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avoit tant de fois promis de relever la république romaine, étoient cruellement déçus dans leur espoir, et voyoient avec un profond chagrin les préparatifs de son

couronnement.

Les dévots se rappeloient, en le voyant, le pillage de leurs églises, qu'il avoit autorisé, et les farces antireligieuses qu'il avoit fait jouer en 1797 sur le grand théâtre de Milan. Les propriétaires se souvenoient des énormes contributions dont il les avoit grevés. Tous étoient las et frustrés tous allèrent néanmoins jurer à ses pieds respect, fidélité, obéissance et sou

mission.

Lorsqu'il se présenta à l'église, l'archevêque (1), entouré de tout son clergé, le reçut sous le portique, et lui adressa l'allocution suivante :

K

« Sire,

Respect, fidélité, obéissance et soumission, voilà les tributs qu'en signe d'hommages j'ai l'honneur d'offrir humblement à V. M. impériale et royale, en ma qualité d'interprète du clergé et du peuple que je préside, depuis que votre munificence royale m'en a confié le gouvernement spirituel. Que le Très-Haut seconde les vœux ardents que forment les sujets de votre royaume pour la conserva(1) Le cardinal Caprara.

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tion de votre personne auguste. Que les illustres protecteurs de cette capitale, Ambrosio et Carlo (1), accueillent ceux que je forme, non pour votre grandeur, qui n'a pas besoin d'augmentation, mais pour votre bonheur, pour celui de votre auguste compagne et de votre famille; bonheur qui doit faire celui de vos fidéles sujets. »

A travers les harangues qu'il entendit, les hommages qu'il reçut, et les fêtes qu'on lui donna, son esprit pénétrant et soupçonneux démêla très bien les secrétes pensées de ses nouveaux sujets. Il devina l'opinion qu'ils s'étoient formée de sa personne et de son caractère. Sa vanité en fut blessée, son humeur s'en ressentit, sa physionomie se rembrunit. Il cessa d'être aimable avec les femmes et familier avec les hommes. A peine ouvroit-il la bouche. Ses yeux ardents et farouches avoient l'air de chercher un ennemi dans tous les yeux. Ce fut dès-lors, dit-on, qu'il endossa pardessous ses habits cette fameuse cotte de mailles qui étoit à l'épreuve de la balle et du poignard.

Il fut sacré le 26 mai, dans l'église de St. Ambroise. « La cérémonie fut exécutée

avec la plus grande pompe, dit le Journal officiel, et dans l'ordre le plus imposant. La beauté du temps, la pureté du ciel, la (1) Saint Ambroise et saint Charles Borromée.

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Il est sa

cré à Mi

lan,

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splendeur du soleil concouroient à rendre cette solennité plus brillante. »

A midi, l'empereur sortit du palais, portant sur sa tête la couronne impériale, tenant dans ses mains le sceptre et la main de justice, et revêtu du manteau royal. Le cardinal archevêque, à la tête de son clergé, reçut sa majesté sous le portail, l'encensa, la harangua, et la conduisit sous le dais jusqu'au sanctuaire.

Après les prières et les bénédictions accoutumées, l'empereur alla au pied de l'autel recevoir des mains de l'archevêque l'anneau, le manteau et l'épée, qu'il remit au prince Eugène. Ensuite il alla prendre sur l'autel la couronne de fer; et, en la posant avec fierté sur sa tête, il prononça d'une voix forte ces paroles :

Dieu me la donne; gare à qui la touche. Paroles antiques et consacrées dans le rituel du couronnement des rois lombards.

Ayant remis cette couronne sur l'autel, il prit celle d'Italie, la plaça également sur sa tête au bruit des applaudissements de la foule qui remplissoit cette vaste basilique.

Après la messe, il prêta son serment sur l'évangile; et le chef des hérauts cria comme un autre avoit crié à Paris : Napoléon, empereur des François et roi d'Italie, est couronné et intronisé; vive l'empereur

et.rai.

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L'impératrice Joséphine fut sacrée et couronnée avec lui. Cette princesse le suivoit par-tout. Il croyoit, avec une sorte de superstition, que le bonheur de sa destinée étoit attaché à celle de sa femme (1). Ce n'étoit pas sans raison que l'Autriche Envahiet l'Angleterre se défioient des promesses, Gênes. et redoutoient la modération de Napoléon. A peine étoit-il couronné roi d'Italie qu'il songeoit à s'emparer de la république de Gênes.

Cette république depuis quinze ans ne conservoit plus qu'une ombre de liberté. Son territoire étoit envahi par l'étranger, et son gouvernement livré à la fureur des partis. C'étoit un des états d'Italie où les principes révolutionnaires avoient fait plus de progrès et plus de mal. La populace de la basse ville s'étoit portée à tous les excès contre les nobles et les commerçants, dès qu'elle eut secoué le joug de son ancien gouvernement. La noblesse et les commerçants appelèrent les étrangers à leur secours; et Gênes perdit à-la-fois sa

(1) Joséphine Tascher, née à la Martinique en 1768, mariée en premières noces au vicomte de Beauharnais (qui fut condamné à mort par le tribunal révolutionnaire en 1794); en secondes noces à Napoléon Buonaparte. Elle ne parut point déplacée sur le trone. L'extrême bonté de son cœur, et l'agrément de ses manières, lui tinrent lieu de naissance royale, et la mirent tout-à-coup au niveau de sa fortune.

sement de

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liberté, son repos, son commerce et ses richesses.

Il est bien difficile, sans doute, aux petits états de l'Europe, de conserver leur indépendance au milieu de ces grandes commotions qui mettent leurs puissants voisins aux prises les uns avec les autres, et encore plus difficile de résister à la contagion d'un mauvais exemple, que leur donnent les souverains et les peuples qu'ils sont accoutumés à craindre ou à respecter.

Mais en supposant que, par un chefd'œuvre de politique, la république de Gênes eût échappé à ce double danger, il est douteux qu'elle eût pu en recueillir le fruit, parceque le gouvernement françois, sous le comité de salut public, sous le directoire, comme sous le consulat, auroit bien su déconcerter toutes ses mesures de prudence, et envahir par la force ce qu'il n'auroit pas obtenu par la subornation.

Un gouvernement qui convertissoit par un décret tous ses sujets en autant de soldats, et dont le premier dogme étoit de vouloir tout ce qu'il pouvoit, devoit finir par engloutir tous ses voisins, de proche en proche, jusqu'à ce qu'il fût englouti lui-même par une réaction, qui tôt ou tard étoit inévitable.

La république de Gênes ne pouvoit donc échapper au sort commun, lors

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