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circonstances n'avoient pas été paralysés par le découragement général. Malheureusement pour nous et pour lui, l'étranger étoit appelé et desiré de tous côtés comme ami et comme le sauveur de la France.

C'étoit dans le Midi sur-tout que cette disposition des esprits se manifestoit avec le moins d'équivoque. Par-tout l'empereur avoit trouvé le secret de se détacher de la nation, en sacrifiant sans cesse et sans scrupule des générations entières et la fortune publique à ses intérêts particuliers.

Mais il n'avoit nulle part, plus que dans le Midi, brisé les ressorts du carac tère national, écrasé le commerce et l'industrie, repoussé les élans d'une généreuse liberté; ce fut aussi dans le Midi que fut donné le premier signal de l'insurrection contre lui: ce fut dans le Midi que se firent entendre les premiers cris de Vive le Roi, vivent les Bourbons!

Avant d'aller se mettre à la tête de ses armées, Napoléon rendit la liberté au roi d'Espagne et au saint-père, qu'il retenoit prisonniers, le premier à Valençay, dans le Berry; le second à Fontainebleau: on ne lui sut aucun gré de ces deux actes d'une justice tardive, dont on alla chercher la cause dans la peur que lui inspiroient les Espagnols et le clergé, et qu'on

1814.

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auroit pu trouver mieux dans l'alternative nécessaire où il étoit de les tuer ou de les rendre. Il ne pouvoit plus les garder.

Il ne pouvoit pas davantage laisser une forte garnison dans Paris, malgré la crainte que lui inspiroient les mauvaises dispositions de ses habitants; mais il crut intéresser leur générosité, en confiant leur défense à eux-mêmes, en réorganisant la garde nationale, en leur donnant pour officiers des ministres, des sénateurs, les premiers dignitaires de l'état.

Le 25 janvier, veille de son départ, il convoqua tous les officiers de cette milice dans son palais, et parut au milieu d'eux, tenant d'une main sa femme et de l'autre son fils. « Je pars, leur dit-il, je vais aller prendre le commandement de mon armée, j'espère qu'avec l'aide de Dieu et la valeur de mes troupes, je rejetterai l'ennemi hors des frontières. »

Jetant ensuite un regard attendri sur sa femme, qui venoit de prendre son fils dans ses bras, il ajouta : « Messieurs, je aisse ma femme et mon fils au milieu de vous, je confie à ma bonne ville de Paris les objets de mes affections les plus chères. »

Cette scène théâtrale, évidemment préparée pour l'effet, n'en produisit aucun, parcequ'elle parut à tout le monde ce qu'elle étoit réellement, la froide répéti

tion de celle que Marie-Thérèse joua avec tant de chaleur et de succès en 1744, au milieu de l'armée hongroise (1).

1814.

en

France.

Les alliés avoient passé le Rhin sur plu- Entrée sieurs points, et s'avançoient lentement des alliés vers Paris, non sans s'étonner eux-mêmes de paroître en vainqueurs dans cette France dont les terribles bataillons les avoient si souvent fait trembler dans leurs foyers. Ils firent un premier mouvement sur Genève et Lyon; mais c'étoit une feinte, dont le motif étoit d'attirer de ce côté les renforts que Napoléon faisoit venir d'Espagne à marches forcées. Le bruit de la prise de Lyon courut même à Paris pendant plusieurs jours, et n'étonna personne. Mais on étoit abusé, c'étoit sur la Lorraine èt la Flandre que les ennemis portoient des coups décisifs; c'étoit vers Langres et Chaumont qu'ils s'avançoient. Ils s'avançoient avec l'appareil le plus formidable. Voici un état circonstancié de leurs forces.

Armées autrichiennes,

hommes.

250,000

Levées en masses d'Allemagne, 290,000
Armées russes,

250,000

(1) Marie-Thérèse, chassée de ses états, parut au milieu de son armée, tenant son fils dans ses bras, et prononça une courte harangue, à laquelle tous les braves Hongrois répondirent par ces mots : Moriamur pro rege nostro Maria Theresia.

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Jamais les nations civilisées n'avoient armé autant d'hommes à-la-fois. Jamais la Grèce n'eut rien de semblable à redouter du soulèvement de l'Asie entière. Et puisque la France devoit succomber, il faut dire qu'elle n'a pas succombé sans gloire, puisque, pour l'abattre, il n'a fallu rien moins que toutes les forces réunies de l'Europe.

Sous un chef unique, sous un chef impétueux, tel que Suwarow ou Napoléon, les alliés seroient arrivés en peu de jours à Paris, et sans avoir livré de bataille rangée. Mais, outre la crainte que les François, tout vaincus qu'ils étoient, inspiroient à leurs ennemis, il y avoit peu d'accord dans le conseil de ceux-ci, chacun des chefs avoit des vues différentes, et différentes manières d'opérer. Il en résulta qu'il n'y eut d'ensemble ni dans leurs manœuvres ni dans leur objet. Chacun d'eux fit la guerre à part, et crut devoir la faire avec des masses de quatrevingt et de cent mille hommes, comme jadis les Turenne et les Montecuculli la faisoient avec des corps de vingt-cinq à

,

trente mille hommes, par des marches et des contremarches. Il en résulta encore que cette campagne, qui ne devoit pas durer plus de six semaines, si elle avoit été conduite par un seul homme, ou sur un seul plan, dura plus de six mois; et que nos plus belles provinces furent tour à tour et horriblement dévastées par les Russes, les Allemands, les Prussiens et les François eux-mêmes. Il en résulta enfin que Napoléon, profitant habilement des fautes de ses ennemis, se battant pour son trône et pour sa vie, retrouva ses forces et son activité, se couvrit de nouveaux lauriers, se montra plus grand capitaine que jamais, et fut sur le point de creuser, pour la seconde fois, dans les champs catalauniques, le tombeau des barbares du Nord. (1)

Après avoir fait toutes ses dispositions dans l'intérieur, il quitta Paris le 26 janvier 1814, arriva le même jour à Châlons-sur-Marne, et, sans s'arrêter, courut à Saint-Dizier, en délogea les Russes, qu'il poursuivit pendant quelques lieues sur la route de la Lorraine; revint ensuite sur ses pas, arriva brusquement devant Brienne, que le maréchal Blücher occupoit depuis quelques jours avec une partie de l'armée prussienne.

(1) Ce fut dans les plaines de Châlons qu'Aëtius, général romain, extermina l'armée d'Attila.

1814.1

Napo

léon va

prendre le com

mande

ment de

son armée.

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