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1805.

M. de Novosiltzoff fit donc un voyage inutile; il ne put remplir la mission dont il étoit chargé : Napoléon refusa de le voir.

Si Napoléon étoit mécontent de la Russie, il l'étoit bien davantage de l'Autriche, dont il accusoit et les dispositions hostiles et les ruses diplomatiques.

Afin d'opposer ruse à ruse, et pour tromper la cour de Vienne sur ses véritables projets, il lui fit écrire par le comte Philippe de Cobentzel, ambassadeur d'Autriche à Paris, « qu'il n'y avoit rien à craindre pour l'Allemagne des armements de la France; que l'armée de Boulogne s'embarqueroit infailliblement; que l'armée autrichienne pouvoit se porter en Italie, et qu'il falloit profiter du moment où il n'y avoit pas trente mille François dans ce pays pour le recouvrer. » (1)

Il fit en même temps insérer dans la gazette officielle de La Ilaye (20 juillet 1805) la note suivante :

« Napoléon ne peut plus différer l'exécution de son grand plan; il fera partir l'expédition destinée à envahir l'Angleterre, et forcera cette puissance à faire

(1) Le comte Philippe de Cobentzel fut, on ne sait par quel motif, un des plus grands admirateurs de Napoléon, et par conséquent l'homme le moins propre à surveiller ses mouvements à Paris, et à rendre compte à sa cour de ce qui se passoit aux Tuileries.

une paix séparée avant que les puissances du continent puissent se joindre au traité.

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Ce fut en conséquence de ces avis perfides que l'Autriche arrangea son plan de campagne, et envoya ses meilleures troupes en Italie sous le commandement de son plus habile général, le prince Charles.

Lorsque tout fut ainsi préparé, Napoléon leva soudain le camp de Boulogne, et l'armée des côtes prit à grandes journées la route de l'Allemagne.

Avant d'aller en prendre le commandement, il se rendit au sénat, tant pour accuser l'Autriche d'une ambition démesurée et d'une perfidie sans exemple, que pour manifester son profond chagrin d'être obligé de reprendre les armes, lorsqu'il ne soupiroit qu'après les douceurs de la paix (1). Et il ajouta :

1805.

triche en

1805 et

« Je vais quitter ma capitale pour aller Campame mettre à la tête de mes armées. J'espé- gne d'Aurois encore la paix il y a peu de jours: mes espérances se sont évanouies. L'armée autrichienne a passé l'Inn: Munich est envahi, l'électeur de Bavière est chassé de ses états. Je gémis du sang qu'il en coûtera

(1) Nous pensons qu'il est désormais inutile de faire remarquer le contraste des discours de l'empereur avec ses actions. Nos lecteurs n'ont plus besoin d'être avertis de se tenir en garde contre des artifices qui, dès ce temps-là, ne trompoient per

sonne.

1806.

1805.

à l'Europe; mais le nom françois en obtiendra un nouveau lustre.

"

<< François, votre empereur fera son devoir, mes soldats feront le leur. Vous ferez le vôtre. » (1)

Voici quel étoit l'état de nos forces à cette époque. L'armée de Boulogne, qui s'avançoit sur le Rhin, étoit de deux cent dix mille hommes; celle d'Italie de cent vingt-deux mille. Nous en avions une de vingt-cinq mille en Hollande, une autre de vingt-cinq mille dans le Hanovre, une de vingt mille sur les côtes de l'ouest ; et cent soixante mille conscrits étoient en route pour augmenter ces forces déja très imposantes. Le tout devoit former au mois d'octobre un état militaire de cinq cent soixante mille hommes, partagés en dix grands corps d'armée, commandés par des généraux exercés, accoutumés à vaincre, et dirigés par un chef suprême, actif, entreprenant, à qui les sacrifices d'hommes et d'argent ne coûtoient rien pour arriver à ses fins.

La campagne s'ouvrit par une violation des territoires neutres et du droit des gens. A Bade et à Stuttgard, les François forcèrent les hôtels des ministres d'Autriche,

(1) Mes soldats, mes armées, ma capitale ! Il s'ap proprioit tout. On ne se figure pas combien ce ton d'égoïsme lui fit d'ennemis même parmi ses anciens partisans.

de Suède et de Russie, dont on enleva tous les papiers. Le palais de l'électeur de Wittemberg fut pillé. Une division de l'armée françoise traversa violemment le territoire de Bayreuth, pour se rendre en Hanovre.

L'Europe crut un moment que cette dernière violence alloit jeter le roi de Prusse dans le parti de la coalition: et dans ce cas, Napoléon, pris à revers, eût été perdu. Il en fut autrement. Le roi de Prusse, gagné, trompé ou intimidé, resta froid spectateur de l'invasion de son territoire et de la dévastation de l'Allemagne. Il mérita par cette conduite le sort qu'il subit l'année suivante.

1805.

Prise

Cependant la grande armée s'avançoit rapidement dans le cœur de l'Allemagne, d'Ulm. et arriva sans livrer de combats importants devant la ville d'Ulm, que défendoient sa position, un camp retranché, et une armée de quarante-cinq mille hommes sous les ordres du général Mack.

Une position militaire aussi formidable devoit arrêter au moins pendant quelques jours les armées et l'impétuosité françoises vaines conjectures! Le camp et la ville furent emportés en vingt-quatre heures. L'armée entière fut faite prison

nière.

On ne sut comnient expliquer un fait de guerre aussi extraordinaire. Les uns

1805. prétendirent que le général Mack, tou jours malheureux, avoit été trahi par les siens, et forcé de capituler. D'autres assurent qu'il étoit un traître lui-même. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il signa une des capitulations les plus ignominieuses dont les annales militaires fassent mention. On peut dire cependant que s'il eût été un traître, il n'eût pas attendu et encore moins provoqué le jugement du conseil de guerre, qui le condamna à une détention perpétuelle dans une forteresse.

Nous remarquerons à cette occasion qu'on parla beaucoup de trahisons dans cette campagne. Pour expliquer les étonnants succès de Napoléon, on eut recours tantôt à ses intelligences, et tantôt à ses profusions dans le cabinet et dans les armées d'Autriche. Ce fut un de ses moyens, sans doute, mais ce ne fut pas le plus actif avec moins de préventions, on eût trouvé une plus heureuse solution du problème dans le caractère même des hommes qui gouvernoient alors les deux nations en guerre.

Le conseil aulique étoit composé d'hommes fidéles, sages, instruits, mais affoiblis par l'âge, et opiniâtrément attachés à leurs vieilles pratiques et à leurs systèmes de routine, sans égard aux changements que les François avoient introduits dans la stratégie.

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