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même qu'elle se fût conduite avec plus de sagesse. Mais avant de la réunir à la France, Napoléon se fit un jeu de prolonger son anarchie en lui donnant une constitution inintelligible.

Il ne faut pas oublier qu'il avoit la noble. ambition d'effacer Solon par la sagesse de ses lois, et Alexandre par l'étendue de ses conquêtes. Malheureusement pour les peuples qu'il soumit à ses armes, rien n'étoit plus inexécutable que ses plans de législation; rien de plus étranger à leur état civil, moral et politique, que les ordonnances martiales qu'il leur donna sous le nom de constitutions.

Tandis qu'il leur traçoit d'une main des lois souvent inexécutables, de l'autre avec son compas ensanglanté il circonscrivoit les limites de leurs états comme on dessine des cartes géographiques.

Au lieu d'exécuter le plan raisonnable conçu jadis par le fameux Gabrino, dit Rienzi, lequel consistoit à éloigner les étrangers de l'Italie, à respecter l'indépen dance des états, à consulter la différence des mœurs, à ménager les préjugés de l'éducation: au lieu d'unir les peuples par un pacte fédératif, Napoléon, affecta d'abolir toutes les lois anciennes et de confondre toutes les limites. Il appela les factieux de tous les pays, les jeta pêle-mêle au milieu des Romains, des Vénitiens,

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des Génois, et crut qu'on pouvoit façonner des hommes pour en faire des nations, comme le potier pétrit de l'argile pour en faire des vases.

L'effet répondit aux moyens. Ses constitutions, fruits du délire et de la présomption, ne furent jamais que des voiles destinés à couvrir ses violences, ou des sources inépuisables de querelles, de guerres civiles et de désordres.

Celle de Génes, en particulier, n'auroit pas subsisté une année entière, quand la guerre, dont cette ville fut long-temps le théâtre, n'en auroit pas suspendu l'exercice au bout de six mois.

Le siège long et meurtrier qu'elle avoit soutenu glorieusement contre les armées d'Autriche (1) avoit achevé d'épuiser ses forces. Quoique le vainqueur eût supprimé ses directeurs et ses deux conseils, copie ridicule des deux conseils et des directeurs établis en France; quoiqu'on lui eût rendu son sénat, son doge, ses formes antiques, Génes la superbe n'existoit plus.

Ce n'étoient ni ses trésors, ni son territoire qui tentoient alors l'ambition de l'empereur, quoique son port, d'ailleurs lui parût un objet d'importance en ce qu'il lui offroit un point de communication fa

cile avec la Corse.

Ce qui le flattoit le plus dans la sou(1) Sous le commandement de Masséna.

mission volontaire des Génois, c'étoit l'exemple qu'ils donnoient aux peuples de la Toscane, de Rome et de Naples, dont il méditoit dès-lors l'invasion. Il crut que cet exemple entraîneroit l'Italie tout entière, et que, recevant avec bonté des peuples qui se livroient volontairement à lui, il n'auroit point à se justifier, aux yeux de l'Europe, d'avoir rompu la paix qu'il avoit jurée, ni d'avoir violé le traité de Lunéville.

Par ces considérations, qui font peu d'honneur à sa pénétration, il avoit envoyé de nouvelles instructions aux nombreuses créatures qu'il entretenoit dans la ville de Gênes il leur avoit spécialement recommandé de tourner en ridicule leurs institutions républicaines, et de faire espérer, dans un changement de gouvernement, au peuple une diminution d'impôts, aux nobles des titres, des places et des honneurs. Il avoit attaché à ses intérêts MM. Cambiaso, Serra, Durazzo, Brignolé, Doria, et autres familles jadis riches et puissantes dans l'état, alors appauvries par la révolution, mais qui, par leur nom, exerçoient encore un reste d'influence sur la multitude.

Le 4 juin, tandis qu'il s'occupoit à Milan des institutions de son nouveau royau-. me, une nombreuse députation de la république ligurienne fut introduite auprès

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de lui, déposa à ses pieds les archives de la ville, les votes de tous les citoyens, et une adresse dans laquelle le peuple de Gênes, las et malheureux de son indépendance, demandoit à être incorporé à la France.

L'empereur répondit aux députés :

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« Je suis souvent intervenu dans vos af

faires, et toujours dans l'intention de faire prospérer les idées libérales (1); mais j'ai découvert que cela étoit impossible tant que vous resteriez abandonnés à vos propres forces. Les Anglois et les Barbaresques y mettront constamment obstacle.

« La postérité me saura gré d'avoir voulu vous délivrer, vous et le monde entier, du joug humiliant des Anglois et des Barbaresques.

« Je ne fus jamais animé que par l'intérêt et la dignité de l'homme. Au traité d'Amiens, les Anglois refusèrent de coopérer à la propagation des idées libérales; ce sont les idées libérales qui feront le bonheur du genre humain. Vous avez bien fait de venir les recueillir à leur source et vous ferez mieux en les cultivant sous

(1) Il n'est pas hors de propos de remarquer que c'est ici pour la première fois que nous entendons parler des idées libérales, et que c'est peut-être l'homme qui en avoit le moins dans la tête qui en a parlé le premier et le plus souvent.

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l'égide de ma puissance. Je consens à vous réunir à mon grand peuple; je vous protégerai de tout mon pouvoir: retournez vers ceux qui vous ont envoyés, et ditesleur que les barrières qui le séparent du continent seront bientôt levées, et que toutes choses seront remises à leur place. » (1)

C'est ainsi que fut consommée, dans une conférence de vingt minutes, la réunion de Gênes à l'empire françois. Celle de la Toscane exigea plus de temps et de formalités.

La Toscane, dont la sagesse de son gouvernement, autant que les douces habitudes de ses habitants, avoit réussi à éloigner la contagion des principes révolutionnaires, n'en avoit pas moins subi le joug de la république françoise, qui la faisoit exploiter par une foule de fripons, sous toutes sortes de dénominations.

Par le traité de Lunéville, elle fut donnée au jeune duc de Parme en échange de ses états héréditaires, qu'on lui prit sans son consentement, et qui reçut en même temps de Napoléon le titre de roi d'Étrurie, titre éteint depuis la mort de Porsenna.

Ces échanges de noms et d'états convenoient à la politique de celui qui, se proposant de bouleverser l'Europe de fond

(1) On n'entend rien à ce discours, sinon que les Anglois veulent étouffer les idées libérales, dont l'empereur est la source!

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Envahissement de

la Tos

cane.

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