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1804.

et pour écouter uniquement le sentiment de l'humanité.

« Ce moment une fois perdu, quel terme assigner à une guerre que tous mes efforts n'auroient pu terminer?

« Votre majesté a plus gagné depuis dix ans en territoire et en richesses que l'Europe n'a d'étendue. Sa nation est au plus haut point de prospérité. Que peutelle espérer de la guerre? Coaliser quelques puissances du continent? Le continent restera tranquille, ou sera victime des nouveaux mouvements qu'on veut lui donner. Une coalition ne peut qu'accroître la prépondérance et la grandeur continentale de la France. Renouveler les troubles intérieurs? les temps ne sont plus les mêmes. Détruire nos finances? des finances fondées sur une bonne agriculture ne se détruisent jamais. Enlever à la France ses colonies? les colonies sont pour la France un objet secondaire; et votre majesté n'en posséde-t-elle pas plus qu'elle n'en peut garder?

« Si votre majesté veut elle-même y songer, elle verra que la guerre est sans but et sans aucun résultat avantageux pour elle. Eh! quelle triste perspective que celle de faire battre les peuples sans but et sans utilité pour personne ! Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre à l'aise, et les

deux gouvernements sont assez éclairés pour trouver les moyens de tout concilier, s'ils en ont la volonté.

« J'ai toutefois rempli un devoir saint et précieux à mon cœur. Je prie votre majesté de croire à la sincérité des sentiments que je viens de lui exprimer, et à mon desir de lui en donner des preuves.

«Paris, ce 12 nivôse an 13 (2 janvier 1805). »

Le ministère britannique fit à cette lettre une réponse évasive relativement à l'ouverture de négociations, mais qui, quant à la reconnoissance de Napoléon en qualité d'empereur des François, n'étoit pas équivoque. La voici :

Lettre de lord Mulgrave à S. Exc. M. de Talleyrand, ministre des relations extérieures.

« Monsieur, sa majesté a reçu la lettre qui lui a été adressée par le chef du gouvernement françois, datée du deuxième jour de ce mois.

"

Il n'y a aucun objet que sa majesté ait plus à cœur que de saisir la première occasion de procurer de nouveau à ses sujets les avantages d'une paix fondée sur des bases qui ne soient pas incompatibles avec la sûreté permanente et les intérêts essentiels de ses états. Sa majesté est persuadée que ce but ne peut être atteint que par des

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10. arrangements qui puissent en même temps pourvoir à la sûreté et à la tranquillité à venir de l'Europe, et prévenir le renouvellement des dangers et des malheurs dans lesquels elle s'est trouvée enveloppée. Conformément à ce sentiment, sa majesté sent qu'il lui est impossible de répondre plus particulièrement à l'ouverture qui lui a été faite, jusqu'à ce qu'elle ait eu le temps de communiquer avec les puissances du continent avec lesquelles elle se trouve engagée dans des liaisons et des rapports confidentiels, et particulièrement avec l'empereur de Russie, qui a donné les preuves les plus fortes de la sagesse et de l'élévation des sentiments dont il est animé, et du vif intérêt qu'il prend à la sûreté et à l'indépendance de l'Europe.

Préparatifs du

Signé MULGRAVE.

«Downing-Street, 14 janvier 1805. »

L'empereur ne fut point dupe de cette réponse; il s'y attendoit, et il n'avoit vonlu que mettre les apparences de son

côté.

Il revint à Paris, vers le 15 octobre, fortement préoccupé de son couronnement, couron- auquel il attachoit une haute importance, et dont on faisoit les préparatifs depuis deux mois.

nement.

Il s'étoit proposé d'en faire une solen

nité égale à la haute opinion qu'il avoit de lui-même, c'est-à-dire supérieure à toutes les solennités de ce genre. Il avoit besoin pour cela d'un homme qu'il n'avoit pas toujours ménagé, mais aux pieds duquel il ne craignit pas de se jeter dans cette circonstance, parcequ'il croyoit que son suffrage, appuyé de l'autorité de la religion, auroit le pouvoir de lui rallier tous les suffrages de la multitude, de calmer les remords des consciences timorées, et de bannir les scrupules de tous les superstitieux politiques. On voit qu'il s'agit du souverain pontife.

On lui avoit souvent répété qu'au pape seul appartenoient et le droit et le pouvoir de délier les François de l'antique serment de fidélité qu'ils avoient prêté à la maison de Bourbon; on lui avoit dit encore que le saint-père avoit conservé en France, au milieu de tous les désordres de la révolution, une influence fondée sur douze cents ans d'habitudes et sur la conscience des peuples.

Il n'ignoroit pas qu'un pape avoit sacré Pepin roi de France, et que le fils de Pepin, le plus grand monarque des temps modernes, avoit reçu d'un autre pape (Léon III) la couronne impériale. Frappé de cette idée et de ces souvenirs, il prit la résolution de se faire couronner à Paris par Pie VII, dont il connoissoit le foible

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caractère et les pieuses intentions. Il lui en fit faire la proposition, laquelle fut accompagnée de paroles flatteuses et de messes séduisantes.

pro

« Le moment est venu, lui écrivit-il, où la réconciliation de l'église et de l'empire va recevoir la sanction la plus auguste. Le premier effet de votre condescendance, très saint-père, sera de consacrer la réconciliation du peuple françois avec la monarchie, qui est nécessaire à son repos; de prévenir tous les prétextes de la guerre civile, d'aplanir tous les différents qui conduisent à un schisme, en établissant d'une manière fixe les rapports de la religion avec l'état, et de l'état avec la religion.

«La France, d'ailleurs, mérite cette faveur particulière. Son église est la fille aînée de l'église romaine: il s'agit de dissiper tous les nuages qui ont obscurci les derniers jours de leur union; et cette union en deviendra plus sainte, et les jours qui suivront en seront plus sereins.

Nous nous proposons de notre côté de réparer toutes les ruines de l'église, de rendre au culte son antique splendeur, et à ses ministres toute notre confiance, si votre sainteté répond à nos vœux par l'inspiration du Très-Haut, dont elle est l'organe sur la terre.

« Sous tous les rapports religieux, mo

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