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1814.

Etat de

société.

dissipation que la révolution a introduits dans leurs ménages. Les femmes se plaignent de l'abandon dans lequel elles sont délaissées, depuis que les discussions politiques ont tourné la tête à leurs maris.

Si de ces plaintes particulières nous souffran- nous élevons à de plus hautes considérace de la tions, nous ne pourrons nous empêcher de remarquer que non seulement la Fran- ce, mais l'Europe entière est dans un état de souffrance, tout-à-fait inconnu il y a

trente ans.

Esprit Une des causes de cet état de soufmilitaire. france est dans l'esprit militaire qui est devenu la maladie endémique des gouvernements. L'Europe est un camp. Une population de cent cinquante millions d'habitants fournit aujourd'hui trois millions de soldats, ce qui est précisément le double de ce qu'elle fournissoit avant la révolution.

Excès des

La force réelle des armées n'est pas dans leur nombre; le nombre n'y fait rien, dès qu'un nombre égal peut lui être opposé.

Avec une armée de vingt-deux mille hommes, César conquit l'empire du monde à Pharsale. Henri IV a conquis le trône de France avec quinze mille hommes.

Un abus en entraîne d'autres. L'excès impôts. des forces militaires a produit celui des impôts. On n'interroge plus les nations

sur ce qu'elles doivent payer pour défendre leur indépendance, mais sur ce qu'elles peuvent supporter sans succomber. Les propriétaires, en France et en Angleterre, ne sont plus que les fermiers du fisc. Le propriétaire d'une ferme de 100,000 francs de capital, qui ne réunit pas à son revenu celui d'une place ou le produit de quelque industrie, ne peut ni élever sa famille ni vivre avec aisance (1). Un troisième vice de notre situation ac

tuelle, c'est que tout est rapporté aujourd'hui à la société générale, et rien à l'individualité, qui est pourtant le but des associations humaines; par-là l'objet de l'association est interverti. Ce n'est plus pour la société qu'on fait des constitutions, c'est pour les constitutions qu'on forme les sociétés.

Tous les gouvernements que la révolution a donnés à la France ne se sont soutenus que par des coups d'état, dont l'action fut toujours rapide, inévitable, inflexible. Tandis que les chefs préparoient leurs armes, les individus étoient retenus dans l'isolement par les moyens de surveillance, de police et d'inquisition qu'on exerçoit contre eux. Jamais le pouvoir n'a été plus près du sujet ; jamais le sujet n'a éprouvé plus de craintes et de défiances que depuis la publication des droits de (1) Congrès de Vienne, par M de Pradt.

1814.

Abus des

constitu

tions.

1814.

l'homme et l'établissement des constitutions libérales. C'est ce qui explique, et en même temps ce qui justifie jusqu'à un certain point l'extrême docilité avec laquelle les François ont obéi tour-à-tour à Mirabeau, à Robespierre, à Barras, à Merlin, à Buonaparte, à tous ceux qui, à l'abri d'une constitution, se sont emparés des rênes du gouvernement.

Dans le fait, il n'y a eu que des dicta, tures en France depuis le 14 juillet 1789 jusqu'à la rentrée du roi en 1814. Chaque dictateur a commandé, imposé, requis, déplacé tout ce qu'il a voulu. Les hommes passoient, l'esprit restoit. Ces dictatures, devenues le centre de tous les intérêts, attiroient tout à elles, touchoient à tout, Bureau- vendoient tout, dilapidoient tout. Voilà cratie. ce qui a produit cette prodigieuse multitude d'employés dans les bureaux, cette bureaucratie qui est devenue le ver ron, geur des états, et la lépre des sociétés modernes.

Educa

tion.

Le nombre des employés est immense; chacun d'eux est un impôt. Et quel cas en fait-on? on les prend, on les rejette avec la même indifférence. Ces changements fréquents entretiennent dans les administrations un mouvement qui ne s'arrête jamais, et des embarras qui subsistent toujours.

L'éducation de toutes les classes de la

société est à-peu-près la même aujourd'hui, c'est-à-dire aussi mauvaise pour les uns que pour les autres.

1814.

En sortant du collège, les jeunes gens se croient plus instruits que leurs maîtres ; ils veulent être des hommes; ils ont des prétentions à tout. Se précipitant dans les routes de la fortune, quelques uns arrivent, d'autres en plus grand nombre échouent; l'humeur gagne ceux-ci : l'envie s'allume dans leurs cœurs, la misère les jette dans le parti de l'opposition, où ils vont grossir le nombre des esprits chagrins, des frondeurs, des mécontents et des factieux. C'est du sein de cette jeunesse insensée ou égarée que sortent aujourd'hui tous ces libelles diffamatoires presse. contre les gouvernements légitimes, ces brochures séditieuses ou immorales, ces journaux incendiaires qui, sous prétexte de réformer les abus de l'autorité et de combattre les préjugés de la superstition, prêchent la révolte et l'impiété, soulévent les passions de la multitude, et attaquent audacieusement tout ce que les hommes ont respecté jusqu'ici.

En nous résumant, nous trouvons que la mauvaise éducation que la jeunesse reçoit depuis trente ans, la licence de la presse, les illusions de la liberté, l'abus des constitutions, l'excès des impôts, et l'invasion de l'esprit militaire, sont des

Licence

de la

1814.

Derniers

causes sans cesse agissantes contre la sou
mission des peuples, la sécurité des gou-
vernements et le repos de la société, et
des causes dont l'action n'a été
que mo-
mentanément suspendue par la chute de
Napoléon.

Le moment de bonheur qui s'ensuivit jours de fut trop court; il passa comme un éclair. bonheur. Il semble qu'on avoit le pressentiment qu'il ne dureroit pas long-temps; on se pressa d'en jouir; on se livra sans réserve, comme sans défiance, à ses goûts, à ses travaux, à ses affections. Chacun se félicitoit d'avoir retrouvé ses parents, ses amis, ses habitudes, et sur-tout la faculté de penser tout haut, et d'agir sans contrainte.

Les arts et les lettres, le commerce et les plaisirs, tout renaissoit à-la-fois dans nos cités. Des fêtes brillantes, des modes nouvelles, une grande affluence d'étrangers, un grand mouvement dans tous les canaux de la vie, concouroient à nous faire oublier les transes mortelles, les images de sang, les cris de guerre des années précédentes.

L'homme de la campagne, délivré des réquisitions, des conscriptions et des logements militaires, respiroit à son aise, labouroit son champ avec assurance, voyoit croître avec plaisir ses moissons et ses enfants, rendoit grace à Dieu et bénissoit le roi.

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