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et que

de la Démocratie pacifique, qui avaient recruté dans les masses populaires, assez de partisans pour en obtenir une subvention mensuelle de 90,000 francs, destinée aux prédications de la doctrine, ce sont encore des élèves ou des professeurs émérites de notre enseignement officiel qui ont engendré nos autres systèmes socialistes connus, ceux des Auguste Comte, des Pierre Leroux, des Cabet, des Proudhon (1), des Louis Blanc, etc., etc.?

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Il n'est pas douteux non plus que c'est à la propagation de toutes ces doctrines insensées, parmi les classes dépourvues de toute accumulation, et principalement chez les ouvriers des centres manufacturiers, classes dont l'esprit, absolument dépourvu de toute saine notion économique, est ouvert à toutes les folles chimères du socialisme, que l'on doit imputer cette déplorable antipathie, progressive depuis quarante ans, qu'elles manifestent contre l'organisation naturelle ou la liberté des travaux et des transactions, et les absurdes espérances qu'elles ont fondées sur les divers systèmes d'organisation artificielle dont on les a successivement leurrées. Les plus récentes transformations du socialisme sont la coopération, inoffensive en apparence, si l'erreur pouvait jamais l'être; mais surtout, la ligue internationale des ouvriers, aussi offensive que possible. Cetle dernière aberration n'est pas, assurément, moins chimérique et

(1) Proudhon n'était qu'un agitateur politique, et un rhéteur sans convictions déterminées: en publiant son Système des contradictions économiques, il avait sans doute voulu faire croire qu'il connaissait l'économie politique, alors que cet ouvrage même, et tout ce qu'il a écrit depuis, prouvent surabondamment qu'il ne l'a jamais étudiée, ou qu'il en méconnaissait, de parti pris, les plus évidentes vérités. Quant à ce qu'il entendait substituer à l'organisation naturelle que détermine la liberté pour tous, il ne s'est jamais soucié de le formuler positivement à part son absurde prétention de refuser aux capitaux le profit ou l'intérêt que leur attribuent les transactions libres, et son entreprise mort-née d'une banque d'échange ou de crédit gratuit, il s'est borné à annoncer vaguement que le monde nouveau et bienheureux, qu'à l'envi des autres socialistes, il ne manquait pas de promettre aux ouvriers placés sous l'odieux régime du salariat, leur adviendrait par l'établissement d'une certaine mutualitė des services qu'il s'est bien gardé d'expliquer, ou bien encore, par la force ou la puissance des associations qu'ils pourraient fonder: peut-être estce cette dernière indication qui leur a donné l'idée de la Ligue internationale; car il compte nombre de sectateurs enthousiastes dans cette fédération déjà trop fameuse. - Voir son livre posthume: De la Capacité politique des classes ouvrières.

moins décevante que les précédentes; mais elle a achevé d'exaspérer ét de porter jusqu'au plus ardent fanatisme la répulsion de grandes masses d'ouvriers pour les conditions du travail libre; c'est ce dont témoignent trop péremptoirement les dernières et affreuses luttes dont Paris a été le théâtre, et où les sectaires de l'Internationale se sont montrés parmi les plus violents, les plus désespérés, les plus déterminés à se faire massacrer plutôt que de continuer à vivre dans les seules conditions normales du travail, celles de la liberté pour tous.

Tels sont les résultats, les fruits plus ou moins directs de la régie de l'enseignement général par nos gouvernants, et aussi de l'exemple qu'ils n'ont cessé de donner eux-mêmes d'un socialisme autoritaire moins excusable encore, mais non moins insensé et malfaisant que le socialisme révolutionnaire, de leur entière ignorance de la physiologie sociale, de leurs dispositions d'autant moins sympathiques pour la liberté des travaux et des transactions, que cette liberté réduirait davantage leurs attributions et leur impor

tance.

III

Quant à l'éducation morale, à la culture et à la direction de nos facultés affectives, de nos sentiments religieux et autres, à part celle que peut donner la famille, sa régie est encore partagée, en France, mais très-inégalement, entre le clergé catholique-romain, ceux des cultes dissidents, et l'université ou l'État. L'action du premier s'étend aux multitudes; celle de l'université est beaucoup plus restreinte.

