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1804.

Buona

parte et Charte

C'est ainsi qu'avant le 18 brumaire il parut inactif, solitaire et studieux ; et que néanmoins toute la France, hors lui, disoit qu'il alloit prendre la place du directoire.

C'est ainsi qu'avant de se faire nommer consul à vie, chacun répétoit que les gouvernements temporaires étoient des gouvernements orageux; et il n'y avoit pas un maire de village qui ne fît des vœux et ne préparât une adresse pour le prier d'accepter un titre inamovible, qui faisoit l'objet de toute son ambition.

Et le jour qu'il osa mettre sur sa tête la couronne de Charlemagne, la nation étoit déja, je ne sais comment, tout accoutumée à voir en lui le successeur de ce grand monarque.

Les hommes à qui les souvenirs tiennent souvent lieu de jugement ont trouvé ague. beaucoup de traits de ressemblance entre Charlemagne et lui. Ils ont dit qu'ils avoient franchi l'un et l'autre de grands obstacles pour arriver au plus haut degré d'élévation, auquel de simples mortels puissent parvenir; que l'un et l'autre avoient été créateurs du vaste empire qu'ils ont gouverné; qu'ils durent leur puissance à leur génie et à leur audace, et non à leurs ancêtres; qu'ils se jouèrent également des périls qui menacent les conquérants et les usurpateurs; qu'ils firent enfin

les plus grandes choses avec facilité, et les plus difficiles avec promptitude (1).

le

Tout cela peut être vrai, sans que parallele soit exact. Et il suffiroit de la différence qui distingue les temps, les mœurs, les circonstances au milieu desquelles ces deux princes ont vécu, non seulement pour en prouver l'inexactitude, mais encore pour éloigner toute induction sur leurs motifs, sur leurs actions, sur leurs principes, et sur la nature des événements auxquels ils ont pris part.

En qualité de guerrier, Buonaparte peut soutenir la comparaison avec Charlemagne. La campagne de 1795, sur-tout, le place incontestablement à côté des plus grands généraux. L'histoire offre peu d'exemples d'une défense aussi savante et aussi opiniâtre, et d'une attaque aussi rapide dans ses mouvements, aussi fertile en victoires, aussi féconde en ressources (2).

Mais tout fut grand dans les conceptions de Charlemagne, et rien de plus simple que les moyens dont il se servit « pour exécuter les plans que son vaste

(1) Montesquieu. Esprit des Lois.

(2) Il ne faut pas oublier d'ailleurs que, dans les siècles d'ignorance et de barbarie, les grands hommes ont moins de rivaux, et par cette raison moins d'obstacles à vaincre pour subjuguer une nation et fonder une dynastie, que dans les siècles de lumières et de civilisation.

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génie avoit conçus. Souvent il donnoit à l'exécution la rapidité de la pensée. Les Saxons le voyoient sur leurs frontières, lorsqu'ils le croyoient à peine occupé des préparatifs de son départ (1). »

Jamais guerrier n'eut un courage plus froid et plus actif; jamais général ne se distingua par une prudence plus consommée : il savoit punir et récompenser.

Ayant lui-même créé tous les ressorts de son administration, aucun détail n'échappoit à sa pénétration, et tous les résultats étoient prévus d'avance.

Dans cette nuit profonde, produite par l'envahissement des barbares, et au milieu de laquelle il naquit, Charlemagne entrevit, par la seule force de son génie, les principes qui doivent régir les sociétés politiques. C'est à lui, plus qu'à l'auteur fameux du Contrat social, que l'Europe doit la première idée des gouvernements représentatifs; car c'est lui qui institua les états-généraux. Ce fut lui qui établit et simplifia cette représentation des trois ordres, dont l'imprudente confusion est devenue si funeste à la monarchie des Bourbons.

Les bourgs et les communautés municipales envoyoient leurs députés à l'assemblée d'automne.

Le prince se garda bien d'abandonner (1) Montesquieu. Esprit des Lois.

la législation politique à la fougue toujours dangereuse des assemblées populaires.

Il ne soumettoit à leur délibération que les édits qui, long-temps provoqués par l'opinion publique, sembloient mûris d'avance dans toutes les têtes, et avoient déja été préparés dans la réunion du champ de mai, composée seulement des évêques et des hauts barons, que le monarque admettoit à son conseil. L'assemblée d'automne, ne pouvant douter que le prince ne s'occupât du bonheur de son peuple, recevoit avec reconnoissance et décidoit avec respect les questions de législation civile et d'administration générale qu'on soumettoit à ses délibérations. Sous ce point de vue, Charlemagne fut incomparablement supérieur à Buonaparte.

Il l'étoit encore comme souverain. On n'ignore plus aujourd'hui combien étoit faux, violent et par conséquent fragile le système de gouvernement qu'il suivit dans le cours de son régne. Au lieu de se mettre à la tête d'une nation généreuse qui vouloit bien le reconnoître pour son chef, la mit sous ses pieds: il se crut assez grand pour la mépriser, et fut assez mal inspiré pour l'avilir.

il

Au lieu de faire concourir sa gloire et ses talents à la prospérité de son peuple, il pensa que le sang du peuple n'étoit bon

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Gouver

impérial.

qu'à cimenter sa gloire, à augmenter så puissance, à étendre ses conquêtes.

Si, pendant son consulat, il nous fit entrevoir l'aurore d'un beau régne, ce fut pour nous faire sentir plus douloureusement le poids de son sceptre de fer; lorsqu'il fut une fois monté sur le trône de Charlemagne.

Son gouvernement, fortement constinement tué, étoit une combinaison singulière et jusqu'alors inouie de libéralité en paroles, et de tyrannie en effet; de principes incontestables et d'actes arbitraires; d'audace militaire et de ruses diplomatiques. Il fut aidé dans cette composition par des mains plus habiles que les siennes, mais lui seul avoit la force de soutenir le poids et d'entretenir l'activité de cette machine colossale.

Conseil

A la tête de cette machine, il faut plad'état. cer son conseil d'état, qui en étoit le grand ressort, et qui, sans attribution spéciale, étoit l'interprète de ses volontés, l'oracle de la justice, le point central de l'administration, et le laboratoire des lois.

Une telle réunion d'attributions étoit une monstruosité politique; mais le mouvement prodigieux qu'elle imprima et qu'elle entretint dans toutes les parties de l'administration prouva qu'elle n'étoit pas une absurdité.

C'est dans le conseil d'état que se ré

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