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avoit existé entre lui et Murat un système de coopération. Il se complut même à répandre cette nouvelle, dans le dessein de grossir son parti et de gagner des officiers et des soldats. Mais, dans le fait, il méprisoit l'ingrat roi de Naples, il n'attendoit rien d'un homme qui avoit assez mal connu sa position pour conclure contre son allié nécessaire un traité d'alliance avec ses ennemis naturels. Il ne voulut pas entendre parler à l'île d'Elbe de ce faux frère qui, après avoir été son complice à Madrid et sa créature en Italie, s'étoit déclaré son ennemi, depuis que la fortune l'avoit abandonné. C'est un sot, disoit-il, que les princes désavouent, alors même qu'il se dévoue pour eux. Il ne fonda aucune espérance de ce côté-là. Il comptoit beaucoup sur lui-même et sur son armée. Son armée étoit dispersée; mais il en connoissoit l'esprit, cet esprit étoit son ouvrage. Mes soldats, disoit-il encore, ne seront jamais ceux d'un autre. Il avoit pu la renouveler et la refondre plusieurs fois, l'abandonneren Égypte, en Espagne, en Russie, à Leipsick, sans perdre sa confiance, sans cesser d'être l'objet unique de son dévouement. Cette armée, plusieurs fois réduite à quelques débris, se survécut toujours à elle-même. Un sous-lieutenant, un sergent, un soldat, suffisoient pour pénétrer des masses entières de con

scrits de cette idolatrie de gloire, de cette ardeur des combats, de cet esprit militaire qu'il avoit eu le secret de leur communiquer, qui circuloit dans tous les rangs, et qui animoit tous les grades. C'étoit là le principal fondement de ses espérances, et ce fut la grande cause de ses succès. Son armée étoit dispersée; mais il étoit bien sûr qu'au premier signal elle se réuniroit sous ses drapeaux.

Il comptoit aussi sur l'esprit de réaction qui se manifestoit dans le royaume. Les méprises, les erreurs, les faux calculs, effets de la nouveauté sur des hommes qui, depuis vingt-cinq ans, n'avoient rien appris, ni rien oublié, et qui revenoient avec leurs préjugés et leurs passions pour gouverner un peuple révolutionné dans ses lois, dans ses mœurs, dans ses goûts, sembloient marquer tous les pas du nouveau gouvernement, attester son impuissance et encourager tous ceux qui oseroient l'attaquer.

La plupart des hommes de la révolution que Louis XVIII avoit appelés autour de lui étoient connus de Buonaparte. Non seulement il connoissoit l'influence qu'il exerçoit sur chacun d'eux, mais il pouvoit déterminer, avec une sorte de préci- · sion, le degré de celle que chacun d'eux exerçoit soit dans l'administration, soit dans l'opinion; et, signalant d'avance les

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Ses mo

tifs d'es

pérance.

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fautes et les débats que l'ignorance des uns et l'opposition des autres devoient produire dans les deux chambres ainsi que dans le conseil du roi, il pouvoit assigner le jour et l'heure où, sans être appelé par la nation, il n'auroit qu'à frapper du pied le sol de la Francé pour en faire sortir des soldats, et se voir élevé pour la seconde fois sur le pavois de ses vieilles légions.

Il n'ignoroit pas le caractère du roi, et rendoit justice à ses lumières et à son jugement. Il pensoit, et non sans raison, que, dans les circonstances difficiles où ce prince alloit se trouver, entre deux partis extrêmes qui manifestoient avec une égale insistance des prétentions contradictoires, il lui seroit impossible d'appliquer avec succès le fruit de ses études et l'expérience qu'il avoit acquise à l'école du malheur.

La présomption étoit une des qualités de l'esprit de Buonaparte; mais cette présomption n'étoit pas toujours aveugle. Il calculoit souvent avec justesse les difficultés de ses entreprises, et les moyens de les vaincre. Dans la circonstance actuelle, quelque téméraire que dût paroître à toute la terre le projet d'attaquer la France avec quatre cents hommes, il ne Jui parut que la conséquence naturelle de la nécessité où il s'étoit trouvé de céder sa

couronne à Louis XVIII. Selon sa logique, la certitude du succès étoit la démonstration de ses droits.

Tout arriva comme il l'avoit prévu. Vainement l'entrée du roi dans le royaume de ses pères avoit offert l'aspect touchant d'une pompe nationale et d'une fête de famille. Vainement le prince et la nation s'étoient entendus pendant les premiers jours de leur réunion, et avoient contracté à la face du ciel des obligations réciproques et solennelles ; la volonté du roi fut constamment comprimée par des volontés plus actives; ses meilleures intentions furent dénaturées par de perfides explications; sa prudence fut déçue par un ministère à marche oblique, et par des considérations étrangères à son caractère, contraires à ses vues, et qui l'obligèrent à régner tantôt avec les préjugés d'un temps qui n'est plus, et tantôt d'après des lois incompatibles avec la monarchie.

Le monarque, avons-nous dit, étoit entouré d'hommes dont les uns manifestoient ouvertement l'intention de rétablir la monarchie absolue sur les ruines du régime constitutionnel, et les autres ne cachoient pas davantage celle de substituer des institutions démocratiques à toutes les institutions monarchiques. Les premiers se retranchoient derrière l'auto

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Guerres

rité légitime et le gouvernement de droit. Les autres invoquoient les lumières du siècle et les gouvernements de fait; on désignoit ceux-ci sous le nom de libéraux ou d'indépendants; on désignoit les autres sous celui d'ultrà royalistes.

On a souvent remarqué que c'étoit avec d'opi- des mots qu'on ensanglantoit la terre: ce nions. qu'il y a de vrai, c'est qu'avec des mots, que le peuple n'entend pas, les novateurs sont toujours venus à bout d'établir des opinions qu'ils entendent bien.

Les années qui venoient de s'écouler avoient effacé bien des traditions, dénaturé les anciennes doctrines et changé le cours de nos idées.

Celle d'un gouvernement de droit n'étoit plus guère comprise que par les hommes de soixante ans, et par les professeurs de l'École de droit. Le peuple et les jeunes gens étoient disposés à croire que tout gouvernement de fait étoit un gouvernement légitime.

Le peuple, auquel on avoit, pendant vingt-cinq ans, dérobé la connoissance du séjour et même de l'existence des Bourbons, parloit de cette auguste famille comme de celle des Valois ou des Carlovingiens. Leurs noms n'étoient plus que des noms historiques; leurs droits étoient oubliés comme eux.

Cependant c'étoit à la reconnoissance

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