Depuis trois siècles, l'Église de Rome, s'ancrant dans son infaillibilité, qu'elle vient de déléguer au pape par un dogme nouveau, s'est montrée constamment et ardemment ennemie de toute liberté d'examen pouvant ébranler la foi dans les doctrines qu'elle impose, et dès lors, très-antipathique à tout progrès réel des lumières intellectuelles et morales, progrès qu'on ne saurait obtenir que par des examens libres son organisation hiérarchique, le principe de l'obéissance passive qui y règne aujourd'hui plus que jamais, — le célibat obligatoire des prêtres qui fait converger toutes leurs aspirations vers les intérêts de la corporation, et surtout l'appui et le concours des pouvoirs séculiers que, depuis Constantin, elle s'est toujours efforcée d'obtenir, en retour des services que sa propre influence peut rendre à leur domination, lui ont permis de persévérer dans ses prétentions et dans ses tendances, malgré ce qu'elles ont de contraire aux directions salutaires des sentiments religieux, comme au perfectionnement moral, intellectuel et politi

que des sociétés, tout en conservant jusqu'ici une influencé amoindrie, mais encore considérable et fort étendue.

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Quels ont été les résultats de cette influence pour les populations qui la subissent? Il n'est que trop certain que, selon l'expression attribuée à un colonel prussien, elle les idiotifie. Pour s'en convaincre irrévocablement, il suffit de comparer, dans le degré de leur avancement économique, industriel, intellectuel, moral et politique, les populations catholiques et protestantes de l'Europe et de l'Amérique, l'Italie à l'Angleterre, l'Irlande à l'Ecosse, l'Espagne aux Pays-Bas, les États allemands catholiques aux États luthériens, les Républiques espagnoles de l'Amérique méridionale à la grande République du Nord, enfin les cantons suisses catholiques aux cantons protestants partout on reconnaîtra que, sous tous les aspects du perfectionnement humain, l'infériorité des populations soumises au catholicisme est incontestable.

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- C'est là un fait général des mieux constatés, et il prouve nonseulement que l'influence de l'Église de Rome est anticivilisatrice, mais encore qu'elle s'exerce contrairement à la vérité religieuse, car il ne permet plus de croire que des directions ayant si constamment pour effet de dégrader les populations, ou tout au moins d'arrêter leur perfectionnement, puissent être approuvées par la suprême intelligence à laquelle nous devons la nôtre, par Dieu, qui a indubitablement voulu notre perfectionnement, puisqu'il nous a rendus, — seuls entre tous les êtres de la création terrestre, perfectibles par nos propres et libres efforts; mais en nous laissant libres aussi de ne pas remplir cette condition, et même de nous dégrader, liberté sous laquelle, aucun mérite ou démérite n'aurait pu nous être imputés.

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L'Église romaine peut prétendre que le perfectionnement humain, sous les aspects que nous considérons, est relatif à la vie actuelle, et qu'il n'est pas celui voulu par Dieu, ou du moins qu'il n'est rien auprès de celui-ci, dont elle a seule mission de déterminer les conditions. Mais c'est là une prétention commune à toutes les religions brahmanes, boudhistes, israélites, mahométans, - protestants chrétiens des diverses communions, et schismatiques grecs ou russes, tous affirment également, et avec autant d'assurance et de foi que les catholiques romains, qu'il n'est rien dans leur doctrine qui ne soit dicté ou inspiré par Dieu même. Et comment se prononcer et choisir entre tant de doctrines prétendues divines, mais plus ou moins contradictoires, sans recourir à la raison, c'est-à-dire à cette révélation naturelle que Bacon jugeait suffisante pour démontrer l'existence de Dieu, et qui nous montre si clairement, quand nous voulons y prêter attention, que ce n'est pas

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autrement que par le perfectionnement de la vie actuelle, sous TOUS LES RAPPORTS, que nous pourrons mériter une meilleure existence?

Si l'on hésitait à attribuer à l'Église romaine l'infériorité relative des populations qui lui sont soumises, infériorité d'autant plus grande que cette soumission est plus entière, il serait facile de s'assurer, non-sculement qu'un tel résultat est irrécusablement donné par les faits; mais encore, qu'à défaut de l'expérience, on aurait été pleinement autorisé à le conclure des conséquences inhérentes à la foi dans l'infaillibilité de ses décisions en matière religieuse, morale et politique; car, si ce dogme est vrai, il est clair que nous n'avons à suivre dans notre conduite qu'une seule règle la stricte obéissance aux directions de l'Église; que dès lors nous n'avons plus, en ces matières, à exercer notre raison, à nous enquérir du vrai ou du faux, du bien ou du mal, à chercher nous-mêmes nos voies, à discerner celles qui peuvent nous améliorer de celles qui tendent à nous dégrader; que même de telles recherches nous sont interdites, attendu que, substituées à des directions divines, elles ne pourraient que nous égarer; en un mot, que, soumise à cette obéissance passive, notre intelligence ne doit plus différer en rien de l'instinct des animaux. Il est si vrai que c'est bien ainsi que l'entend l'Église de Rome, que ses nouveaux et grands docteurs, M. Veuillot par exemple, ont fait une injure de la qualification de libre-penseur, sans expliquer ce que peut être la pensée quand elle n'est pas libre, et qu'elle est réduite à une soumission aussi passive que celle de l'instinct.

