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mire toujours la manifestation successive des desseins éternels, et leur obéit avec confiance.

« Jamais l'univers n'eut un plus imposant spectacle; jamais les peuples n'ont reçu de plus grandes instructions.

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« Ce n'est plus le temps où le sacerdoce et l'empire étoient rivaux. Tous les deux se donnent la main pour repousser les doctrines funestes qui ont menacé l'En ́rope d'une subversion totale: puissentelles céder pour jamais à la double in'fluence de la religion et de la politique réumies! Ce vœu sans doute ne serà point trompé. Jamais en France la politique n'eut tant de génie; jamais le trône pontifical n'offrit au monde chrétien un modéle plus respectable et plus touchant. »

Hélas! cet hommage que reçut alors le saint-père, et ceux que lui adressèrent, par ordre de l'empereur, le sénat, le conseil d'état, le département de Paris, et toutes les cours de justice, pouvoient être sincères; mais ils étoient tracés sur le "sable. Tant qu'on 'eut besoin de son saint ministère, la cour et la ville furent à ses pieds; dès qu'il n'eut plus rien à donner, il ne trouva que des ingrats et des indifférents. Il ne fut bientôt plus à Paris qu'un personnage déplacé et hors de rang. On ne savoit s'il étoit un courtisan dans le palais de l'empereur; ou, dans son cabi

net, un souverain qui défendoit les droits. de ses sujets; ou enfin, le chef de l'église catholique dans un pays qui en professoit la religion.

Ce qui étoit incertain pour le public ne l'étoit déja plus pour le saint-père. Il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il étoit tombé dans un piège; qu'en croyant servir la religion par son extrême condescendance, il n'avoit servi que les projets d'un ambi-. tieux; et que, s'il ne vouloit pas perdre tout-à-fait l'église, il n'avoit d'autre parti, à prendre qu'à s'exposer au courroux de l'empereur, à l'insolence de ses ministres et à la dérision des courtisans, Ce fut aussi le parti qu'il prit.

Promené de paroisse en paroisse, il répandoit en gémissant ses bénédictions sur une multitude qui n'en demandoit pas, et: recueilloit en échange des acclamations, ironiques. Un mois n'étoit pas écoulé que ses chapelets étoient sans demande et ses messes, sans assistants tant il est vrai que les papes ne jouissent qu'à Rome de la considération qui leur est due! Partout ailleurs, l'humble vicaire de JésusChrist ne représente aujourd'hui ni la puissance divine, ni la souveraineté temporelle.

Si on nous demande ensuite pourquoi l'empereur, qui avoit mis autant d'empressement que d'importance à l'attirer à

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Paris, qui avoit eu l'air de croire que son couronnement ne seroit valable et digne de sa haute élévation qu'autant qu'il seroit fait par les mains du chef de la religion, et qui enfin avoit souvent répété qu'il vouloit placer sous la garantie de cette même religion, lui, sa couronne et sa dynastie, pourquoi, disons-nous, il devint tout-à-coup si différent de lui-même, et par quels motifs il changea de conduite au point d'oublier non seulement le respect qu'il devoit au pape, comme chef de l'église et comme souverain, mais les égards de la simple politesse qu'il devoit à l'illustre étranger qu'il avoit invité à venir chez lui, et qu'il logeoit dans son palais.

Nous pourrions répondre que rien n'étoit plus fréquent dans la conduite publique et privée de l'empereur que des contradictions de cette nature; qu'il n'étoit pas rare de le voir passer subitement et sans motif apparent d'un accès de folle gaieté à un accès de mauvaise humeur, d'un ton plein de grace et d'aménité au ton le plus chagrin. Mais cette réponse n'est pas suffisante.

On soupçonna dans le temps, et on sait aujourd'hui la véritable cause de son changement de conduite à l'égard du saintpère. Il avoit pensé que le pape ne pouvoit plus rien lui refuser, après lui avoir accordé deux choses aussi extraordinaires

le

que le concordat et son ministère pour couronnement. En conséquence, il lui fit proposer par ses ministres l'échange de Rome contre un état plus, riche, dans un autre pays. Le pape n'hésita pas un mo ment à repousser une si étrange proposition. Elle fut renouvelée plusieurs fois, et autant de fois rejetée. L'empereur ne s'attendoit pas à ces refus réitérés. Il fut très mécontent, mais il n'en parla plus; et, remettant l'exécution de son projet à un autre temps, il se vengea lâchement du pape, en le livrant à la dérision des philosophes de sa cour, à la hauteur insultante de ses ministres, et aux acclamations dé risoires d'une populace mal apprise.

Ce fut donc avec la conviction de sa faute et des malheurs qui devoient la suivre que le saint-père quitta Paris et la France, et arriva à Rome, où l'atten- -doient d'autres chagrins et de cuisants ref mords.

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Napoléon l'avoit devancé de quelques Système jours, et parcouroit les départements du continenmidi, recevant par-tout des fêtes et des félicitations. Il étoit arrivé au comble de la fortune; il devoit être au comble du bonheur; il n'en étoit rien. On vit plus d'une fois son visage s'obscurcir et ses yeux s'allumer au milieu de la joie qu'inspiroit sa présence. Plus d'une fois il se plaignit dans son intérieur de ce que l'An,

1805. gleterre s'obstinoit à ne pas le reconnottre. Il voyoit avec une sombre jalousie la prospérité toujours croissante de l'Angleterre, et ne perdoit pas de vue le projet d'abattre cette puissance colossale, dont l'empire s'étendoit sur les deux mondes, dont les vaisseaux formoient la chaîne qui embrassoit l'univers, dont l'orgueil enfin blessoit vivement le sien.

La justice et la politique approuvoient le dessein qu'il avoit conçu de rompre cette chaîne importune, mais désavouoient les moyens qu'il employoit à cet effet. Ces moyens étoient tout à-la-fois ruineux et insensés. Ils étoient insensés, car ils éloignoient la France et l'Europe du but qu'il vouloit atteindre. Ils étoient ruineux, car ils favorisoient un monopole qui ne profitoit qu'à l'Angleterre.

Le temps, la prudence, le progrès des lumières, de sages discussions, des négociateurs habiles, devoient tôt ou tard dévoiler le secret des Anglois, et apprendre à toutes les nations commerçantes que leur désunion avoit causé leur foiblesse, et qu'en s'unissant sincèrement dans un intérêt commun, elles viendroient à bout de secouer le joug du tyran des mers. Cette idée étoit trop simple pour entrer dans la tête de Napoléon.

Il n'avoit point abandonné son projet de descente. Le camp de Boulogne subsis

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