magasins, ses formes pour la construction des vaisseaux de guerre, et son nouvel hôpital, outre le port de Roi, en offre un autre au commerce, avec de nouvelles ressources pour l'encourager. L'un et l'autre sont d'une nécessité évidemment reconnue pour l'approvisionnement de nos escadres et de nos colonies, et pour la libre et facile exportation des denrées et différentes productions des provinces qui nous avoisinent.

Nous n'entrerons dans aucun détail sur l'établissement et sur la rade de l'île d'Aix; sur le port et sur la rade de la Flotte; sur la ville, la citadelle et le port de Saint-Martin; sur le commerce de l'ile de Ré avec le Nord; sur le port et bourg de Daligre. Il suffit de les nommer pour en désigner les avantages et l'utilité, qui, confiés à l'administration d'un département particulier, ne pouvaient qu'accroître et se multiplier. Daligre, ci-devant Marans, est l'entrepôt naturel des productions du Bas-Poitou, et un des marchés les considérables du royaume et même de

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l'Europe.

Les avantages de la situation du pays d'Aunis y ont de tout temps appelé le commerce, et établissent la nécessité de l'y protéger et de l'y fixer. La Rochelle, une des plus anciennes villes commerçantes du royaume, est la première qui a entrepris les voyages de long cours; toutes les entreprises, capables d'étendre le commerce de France ont été exécutées par ses vaisseaux. Ce sont eux qui ont introduit en France la première barrique de sucre, venue de nos colonies; c'est la Rochelle qui a formé nos premières colonies, et qui a donné son nom à un des établissements les plus considérables du nord de l'Amérique; c'est elle qui avait établi le Canada, et qui avait le plus contribué à l'établissement de la Louisiane. Si la perte de l'un et la cession de l'autre à l'Espagne, privent cette ville d'une branche de commerce qu'elle faisait presque exclusivement, il entrera dans les vues de l'Assemblée nationale

de l'en dédommager, et de confier aux soins et à la vigilance d'une administration particulière le maintien journalier des avantages que la Rochelle, Rochefort, l'ile de Ré et Daligre ne cessent d'offrir, surtout en temps de guerre. Ces avantages si nécessaires pour la défense de nos côtes et pour l'extension du commerce, lient les intérêts de l'Aunis à ceux du royaume. Ils ne peuvent être conservés pour l'utilité générale des provinces qui nous avoisinent, qu'autant que le commerce y sera maintenu et rendu à cette première activité qui les distinguait avant les pertes que la France a essuyées dans l'avantdernière guerre.

Un des principaux moyens de faciliter au commerce du pays d'Aunis le crédit dont il a besoin, et les encouragements qui lui sont dus, serait de fixer à la Rochelle le siége d'un département. Cette ville sous l'ancien régime, était la capitale de la généralité, il lui importe de conserver le crédit qu'elle avait acquis de cette opinion que donnaient d'elle les grands établissements formés dans son sein, un gouvernement, une intendance, un évêché, un présidial, un bureau des finances, un hôtel des monnaies, un nouvel arsenal et toutes les juridictions que comporte un chef-lieu de province; le siége d'un directoire la dédommagerait de la perte de quelques-uns de ces établissements qui pourront être supprimés. Si elle était déçue dans ses espérances, il serait à craindre que son crédit ne fût affaibli par les motifs et par l'événement qui tromperaient son

attente.

Ces observations paraîtront peut-être minutieuses, mais elles ne sont pas à dédaigner pour le commerce, si l'on veut considérer les ressources et les facilités qui feront nécessairement refluer, dans le cours du numéraire à la Rochelle, le séjour habituel du directoire et le versement des fonds des diverses impositions du département qui ne seront point employés dans les districts pour leurs dépenses particulières. Il importe essentiellement aux places de commerce d'appeler dans leur sein le plus de numéraire possible, parce que, de son abondance ou de sa rareté dépendent le succès et la vivacité de leurs opérations, le prix des objets à vendre ou à acheter y tient essentiellement. Une triste expérience a souvent démontré en Aunis que les eaux-de-vie ne pouvaient s'y débiter lorsque les recettes qui se versaient habituellement à la Rochelle venaient à manquer.

Les rapports que donne au pays d'Aunis sa position maritime favorisée par les meilleures et les plus spacieuses rades qu'on connaisse en France, par cinq ports maritimes, par deux rivières accessibles aux bâtiments venant de la haute mer, et navigables fort loin dans les terres dont elles voiturent les productions, sont dans le cas d'occuper en entier une administration de département. Le mélange continuel d'objets de commerce maritime, d'agriculture, de négoce intérieur et de circulation de finances, exige les soins les plus assidus et presque toujours la présence des administrateurs qui doivent v veiller.