Et quelles pouvaient être les conséquences de la foi condamnant la libre pensée, sinon de priver l'esprit de l'activité, de l'exercice qui peuvent seuls le fortifier et l'éclairer, — de le paralyser, -de en un mot, de l'idiotifier, car ce mot devra rester?

Mais s'il n'est pas douteux qu'une semblable croyance tend à dégrader l'âme humaine, il ne l'est pas davantage que ceux qui parviendraient à la faire régner parmi les populations, se feraient de celles-ci de dociles troupeaux, et acquerraient par là une puissance sans limites ni contrôle, dont il serait impossible qu'ils ne fissent pas de grands abus, comme ils l'ont fait partout et dans tous les temps où leur domination a pu s'affranchir de tout frein.

Qu'est devenu entre leurs mains l'enseignement chrétien? Ne tendent-ils pas tous les jours davantage à le faire dégénérer en un pur formalisme et en superstitions? Ne délaissent-ils pas de plus en plus la morale évangélique, — ce grand commandement de l'amour de Dieu et du prochain, résumant toute la loi et les prophètes,—pour s'occuper principalement de raviver la foi en leurs propres ensei

gnements, et pour tenter l'établissement d'une nouvelle idolâtrie... la déification de l'Église elle-même (1)?

Tout observateur impartial et attentif a pu reconnaître, dans ces vingt dernières années, combien la funeste alliance de l'État et de l'Église concourt à pervertir les directions de l'un et de l'autre, — avec quel empressement l'épiscopat français a prodigué ses adulations à Napoléon III, dès les premiers mois de son usurpation, applaudi sans réserve à tout ce qui pouvait rendre sa domination plus absolue, plus compressive pour les opposants ou les insoumis, - servi son pouvoir dans les élections et les plébiscites, et accepté, en retour, les traitements de 100,000 francs et plus, cumulés par les cardinaux-sénateurs, l'élévation considérable de ceux des autres chefs du clergé, les facilités accordées à l'accroissement de l'armée cléricale par la multiplication des paroisses, des couvents de moines et de religieuses, et par celle des donations obtenues pour l'entretien de cette armée, au préjudice des emplois reproductifs; - combien encore ce même épiscopat apporte de constance à se ranger toujours, à l'inverse du Christ, du côté des puissants contre les faibles, à moins que les premiers ne refusent obstinément de l'appuyer; quels regrets lui inspire la réduction de la puissance temporelle du pape et de son fastueux entourage; avec quel zèle il maintient toutes les conditions de sa propre opulence, et toutes ces qualifications ou titres vaniteux qu'il croit propres à rehausser son prestige; et quels anathèmes il fulmine contre les impios, qu'un tel ensemble de tendances édifie médiocrement, ou qui même se permettent de penser et de dire qu'il n'est nullement en harmonie avec les enseignements évangéliques.

Et que devait produire, entre les esprits subjugués et les esprits libres, cette conduite trop générale des chefs du clergé romain, sinon des discordes, des haines, des antagonismes violents?

Chez nous, l'État est responsable des mauvaises directions religieuses, puisqu'il régit, en grande partie, les corps ecclésiastiques et l'enseignement sur tous les points; mais il régit, en outre, un enseignement moral laïque confié, depuis plus de cinquante ans, à l'école philosophique dite spiritualiste.

Les doctrines de cette école,-substituées dans notre enseignement

(1) Ceux qui douteraient d'une telle tendance peuvent la voir ouvertement enseignée et glorifiée dans les conférences publiées du R. P. Félix, jésuite, à Notre-Dame de Paris. Elle est d'ailleurs pleinement confirmée par le nouveau dogme de l'infaillibilité du Pape, qui fait de celui-ci une sorte de Boudha électif.

3 SERIE, T. XXIII. — 15 juillet 1871.

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