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Invasion de la Prusse.

ment servie, portoit de tous côtés le désordre et la mort. La bataille avoit commencé à neuf heures, à trois heures l'affaire étoit décidée, l'armée prussienne étoit en pleine déroute, et le roi avoit perdu son royaume. Si l'on s'en rapporte au cinquième bulletin de cette campagne, les premiers résultats de cette bataille furent trente mille prisonniers, vingt mille morts, trente drapeaux, trois cents pieces de canon, et des magasins immenses de vivres et de munitions de guerre. Mais il y a évidemment de l'exagération dans ce récit. Le lendemain le grand duc de Berg cerna et prit Erfurt, où se trouvèrent six mille fuyards et huit mille blessés.

L'empereur ne donna pas le temps à l'ennemi de se rallier. Voulant, avec raison, prévenir l'arrivée des Russes, qui venoient à grandes journées au secours des Prussiens, il ne prit aucun repos. Il alla établir son quartier-général à Postdam, tandis que ses lieutenants poursuivoient à outrance, et sur tous les points, les débris de l'armée vaincue, tandis que le grand duc de Berg attaquoit Spandau, que le maréchal Ney bloquoit Magdebourg, que le maréchal Augereau entroit à Berlin, etc.... Toutes ces opérations furent conduites avec rapidité et accomplies en même temps. En moins de quinze jours, la Prusse électorale tout entière tomba au pouvoir des François.

Pendant le séjour qu'il fit à Postdam, Napoléon descendit dans le tombeau du grand Frédéric. Nous ignorons s'il y fut entraîné par le desir de rendre hommage à la mémoire d'un héros, ou par un simple motif de curiosité: on lui sut gré de cette pieuse démarche; mais il en gâta le fruit en faisant enlever de ce lieu sacré l'épée du héros, son cordon de l'aigle noir, et sa ceinture de général.

Ces reliques n'avoient de prix réel que là où elles avoient été déposées. Le plaisir que leur vue fit éprouver aux soldats invalides de Paris n'égala pas à beaucoup près le chagrin que ceux de Berlin ressentirent de cet enlèvement sacrilege.

Après quelques jours de repos, l'armée françoise se mit en marche pour la Pologne, où l'armée russe venoit d'entrer. L'empereur Alexandre avoit mis trop tard en mouvement les forces destinées à protéger son allié. Le sort de cette guerre auroit pu être tout-à-fait contraire, ou du moins rester long-temps incertain, si les troupes des puissances alliées avoient été mues et dirigées avec l'ensemble et l'activité qui animoient et dirigeoient l'armée françoise.

L'avant-garde de celle-ci, conduite par le maréchal Davoust, arriva le 28 novembre aux portes de Varsovie, qui lui furent ouvertes dès la première somma

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tion, tandis

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Bataille

que

la garnison russe, trop foible pour résister aux habitants et aux François, sortoit par les portes opposées. Les Polonois accueillirent les François avec une joie vive, mais inconsidérée ; l'empereur leur avoit promis, et à plusieurs reprises, de leur rendre leur antique indépendance.

Sur sa parole, ils convoquèrent une diéte, formèrent une confédération, et s'unirent à Napoléon pour repousser les Russes. Ceux-ci se retirèrent en bon ordre, d'abord derrière la Vistule, ensuite derrière le Bug, puis enfin derrière le Niémen.

Chacune de ces retraites fut précédée d'un combat meurtrier, et coûta beaucoup d'hommes de part et d'autre, sans résultat décisif. C'étoit un plan de campagne prescrit par la nécessité, d'autres disent conseillé par le général Kutusoff, qui vouloit attirer les François dans un pays dont l'hiver rigoureux devoit être pour lui, ce qu'il fat plus tard, un puissant auxiliaire.

Quoi qu'il en soit, le 6 février, tous les d'Eylau. corps de l'armée françoise se trouvant réunis à Preussych-Eylau, en face de l'armée russe et à deux portées de canon, une bataille générale devenoit inévitable. Les deux armées la desiroient avec la même impatience: elle dura trois jours, et fut soutenue des deux côtés avec un égal

acharnement, malgé la neige, le vent, la pluie, et toutes les incommodités réunies du climat et de la saison. Le corps du maréchal Augereau fut exposé pendant deux heures au feu d'une batterie qui en fit périr la plus grande partie, lui-même fut blessé grievement. L'empereur des François trouva là une résistance à laquelle il ne s'attendoit pas, mais qu'il avoit résolu de vaincre à quelque prix que ce fùt. Il exposa d'abord par échellons, puis tous en masse, les corps d'armée que commandoient les maréchaux Bernadotte, Davoust, Ney, Lefebvre et Bessières. Chacun d'eux, et tous ensemble attaquèrent avec leur intrépidité accoutumée les masses inébranlables des Russes, furent repoussés plusieurs fois, et retournèrent autant de fois à la charge.

C'étoit des deux côtés même ardeur; mêmes efforts, et une épouvantable boucherie. « Trois cents bouches à feu, dit le cinquante-huitième bulletin de la grande armée, vomissoient la mort de part et d'autre. Le mal de l'ennemi est immense, dit le même bulletin; le notre n'est pas moindre. »

De notre côté les généraux d'Almann, d'Haupoult et Colineau furent emportés par le canon: avec eux périrent les colonels Lacuée, Lemarrois, Bouvières et vingt-deux autres officiers du même

gra

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de. On évalue à dix-neuf mille hommes la perte que nous fìmes pendant les trois jours que dura cette sanglante mêlée, qui en coûta sûrement davantage à l'ennemi. Napoléon resta maître du champ de bataille, et se flatta, par cet avantage, d'avoir remporté une victoire de plus. L'armée russe fit sa retraite en bon ordre, et sans être inquiétée: la nôtre n'étoit guère en état de la poursuivre.

Le reste de l'hiver se passa en escarmouches de peu d'importance, et en négociations sans succès. Le maréchal Lefebvre reçut l'ordre d'aller faire le siége de Dantzick. Ce siége fut long, meurtrier et un des plus mémorables de la guerre, mais à la fin la ville se rendit; car il n'y a plus de ville imprenable.

L'empereur demanda une levée de cent mille hommes au sénat, qui, en lui répondant que ses ordres étoient accomplis, ajouta : « que la France pleine de confiance dans son génie, dans sa sagesse et dans sa modération, ne doutoit pas que l'ennemi ne dút bientôt recevoir ses lois ou la mort: car l'hiver, le seul allié de la Russie alloit bientôt cesser de la défendre par ses neiges, ses frimas et ses inondations (1).

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En effet, le printemps tardif en ces climats, en rappelant les beaux jours, y ramena toutes les horreurs de la guerre.

(1) Rapport du sénat, 14 avril 1807.

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