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depuis cinq ans (1). Tous les trois menoient la vie la plus retirée; et dans une ville où les plaisirs et la dissipation surpassoient tout ce qu'on voyoit ailleurs, ils n'en partageoient aucun.

Quelques visites fort courtes qu'ils recevoient ils n'en faisoient point), une course en voiture lorsque le temps étoit beau, ou une promenade à pied dans des lieux solitaires, étoient les seules distractions qu'ils permissent à leurs pensées mélancoliques. Le roi passoit la plus grande partie du jour dans son cabinet, expédiant plus d'affaires dans une matinée que beaucoup de ministres n'en expédient dans une semaine.

S. M. avoit fait venir auprès d'elle M. l'abbé Edgeworth, ce prêtre courageux qui avoit assisté Louis XVI dans ses derniers moments; et c'étoit par ses mains vénérables qu'il faisoit passer les abondantes aumônes que, malgré la modicité de son revenu, il distribuoit aux émigrés répandus en Europe; et même en France, à de pauvres familles que la révolution avoit dépouillées de tous leurs moyens de subsistance.

(1) Ce fut à Mittaw, et le 10 juin 1799, que leur mariage fut célébré, en présence du roi, de tous les François attachés à ce prince et des principaux habitants de la ville. Paul I signa le contrat de mariage, et en fit déposer une copie dans les archives de son sénat.

1804.

1804.

Légion d'hon

neur.

Le 14 juillet 1804, l'empereur alla faire aux Invalides l'inauguration de la légion d'honneur. Il étoit difficile de choisir un local mieux approprié à cette grande cérémonie que le temple orné par les mains de la Victoire des nombreux drapeaux enlevés aux ennemis de la France; et d'un autre côté, cette institution ne pouvoit dater d'une époque plus mémorable. L'esprit qui animoit les François au 14 juillet 1789 sembloit y respirer tout entier. Elle offroit les principaux éléments des réformes qu'alors on croyoit nécessaires. Elle annonçoit que les vertus, les talents et les services rendus à la patrie alloient devenir les seuls titres aux distinctions; elle réunissoit sous la même bannière tous les genres de mérite; elle allioit les mots sacrés d'honneur et de patrie, si puissants sur le cœur des François.

Aucun autre état moderne ne présentoit un établissement de cette nature. Partout ailleurs les différences entre les professions diverses feat naître et entretien'nent les rivalités : de là vient que par-tout ailleurs un militaire n'est qu'un soldat, un prêtre un homme d'église, un magistrat un homme de loi, un ouvrier un homme de peine. Par l'institution du nouvel ordre, tous les citoyens françois devoient être unis d'un même nœud, attachés aux mêmes devoirs, et honorés des

mêmes distinctions. Cette décoration ne donnoit ni autorité civile, ni grade militaire : toutes les professions pouvoient aspirer; elle pouvoit honorer également tous les individus. Tel étoit au moins l'esprit de son institution; et celui qui en conçut le projet connoissoit parfaitement le caractère françois.

Tant que la croix d'honneur fut le prix des services ou la récompense des talents, elle fit des merveilles; mais elle ne tarda pas à devenir la proie des courtisans, des flatteurs du pouvoir, des .familiers du prince, de tous les intrigants.

Ainsi multipliée à l'excès, et prostituée sans ménagement, cette marque de distinction ne distingua plus personne; cette décoration, qui devoit être la récompense du courage, du talent et de la vertu, fut livrée à quiconque se donna la peine de la demander cette croix d'honneur, qui devoit être immortelle comme son fondateur, a subi le sort de l'Ordre de l'Étoile, institué par le roi Jean, et qui, abandonné aux chevaliers du guet, fut prostitué dès son origine (1).

L'empereur quitta Paris dans le mois d'août, pour aller se montrer dans sa nouvelle dignité au camp au camp de Boulogne, dans

(1) En 1816, le nombre des commandants, offciers et chevaliers de la légion d'honneur passoit quarante-cinq mille.

1864.

1804.

les ports de Dunkerque, d'Ostende et d'Anvers, dans les villes de Mayence, de Bruxelles, d'Aix-la-Chapelle, de Liége, de Paderborn....... Par-tout il fut reçu avec un enthousiasme réel ou commandé; partout il voulut voir ce qui méritoit d'être vu, examiner par lui-même ce qui offroit ou des abus à réformer, ou des établissements utiles à encourager; écoutant avec attention les plaintes qu'on avoit à porter, recevant avec bonté les fêtes qu'on vouloit lui donner, étonnant les peuples par sa prodigieuse activité, et laissant par-tout des traces de sa munificence. Ce voyage fut, d'un bout à l'autre, une suite de triomphes et de réjouissances publiques.

Mais ce voyage fut en même temps l'époque de cette guerre de plume que les feuilles d'Angleterre n'ont cessé de lui faire pendant tout le cours de son règne, à laquelle il eut la foiblesse de paroître sensible, et le tort de répondre sans modération et sans dignité.

S'il n'aimoit pas les Anglois, ce n'étoit pas sans raison. Il les trouva toujours dans son chemin, il les eut pour ennemis constants et à découvert. Il n'ignoroit pas que M. Pitt, rappelé au ministère, avoit eu le talent de former contre lui une quatrième coalition, dans laquelle étoient entrées les deux plus grandes puissances du continent, l'Autriche et la Russie. Il eut

le chagrin de faire auprès du roi d'Angleterre une seconde tentative, qui ne réussit pas mieux que la première. Il écrivit

sans succès la lettre suivante :

Lettre de l'empereur au roi d'Angleterre.

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« Monsieur mon frère,

Appelé au trône de France par la Providence et par les suffrages du sénat, du peuple et de l'armée, mon premier sentiment est un vœu de paix. La France et l'Angleterre usent leur prospérité; elles peuvent lutter des siècles. Mais leurs gouvernements remplissent-ils bien le plus sacré de leurs devoirs? et tant de sang versé inutilement, et sans la perspective d'aucun but, ne les accuse-t-il pas dans leur propre conscience? Je n'attache point de déshonneur à faire le premier pas. J'ai assez, je pense, prouvé au monde que je ne redoute aucune des chances de la guerre. Elle ne m'offre d'ailleurs rien que je doive redouter.

la

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« La paix est le vœu de mon cœur : mais guerre n'a jamais été contraire à ma gloire. Je conjure votre majesté de ne pas se refuser au bonheur de donner ellemême la paix au monde. Qu'elle ne laisse pas cette douce satisfaction à ses enfants: car enfin il n'y eut jamais de plus belle circonstance, ni de moment plus favorable pour faire taire toutes les passions,

1804.

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