On doit encore observer que les dépenses du département de la marine, des armements et des constructions à Rochefort, les travaux ordonnés pour le rétablissement et pour les ouvrages du port de la Rochelle, nécessiteront de la part de l'Assemblée nationale une attention suivie, un ordre de dépenses qu'il est important de surveiller et que cette surveillance ne saurait

être mieux confiée, soit pour les soins, soit pour le versement des fonds nécessaires, qu'à une assemblée de département qui serait fixée en Aunis.

D'après ces considérations, nous avons pensé qu'un pays dont les habitants, par un travail opiniâtre, en cultivant la vigne sur une terre impropre à presque toute autre production, le couvrent de défenseurs pour l'Etat, et rapportent au fisc douze fois plus que si ce territoire était en champs ou en prairies, ne doit pas être considéré sur l'unique rapport de son étendue; qu'il serait possible et peut-être politique d'agrandir son arrondissement, soit en y joignant l'île d'Oléron qui s'attache si naturellement à l'Aunis, soit par une portion du Bas-Poitou, dont la province est si étendue; nous croyons même que, renfermée dans les limites actuelles de l'Aunis, une administration particulière lui serait d'autant plus utile, que le cercle de ses opérations étant plus resserré, elle n'en serait que plus vigilante et plus à portée de tout approfondir. Comme ce département que nous réclamons n'aurait que la moitié ou le tiers de la représentation accordée aux départements ordinaires dans l'Assemblée nationale, nulle difficulté, nul embarras pour fixer cette représentation d'après les principes et les bases dont on est convenu.

Le directoire que l'Assemblée nationale établit dans chaque département, ne sera pas sans doute étranger à l'exécution des ordres que donnera le pouvoir exécutif, soit en temps de guerre, soit en temps de paix, pour l'approvisionnement de nos escadres et pour celui de nos colonies. Ces ordres seront naturellement adressés à la Rochelle, seule ville de guerre qui sera la résidence des chefs du pouvoir exécutif militaire où le dépôt des forces, les ressources immenses pour l'approvisiounement tirées des marchés de Daligre, et toutes les considérations politiques se trouvent réunis. Quelle influence n'aurait point alors pour la plus prompte expédition et pour le succès de mesures à prendre, le directoire du département qui serait fixé à la Rochelle? Quelles difficultés, quelles entraves, quelles lenteurs ne faudrait-il pas surmonter, si ce même directoire était placé à Saintes ou à Saint-Jean-d'Angély.

On objecte que les trois départements du Poitou sont déjà formés ; que les limites de cette province ont été déterminées avec les provinces voisines; qu'on ne peut plus revenir contre les arraugements convenus, qu'il s'en présente un qui pourra concilier les intérêts respectifs des provinces dont les départements ne sont point encore réglés; que l'Angoumois n'ayant pas eu lui-même tout ce qu'il lui faut pour en former un, prendra le supplément nécessaire dans une partie de la Saintonge, et que celle-ci, pour remplacer ce qu'elle aura cédé, englobera et envahira le pays d'Aunis.

Les députés du pays d'Aunis ne se plaindront point de l'oubli dans lequel on les a laissés, lorsqu'on a appelé les députés des provinces limitrophes au Poitou pour convenir à l'amiable des limites de cette province. Les rapports d'intérêts et de convenance, le même genre d'administration et de culture dans leurs marais desséchés, les mêmes besoins communs qui les ont liés de tous temps au Bas-Poitou, qui ne peut exporter où importer ses denrées que par un des ports de l'Aunis, leur donnaient lieu de croire qu'ils seraient appelés à ce conseil. Mais ils demanderont quel est l'intérêt majeur, quelle est la raison d'Etat qui peut déterminer à fondre le pays d'Aunis dans la province de Saintonge,

et à sacrifier toutes les considérations importantes qu'il présente pour l'extension du commerce et pour la défense des côtes, aux besoins ou aux désirs qu'a énoncés l'Angoumois? Les intérêts de l'Angoumois doivent-ils prévaloir contre ceux de l'Aunis? faut-il pour arranger l'Angoumois perdre le commerce de la Rochelle et celui de l'île de Ré? Une triste expérience nous a appris depuis la perte du Canada et de la Louisiane, combien l'activité du commerce avait été diminuée, et combien sa diminution avait influé sur la population et sur la culture des terres. Tout ce qui porte quelque atteinte au crédit du commerce, tout ce qui peut restreindre l'activité de ses opérations nuit essentiellement au débit des denrées du pays, et dès lors à tous les genres de culture et d'industrie.

