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Les propos de ceux-là étoient absurdes et criminels; absurdes, parcequ'ils blessoient tous les intérêts de la révolution; criminels, parcequ'ils compromettoient la parole du roi, et la tranquillité de l'état. Ils devoient être réprimés ou punis; ou le roi n'en sut rien, et ce fut un tort de la police, qui eut bien d'autres torts dans ces malheureuses circonstances; ou s'il les apprit, il les méprisa, comme étant sans conséquence; et ce fut une erreur qui eut de graves conséquences.

Les factieux s'emparèrent de l'impression qu'ils produisirent, et surent lui donner la direction qui convenoit à leurs desseins. Ils dirent aux acquéreurs des biens nationaux : « Savez-vous ce que vous êtes dans le régime actuel? des voleurs, des sacriléges, les détenteurs du bien de la veuve et de l'orphelin. Les biens que vous avez achetés en conscience, et que vous possédez sur la foi des traités, ces biens ne sont plus à vous; vous en serez dépouillés, dès que le roi, mieux assis sur le trône où vous l'avez appelé, n'aura plus besoin de vous ménager, et se croira assez fort pour vous en chasser. Vous serez remplacés par les émigrés, excommuniés par les prêtres, et peut-être un jour brûlés par l'inquisition....

Ils dirent aux libéraux, aux indépendants, aux amis de la révolution: « Vous

pour

1815.

la liberté! non:

avez cru combattre
vous combattiez contre vos maîtres; vous
êtes des rebelles; vous serez proscrits.
Quiconque a porté la main sur l'arche du
Seigneur sera puni de mort. L'arche du
Seigneur, c'est la famille des Bourbons.
Si elle suspend aujourd'hui ses vengean-
ces, c'est qu'elle n'est pas assez forte pour
les exercer. Suivez sa marche. Elle punit
aujourd'hui les régicides; elle punira de-
main tous les hommes qui ont crié vive
la république. »

Ils dirent aux savants, aux philosophes, aux hommes de lettres : « Vous voilà bien` avancés avec vos journaux, vos lumières, vos découvertes! il faut désormais que vous renonciez à tout cela; il faut oublier tout ce que vous savez nous rétrogradons vers le douzième siècle. Les nobles rentrent dans leurs priviléges, le clergé dans ses biens, le peuple dans la servitude. Vous avez déja des censeurs et des missionnaires, vous aurez bientôt des Dominicains et des bûchers. »

Telles furent les leçons plus ou moins directes, suivant les personnes et les cir· constances, que, pendant huit mois, les conspirateurs donnèrent sous les yeux de la police, dans les journaux, dans les cafés, dans les ateliers, sur la place publique.

Ces leçons, répétées tous les jours avec

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une rare persévérance, et répétées avec des commentaires variés dans le style, mais unanimes dans l'esprit, eurent le succès qu'elles devoient avoir, et prirent un caractère de sincérité qui alarma le petit nombre de sujets fidéles qu'elles n'entrainèrent pas dans la révolte.

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La police ne pouvoit ignorer ces manœuvres. Pourquoi n'en fit-elle pas punir les auteurs? pourquoi le ministre de la maison du roi repoussa-t-il, avec une froide obstination, les avertissements que lui faisoient passer d'heure en heure les amis de la monarchie? pourquoi le roi lui-même, dans la distribution de ses graces, préféra-t-il souvent aux hommes qu'il savoit dévoués à sa famille, les hommes qui n'étoient dévoués qu'à la révolution?

Le roi croyoit, avec son aïeul, qu'on peut enchaîner les méchants avec des bienfaits. Une telle opinion suppose un grand fonds de générosité; mais le poignard de Ravaillac a prouvé qu'elle étoit dénuée de justesse.

Ne sachant précisément à quelles causes attribuer l'inaction de la police et le silence des magistrats dans ces circonstances orageuses, les uns pensèrent que les ministres s'étoient volontairement endormis sur les bords d'un abyme qu'ils croyoient inévitable; les autres, en plus petit nombre, les accusèrent d'une af

freuse complicité avec les ennemis de la monarchie héréditaire.

Il est possible qu'aucune de ces deux conjectures ne soit fondée; mais telles nous les avons entendues, telles nous les rapportons: nous devons même ajouter, dans l'intérêt de la vérité qui nous guide, que le profond découragement qui se manifesta pendant les derniers jours de cette terrible crise provenoit en grande partie de l'opinion que le roi étoit mal entouré et mal servi.

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હેપ

20 mars.

Le 20 mars, de très grand matin, toute Journée la ville fut instruite du départ du roi, Une foule immense se précipita aussitôt vers le château pour s'assurer d'un fait qui consterna le plus grand nombre.

La matinée se passa dans une fluctuation d'opinions et de mouvements qui annonçoit d'un côté de sinistres projets, et inspiroit de l'autre de terribles frayeurs. Le gouvernement royal avoit cessé; celui de l'usurpateur n'étoit pas encore établi; tous les pouvoirs étoient suspendus, l'état social étoit dissous. Quelle situation pour une ville dont la moitié de l'immense population n'avoit rien à perdre, et pouvoit d'un moment à l'autre succomber à la tentation de tout gagner! Heureusement la garde nationale prit les armes vers les dix heures; et son attitude seule imposa à la populace.

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A midi, l'avant-garde de l'armée de Buonaparte parut aux portes de la ville, où elle entra sans difficulté. A deux heures, le général Excelmans prit possession du château, sur le haut duquel il fit arborer le drapeau tricolor.

Buonaparte avoit appris, dès sept heures du matin, le départ du roi, par un courrier que lui avoit expédié, à deux heures après minuit, M. Lavalette. Il pouvoit partir immédiatement après, et arriver de jour à Paris : mais, soit crainte de rencontrer la garde royale, soit honte de paroître escorté de la lie du peuple, qui devoit aller au-devant de lui, il partit tard de Fontainebleau, et n'entra qu'à neuf heures du soir à Paris.

En arrivant dans la cour du château, il la trouva remplie de sénateurs, de conseillers d'état, de chambellans, d'auditeurs, tous en costume, tous enivrés du plaisir de le voir, tous prêts à le recevoir dans leurs bras. Il descendit au milieu de cette foule, qui s'empressa tellement autour de lui, qu'il ne sut ce qu'on lui vouloit: il eut peur; il cria: On m'étouffe. Aussitôt ses aides-de-camp et ses généraux se précipitent vers lui, écartent avec violence les courtisans importuns qui l'entourent, s'emparent de sa personne, l'enlévent dans leurs bras, et le portent ainsi jusque dans ses appartements.

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