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partis aux prises et révéla leurs plus se- 1810 crétes pensées (1).

En vantant le beau siècle de Louis XIV, en dépouillant Voltaire de sa gloire littéraire, en déplorant sans cesse la perte du goût et des mœurs, les écrivains qui se présentoient comme les champions de la religion faisoient accroire à leurs lecteurs qu'ils défendoient les priviléges de l'ancien régime, qu'ils faisoient le procès à la révolution, et qu'ils n'étoient enfin que les procureurs fondés des princes de la maison de Bourbon (2).

De leur côté, en défendant avec zèle le mérite littéraire et philosophique des écrivains du dix-huitième siècle, les philosophes ne dissimuloient pas assez le penchant qui les entraînoit vers les opinions républicaines, qu'ils ont appelées depuis idées libérales. Ils étoient loin d'admettre toutes les conséquences que les révolutionnaires de 93 avoient déduites des ouvrages d'Helvétius, de Diderot et du baron d'Holbach. Mais ne pouvant ni rejeter le secours des jacobins, qui vinrent se ranger sous leurs drapeaux, ni modérer le zéle de ces dangereux auxiliaires, qui les compromettoit sans cesse, ils s'embarras(1) Histoire du 18 brumaire.

(2) Ce fut à cet artifice, dont il se moquoit luimême, que M. Geoffroy, l'un des rédacteurs du Journal de l'Empire, fut redevable de la vogue qu'il obtint pendant quelques années.

1810.

sèrent dans leurs doctrines; ils déguisé rent quelquefois leurs desseins, et se trouvèrent souvent en fausse position.

Trois ou quatre hommes célébres ont porté malheur au parti philosophique; savoir l'astronome Lalande, qui avoit compté toutes les étoiles, et n'avoit pas su lire dans l'ordonnance magnifique des cieux la preuve de l'existence de Dieu (1); Sylvain Maréchal et Naigeon, qui prêchoient publiquement la désolante doctrine du matérialisme; Cabanis, qui essaya de revêtir cette doctrine des apparences de la morale; Chénier, qui insultoit en vers harmonieux à tous les noms consacrés par la croyance commune des chré

tiens.

Les hommes sages de ce parti avoient beau désavouer les athées et les révolutionnaires, un certain public s'obstinoit à les confondre avec eux. Les écrivains du parti des dévots avoient en politique un point de réunion que favorisoient les vœux secrets des trois quarts de la France; les inégalités que pouvoit offrir leur marche s'effaçoient dans l'ensemble des espérances qu'ils laissoient entrevoir.

Napoléon rioit de ces disputes, qui attiroient notre attention et nous empêchoient de voir le but vers lequel il s'avan

(1) J. J. Le Français Lalande affichoit l'athéisme, comme le Tartufe affichoit la dévotion.

çoit: il les eût fait naître, si elles n'avoient pas commencé avant lui. Il les encourageoit, tantôt par des avis secrets, tantôt. par des récompenses indirectes. Il employoit les dévots à proclamer la nécessité de placer sur le trône un monarque héréditaire: il employoit les révolutionnaires à démontrer le danger de rappeler les héritiers légitimes de ce trône. Il faisoit dire par les uns qu'il n'y avoit ni repos à espérer pour les individus, ni sûreté pour les propriétés, ni prospérité pour l'état, sans l'hérédité: il faisoit déclarer par les autres que les princes légitimes ne pouvoient rentrer en France, sans renverser de fond en comble tous les intérêts de la révolution, sans punir tous ceux qui avoient coopéré à son succès, et sans rendre les biens nationaux à leurs anciens proprié taires, etc.

Ce fut ainsi que dévots et patriotes furent amenés aux pieds du tyran; et quand il les eut bien ouvertement compromis les uns par les autres, sans craindre désormais ni les reproches de ceux-ei, ni les ressentiments de ceux-là, il monta hardiment sur le trône, dont ils lui avoient aplani le chemin.

1810.

Peu de temps après son mariage, l'em- Voyage pereur alla visiter les provinces de la Bel- en Belgigique, et il mena avec lui l'impératrice. Les peuples de ces provinces, heureux de

que.

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voir une princesse de la maison d'Autriche, accueillirent les deux époux avec toutes les démonstrations de la joie. Ce voyage ne fut qu'une suite de fêtes et de triomphes.

Mais l'empereur trouva moyen d'en gâter la douceur, en laissant échapper son secret sur la religion catholique. C'étoit à Bréda. Les ministres des deux cultes allèrent lui présenter leurs hommages: il n'y avoit point de raison pour leur faire un accueil différent (1); cependant il affecta de ne pas regarder les catholiques, et s'adressant aux réformés, il leur dit :

« J'ai toujours trouvé dans les protestants des sujets fidéles: j'en ai soixante mille à Paris, et huit cent mille dans mon empire. Je n'ai point de meilleurs sujets. Je m'en sers dans mon palais, et je vois ici une poignée de Brabançons fanatiques qui voudroient s'opposer à mes desseins. Imbécilles! ils ne savent pas que, si le concordat n'avoit pas été adopté, je me serois fait protestant, et trente millions de François auroient suivi mon exemple.

Ce discours extravagant d'un bout à l'autre fut tenu en présence de l'impératrice, et lui donna la mesure de ce qu'elle

(1) A moins qu'on ne suppose que les ministres catholiques des Pays-Bas n'eussent laissé percer des regrets sur les affaires de Rome; mais ce ne peut être qu'une supposition; il n'y a point de preuves.

avoit à craindre des fougueuses passions de son mari.

Dans ce temps-là moururent, à peu d'intervalle les uns des autres, MM. Lagrange, Fourcroy et Delille, trois hommes diversement célébres, mais également regrettables.

1810.

MM. La

grange,

M. Lagrange étoit regardé comme le Mort de premier géométre de l'Europe. Né à Turin, de parents françois, il passa la plus Fourcroy grande partie de sa vie à Berlin, où il avoit et Delili. été appelé par Frédéric II. Après la mort de ce prince, il vint s'établir en France, qu'il n'avoit jamais cessé de regarder comme sa patrie.

En le nommant sénateur, Napoléon lui conféra une de ces places sans fonctions, que les Anglois désignent sous le nom de sinecures. Cette place, en effet, ne le détourna pas de ses études. Il continua de se livrer à son goût pour les mathématiques; la science lui doit la théorie des fonctions analytiques, la méchanique analytique, et un traité de la résolution des équations, etc., ouvrages classiques et dans lesquels l'auteur, aussi élégant dans son style qu'original dans ses découvertes, a su dissiper les doutes et répondre aux objections qu'on proposoit avant lui contre la métaphysique de ces calculs.

M. Fourcroy ne peut être placé dans la classe des hommes de génie qui, par leurs

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