Si le comité veut prendre en considération ce simple exposé des faits qui pourrait conduire à de plus grands détails et à des réflexions plus précises et plus politiques sur les intérêts combinés du pays d'Aunis et du Bas-Poitou, et sur leurs rapports avec l'intérêt général du royaume, il se convaincra peut-être de la nécessité de former le département isolé de l'Aunis, tel que nous le proposons, ou de l'augmenter d'une portion du Bas-Poitou. Les dépenses considérables, faites depuis longtemps pour le port de la Rochelle, tous les établissements nécessaires à une administration de département, existants dans cette ville, l'intérêt qu'inspire le département de la marine royale fixé à Rochefort, l'importance de l'île de Ré, le port et le marché de Daligre, réclament en faveur de l'Aunis l'attention et la protection de l'Assemblée nationale. L'art a secondé la nature pour y apporter le commerce et toutes les facilités de l'importation et de l'exportation. Le commerce peut seul vivifier la culture des terres dans le départeencourager et ment que nous proposons. Le laissera-t-on languir et s'éteindre, faute de lui donner le secours que nous ne cesserons de réclamer pour lui dans la circonstance actuelle?

A Paris, le 15 décembre 1789.

Signé PINNELIÈRE, curé de Saint-Martin
de l'ile de Ré, le vicomte DE MALARTIC,
GRIFFON DE ROMAGNÉ et ALQUIER.

2o ANNEXE.

Observations des députés du pays de Léon et de la partie de Tréguier, en Basse-Bretagne, sur la fixation du chef-lieu de département (1).

C'est à regret que nous nous sommes détermininés à porter au comité de constitution, et à soumettre à l'Assemblée nationale des contestations qui n'auraient pas dû sortir du sein de la députation de Bretagne.

Cette province, qui peut se flatter d'avoir eu une grande part à la conquête de la liberté, d'avoir puissamment contribué à la révolution par l'union et l'énergie de ses mouvements patriotiques, ne dût jamais se voir divisée dans la personne de ses représentants. Heureusement, nous pouvons assurer que leur parfaite intelligence pour le soutien de la cause commune n'est point altérée par les difficultés relatives à la division de son territoire.

(1) Ce document n'a pas été inséré au Moniteur.

L'Assemblée nationale a décrété que la France serait divisée en départements, dont elle a fixé le nombre de soixante-quinze à quatre-vingt-cinq. Chaque département doit contenir environ trois cent vingt-quatre lieues ou dix-huit sur dix-huit; chaque lieue entendue de deux mille quatre cents toises, et, d'après cette règle de procéder, la province de Bretagne, qui contient 1,660 lieues de superficie, ne doit fournir que cinq départements, dont le comité de constitution a tracé le plan.

La députation de Bretagne a nommé des commissaires pour en faire l'examen. Ceux-ci ont appelé deux ingénieurs qui ont perfectionné le projet de division d'après les convenances locales, et ce travail a été plusieurs fois discuté dans les assemblées du comité de la province.

Alors il s'est arrêté à deux questions préliminaires premièrement, quelle sera l'étendue de terrain que prendra le département de Nantes dans les marches communes de la Bretagne et du Poitou? Ce premier point de démarcation était indispensable avant toutes choses, parce qu'il est nécessaire de former la masse avant de procéder à la division; on ne peut connaître l'étendue et la valeur d'un tout qu'après avoir déterminé les parties qui doivent le composer. Il était donc essentiel de convenir, avec la province du Poitou, du partage des marches communes avant de pouvoir fixer celui de la Bretagne en cinq portions égales (1).

Secondement, cette égalité doit-elle être étendue et exécutée, comme l'ont observé les ingénieurs dans leur plan de division, en assignant à chaque département un terrain de trois cent trentedeux lieues carrées ? Cette égalité géométrique ne tendrait-elle pas à léser considérablement chacun des quatre autres départements, s'il était vrai que celui de Nantes se trouvât avantagé d'un quart en sus, par sa population et par ses richesses?

Tel était l'état des difficultés présentées au comité de la députation de Bretagne le 7 décembre. MM. les députés de Nantes reconnaissaient sans peine la supériorité de leur département, pour la fertilité du sol, pour les avantages incalculables que lui apportent les fleuves et les rivières qui l'encernent ou le traversent: la Loire, la Vilaine, l'Erdre, le Doro, etc.

Mais ces mêmes députés n'avouaient pas également la disproportion non moins considérable de la population, quoiqu'elle soit presque toujours la suite naturelle de la richesse d'un pays, de la fécondité du sol, quoique la ville de Nantes seule ait environ 100,000 habitants. Ils sont allés jusqu'à pouvoir persuader que leur département, tel qu'il était tracé, égal aux autres en étendue, l'était à peine en population. D'après une pareille assertion, il paraîtra moins étonnant qu'ils aient posé en principe qu'au surplus les bases de la population et de la contribution sont parfaitement indifférentes à la distribution des départements.

Quoi qu'il en soit, le résultat de l'assemblée du 7 décembre fut que MM. les députés de Nantes se concerteraient incessamment avec ceux du Poitou, pour la division préalable des marches communes, et qu'ils rendraient compte de cette conciliation à la prochaine assemblée, fixée au vendredi 11 décembre.

(1) Il vient de paraître un mémoire où les députés des Marches communes demandent à porter la totalité de leur territoire dans le département de Nantes, ce qui aggraverait encore l'inégalité de la division de la Bretagne.

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