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digeoient les ordonnauces du gouvernement, les décrets du sénat, les lois du corps législatif, les jugements des tribunaux, et jusqu'aux décrets des préfets. De cette manière, l'empereur tenoit immédiatement dans ses mains les préfets, les tribunaux, le corps législatif et le sénat.

L'empereur étoit doué d'une pénétration extraordinaire: il apprenoit facilement tout ce qu'il vouloit savoir. Mais il avoit la malheureuse prétention d'être plus habile que tout le monde, et de tout savoir sans avoir rien appris.

Il s'étoit persuadé qu'il étoit plus haut diplomate que M. de Talleyrand, plus savant jurisconsulte que M. Cambacérès, plus fin-politique que M. Foucher, plus habile financier que M. Gaudin, plus profond théologien que M. l'abbé Maury, et plus versé dans les sciences et la littérature que tous les membres de l'Institut. C'est pourquoi il voulut tout diriger, la littérature, la théologie, les finances, police, la jurisprudence et la diplomatie; de là les nombreuses bévues qui lui échappèrent dans ses moments de fougue, et que sa toute-puissance avoit bien de la peine à pallier; de là ces décisions téméraires qu'il affectoit de prendre en plein conseil contre l'avis unanime de ses conseillers.

la

Il se prit un jour de belle passion pour

1804.

1804.

Ministres.

la discipline ecclésiastique: il avoit lu quelques pages de la Défense de la déclaration du clergé de France sur la puissance ecclésiastique; et, se croyant dès-lors aussi savant que l'illustre évêque de Meaux, il donna ses instructions aux pères du concile, qui se tenoit alors à Paris.

A cette vanité, ridicule dans un particulier et dangereuse dans un souverain, il joignoit l'habitude non moins fâcheuse de n'écouter jamais de réplique; de ne souffrir aucune contradiction, de se croire infaillible et de ne rendre que des arrêts irrévocables. Il en résulta que tous ses agents, ministres, conseillers d'état, sénateurs, résumèrent leurs devoirs dans ces trois mots : L'empereur l'a dit.

Mais si ses agents trembloient en sa présence, loin d'elle ils savoient s'en dédommager; ils en faisoient trembler bien d'autres. Ses ministres sur-tout, véritables visirs du plus orgueilleux des sultans, rendoient avec usure les humiliations dont il les abreuvoit.

Justice, graces, faveurs et pensions, tout étoit à leur disposition; tout passoit par leurs mains. Ils prenoient les graces pour leur compte ; ils mettoient les refus sur celui du maître. Le maître vouloit tout savoir, et ne savoit que ce qu'il étoit impossible de lui cacher. Il étoit trompé toute la journée, précisément parcequ'il

vouloit être plus habile que tout le monde. Il avoit tout l'odieux, toutes les charges de la tyrannie, dont ses ministres recueilloient les bénéfices.

Dès qu'un décret étoit signé, il étoit irrévocable. Il n'y avoit moyen ni d'en éluder l'exécution, ni d'en demander la révocation. Et à qui s'adresser pour obtenir justice? Aux ministres ? ils étoient invisibles. A leurs commis? ils ne savoient rien. Leurs audiences étoient de vaines parades.

Singes de leur maître, richement vêtus, richement salariés, si d'un côté ils faisoient profession d'une obéissance passive, ils savoient transmettre de l'autre des ordres absolus.

L'empereura eu jusqu'à douze ministres en plein exercice: savoir, 1. Ministre secrétaire d'état. 2. Ministre des cultes. 3. Ministre de la justice. 4. Ministre de l'intérieur. 5. Ministre des relations extérieures. 6. Ministre de la guerre. 7. Ministre de l'administration de la guerre. 8. Ministre de la marine. 9. Ministre des finances. 10. Ministre du trésor public. Ministre de la police. 12. Ministre du commerce. Chacun de ces ministres avoit depuis deux jusqu'à trois cent mille francs de traitement; les frais de bureau étoient le double ou le triple de cette somme : et l'énormité de cette charge pour l'état en étoit le moindre inconvénient.

II.

1804.

Ministre

Le ministre secrétaire d'état étoit, sous

1804. un nom modeste, le premier ministre de secrétaire l'empereur: c'étoit par ses mains que lui d'état. parvenoit le travail de tous les autres. C'é

Grand

juge mi

nistre de la justice.

toit lui qui revoyoit tout et qui signoit tout. Avec du caractère et du talent il auroit pu partager le pouvoir du maître. Mais celui qui exerça long-temps ce ministère n'étoit qu'un homme bon, facile, complaisant, et dont la première qualité fut un dévouement entier aux volontés de Napoléon, et la seconde de deviner promptement et d'expliquer avec clarté ses pensées, qui étoient souvent inintelligibles à force de précision.

Le ministère du grand-juge, ministre de la justice, étoit une superfétation dans la hiérarchie des pouvoirs, puisque le chef de l'état exerçoit lui-même la justice dans son conseil, que les lois n'étoient que les actes de sa volonté, que nous avions un archichancelier, qui, par son état et ses talents, avoit tous les moyens de régler en dernier ressort tous les droits et toutes les juridictions.

Pour envoyer le bulletin des lois aux tribunaux, pour écrire quelques lettres aux greffiers et aux procureurs-généraux, pour recevoir des mémoires, pour régler des recours en grace, il suffisoit d'un commis de plus dans les bureaux de l'archichancelier; et cela ne valoit pas les frais d'un ministère à part.

Celui des cultes n'étoit pas moins inutile, et auroit pu avoir des conséquences plus fâcheuses pour l'état, si l'esprit qui présida à son établissement n'eût pas changé peu de jours après son établissement, et par des circonstances imprévues.

Buonaparte avoit eu l'intention d'établir en France un catholicisme exclusif, intolérant et absolu comme lui-même. Ce projet lui fut suggéré par ces écrivains mercenaires qui livrent leur conscience à tous ceux qui veulent l'acheter, et font servir la religion au triomphe de toutes leurs passions. En lui répétant souvent cette maxime des temps d'ignorance, un roi, une loi, une foi, ils étoient venus à bout de lui persuader que l'unité en matière de religion n'étoit pas moins nécessaire au salut des princes, que l'est au repos des peuples cette même unité en matière de gouvernement.

Il se préparoit à faire de cette doctrine la régle de sa conduite politique et religieuse, lorsque ses querelles avec le pape et les suites imprévues qu'elles eurent, tant pour l'Europe que pour la France, changèrent le cours de ses idées, et lui firent adopter un système tout différent.

Ce système, qui ne se développa que peu-à-peu, et dont le défaut de temps seul a pu empêcher l'établissement, consistoit d'abord à reconnoître toutes les religions,

1804.

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