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Ce fut à la suite d'une de ces rencontres que périt un des plus grands capitaines de notre âge, qui en a tant produit.

1813.

Moreau.

Le général Moreau se trouvoit derrière Mort du une batterie prussienne, contre laquelle général étoient dirigées deux batteries françoises: il s'entretenoit avec l'empereur Alexandre sur le plan de campagne à suivre, lorsqu'il fut atteint d'un boulet de canon qui lui fracassa les deux jambes. Il poussa un soupir, et perdit connoissance. Il ne tarda pas à la recouvrer, parla avec sang-froid de sa mort prochaine, se fit donner un cigare, tandis qu'on le transportoit au quartier-général d'Alexandre : là on lui fit l'amputation des deux jambes. Il ne jeta aucun cri; aucun trait de son visage ne trahit ses horribles souffrances.

Il mourut le 2 septembre 1813. Son corps fut embaumé et transporté à St.Pétersbourg.

Deux heures avant de mourir, il écrivit à l'empereur Alexandre la lettre que voici :

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« Je descends au tombeau avec le même respect et les mêmes sentiments que vous m'avez inspirés dès les premiers moments que je vous ai vu. »

Alexandre s'empressa d'écrire à sa veuve, pour lui exprimer ses regrets, et lui offrir des consolations. Voici sa lettre :

1813.

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Lorsque le malheur affreux qui atteignit le général Moreau à mes côtés me priva des lumières et de l'expérience de ce grand homme, je concevois l'espoir qu'on

réussiroit à le conserver à sa famille et à mon amitié. La Providence en a autrement disposé. Il est mort, comme il a vécu, avec l'énergie d'une ame forte. S'il vous convenoit, madame, de vous fixer en Russie, je chercherois tous les moyens d'adoucir votre douleur, et d'embellir la vie d'une personne à laquelle je me fais un devoir sacré d'offrir des consolations. Dans tous les cas, madame, l'amitié que j'avois vouée à votre mari s'étend au-delà du tombeau, et je n'ai d'autres moyens de m'acquitter, au moins en partie, de ma dette envers lui, qu'en faisant quelque bien à sa famille.

་་

Signé ALEXANDRE. »

On peut se rappeler que le général Moreau avoit été, en 1804, condamné à deux ans de détention; peine qui fut ensuite convertie en celle d'exportation. Il se rendit aux États-Unis, où il vécut paisiblement pendant huit ans, et jusqu'au moment où, cédant à de puissantes considérations, il revint en Europe, dans le dessein, non de faire la guerre son pays, mais de contribuer de toutes ses forces à

renverser l'homme dont le poids pesoit sur la terre entière. Ce fut l'expression dont il se servit, lorsque, peu de jours après son débarquement, il fut présenté à l'empereur Alexandre.

Cependant Napoléon s'obstinoit, contre l'avis de ses meilleurs généraux, à rester à Dresde. On n'a jamais su le motif de cette résolution; et il est difficile de l'expliquer, si l'on ne veut pas recourir à cet aveuglement dont Dieu ne manque pas de frapper ceux qu'il veut perdre. Chaque jour lui apportoit la nouvelle de la défaite d'un de ses lieutenants: le général Vandamme avoit été battu et fait prisonnier en Bohème; le maréchal Macdonald avoit été repoussé en Lusace; le maréchal Ney n'avoit pas été plus heureux en

Prusse.....

Dans ces funestes circonstances, il apprend que Bernadotte, prince royal de Suede, marchoit sur Leipsick, et alloit rejoindre avec son armée celle du prince de Swartzemberg. Je saurai bien l'empêcher, s'écria-t-il en fureur; et aussitôt il donne le signal du départ. Toute son armée s'ébranle, évacue la Misnie, se porte en avant à marches forcées, et arrive le 17 octobre dans les plaines de Wachau, à peu de distance de Leipsick, où les alliés l'attendoient. Des deux côtés on desiroit une action décisive: elle eut lieu le lendemain.

1813.

1813.

Bataille de

Ce fut le 18 que commença cette terrible bataille, connue sous le nom de Leipsick, qui dura trois jours, qui, par Leipsick. ses grands et nombreux faits d'armes, fut surnommée la bataille des nations, et qui décida le sort de la France et de l'Europe.

Dans ces trois journées, l'ennemi déploya deux cent quatre-vingt mille hommes contre cent quatre-vingt-dix mille que déployèrent les François. Malgré l'inégalité du nombre, la victoire se déclara d'abord pour les François. Le maréchal Victor avoit repoussé le général Witgenstein; le maréchal Augereau avoit battu le général Kleist; et le général Poniatowsky poursuivoit vivement le général Colloredo. A trois heures après midi, l'armée françoise manoeuvroit par-tout avec autant d'habileté que de succès, et paroissoit devoir remporter l'honneur de cette journée; lorsque le contingent saxon, qui étoit de douze mille hommes, passa tout entier du côté de l'ennemi, et changea tout-àcoup la face des affaires. On ne cessa pas de se battre; mais le bruit de cette grande défection jeta l'alarme dans l'esprit des François et le désordre dans leurs rangs. Napoléon fit sonner la retraite.

Le 19, à la pointe du jour, les parcs d'artillerie, les bagages et les deux tiers de l'armée, en pleine retraite, avoient déja traversé Leipsick, et prenoient la

route de Lindenau. Macdonald, à l'arrière-garde, faisoit bonne contenance et soutenoit tout l'effort des vainqueurs. On se battoit à chaque pas; on se battit toute la journée du 19 dans les rues de Leipsick. Le 20, Napoléon traversa la Saale sur le pont de Lindenau, qu'il fit sauter immédiatement après, sans s'inquiéter de ce que deviendroit la partie de son armée

de

restée sur l'autre rive. Le maréchal Macdonald et le prince Poniatowski, à la tête de vingt-huit mille hommes d'élite et de cent pièces de canon, resistoient encore, et continuoient de présenter un front redoutable à l'ennemi qui les poursuivoit; mais, accablés par des forces supérieures, ils se disposoient à passer sur le pont Lindenau, qu'ils trouvèrent coupé ! Cette fatale mesure mit le comble à nos désastres. Les vingt-huit mille hommes mirent bas les armes, en grinçant les dents. Pour éviter d'être pris, Macdonald et Poniatowski se jetèrent dans la Saale, qui, dans cet endroit, est rapide et profonde. Macdonald eut le bonheur de la passer à la nage; l'infortuné Poniatowski s'y noya.

Après les funestes journées d'Azincourt et de Poitiers, on ne trouve pas dans notre histoire d'exemple de deux déroutes aussi complétes que celles de Leipsick et de la Beresina. Mais tel étoit l'effroi qu'inspiroient aux étrangers la France et quinze

1813.

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