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çais sont unanimes à les nier et qu'ils accusent nos journaux et nos correspondants d'exagérer et même d'inventer des traits de cruauté et de barbarie dont il n'aurait jamais été question. En tous cas, ces protestations me paraissent de bons symptômes, en ce qu'elles prouvent que vos compatriotes rougissent des sentiments et des actes dont on les accuse à tort ou à raison.

Pour moi et pour tous ceux qui pensent comme moi, il y a un enseignement à tirer des derniers événements de Paris : c'est que les gouvernements de l'Europe commencent à récolter ce qu'ils ont semé; il n'y a pas autre chose dans ces terribles abus de la force brutale par le peuple. Que font en effet les gouvernements depuis des siècles, sinon enseigner au peuple le culte et l'adoration de la force, de la force brutale, ainsi que vous le dites si heureusement dans votre brochure?

Qui a appris aux masses à mettre leur confiance dans ces agents de destruction, dont elles ont fait un si terrible usage pendant leur règne éphémère dans Paris? Qui les a dressées à ne craindre ni le pillage, ni l'incendie, ni la dévastation, ni le meurtre, pour arriver à leurs fins? Qui, si ce n'est les gouvernements? Eh bien! voici ce que je crains maintenant pour les gouvernements, s'ils ne se hâtent de devenir plus sages: c'est que dans la plupart des contrées de l'Europe, et ailleurs qu'en France, ils ne trouvent en face d'eux, et tournés contre eux, ces instruments mêmes qu'ils ont follement mis dans les mains du peuple pour satisfaire leur égoïsme et les faire servir à leurs desseins ambitieux. Je ne puis vous dire, mon cher ami, combien cette pensée me poursuit. Je voudrais pouvoir la crier aux oreilles de tous, de tous les souverains, de tous les cabinets et de tous les gouvernements de l'Europe.

IMPOT SUR LES VALEURS MOBILIÈRES.

Tours, le 2 août 1871.

Monsieur le Rédacteur, permettez-moi d'ajouter quelques mots à la note que je vous avais remise, le mois dernier, au sujet des nouveaux impôts et que vous avez insérée dans votre livraison du 45 juillet.

Je tiens à constater d'abord que j'avais donné seulement pour titre à cette note: « Les nouveaux impôts » et que je n'ai pas voulu soulever la grosse question de « l'impôt sur le revenu. » Il ne s'agit point, dans ma note, de l'impôt sur le revenu, tel qu'on l'entend ordinairement, c'està-dire d'un impôt général sur les revenus de toute espèce; il s'agit uniquement d'un impôt spécial, déjà établi sur les valeurs mobilières, et je me borne à demander pourquoi on n'augmenterait pas cet impôt, en même temps qu'on tâcherait d'en rendre l'application plus complète.

Vous voyez qu'il n'y a plus ici de principe à discuter, puisque le principe a déjà été admis et que l'impôt existe depuis plusieurs années. La question ainsi posée est donc beaucoup plus simple que si l'on proposait d'établir une taxe snr tous les genres de revenu. Elle est aussi beaucoup moins controversable, car l'établissement d'une taxe sur certains genres de revenu pourrait avoir des inconvénients graves et rencontrerait dans la pratique des difficultés sérieuses. L'expérience prouve au contraire qu'il est facile de percevoir un impôt sur les valeurs mobilières, ou du moins sur une grande partie de ces valeurs ; et on ne ferait rien d'exorbitant en élevant cet impôt à 6 0/0 du revenu, alors que l'impôt foncier atteint en moyenne 10 0/0. Je persiste donc à penser qu'on peut trouver, dans l'augmentation de l'impôt sur les valeurs mobilières, plus sûrement et plus facilement que partout ailleurs, une compensation aux mécomptes que tout le monde prévoit dans les évaluations de M. Pouyer-Quertier.

Je suis peu touché de cette considération que l'impôt n'atteindrait pas toutes les valeurs et que des revenus de diverses natures en resteraient exempts. Il faut chercher où l'on peut trouver et frapper où l'on est sûr de se faire ouvrir. Au fond, tous les impôts sont et doivent être des impôts sur le revenu; mais le revenu peut être atteint directement ou indirectement. Dans certains cas, la voie directe semble préférable, dans d'autres, elle deviendrait périlleuse. Ainsi, par exemple, il serait à peu près impossible de répartir équitablement, chez nous, un impôt sur les revenus professionnels. Cependant, la retenue qu'on va faire sur les appointements des fonctionnaires n'est pas autre chose qu'un impôt sur leur revenu professionnel. Mais ici, ce revenu est connu exactement et se perçoit sans difficulté et sans frais. Par cela même il devient acceptable. Si, au contraire, on voulait percevoir un impôt sur le revenu professionnel des commerçants, des artistes, des hommes de lettres, on tomberait dans l'arbitraire et presque daus l'absurde. Défions-nous donc des règles trop absolues. L'impôt sur le revenu est juste en principe, mais il ne suit pas de là que l'Etat doive l'appliquer dans tous les cas indistinctement. De nombreuses exceptions sont inévitables en fait et se justifient parfaitement devant la raison. Qu'on perçoive l'impôt directement toutes les fois que le revenu est connu avec précision et que la perception est facile, à la bonne heure. Dans tout autre cas, je crois qu'il vaut mieux y renoncer et se contenter de ce qu'on peut obtenir au moyen des impôts indirects.

Veuillez agréer, etc.

LÉON.

SOCIÉTÉ D'ÉCONOMIE POLITIQUE

RÉUNION DU 5 AOUT 1871.

SOMMAIRE.
Noblat.

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COMMUNICATIONS: Mort de MM. Cibrario, Minard, DemetzAdresse de la Société d'économie politique de Florence à la Société de Paris.

DISCUSSION: La Réunion des députés partisans de la liberté commerciale et les nouveaux impôts.

OUVRAGES PRÉSENTÉS: L'Économie politique dans l'enseignement des femmes, par M. F. Passy.-L'Ouvrier économiste, par M. d'Armailhac.-Les Finances de la France, par M. Courtois.- La Décentralisation, Réformes financières, par M. Boutarel. L'impôt unique et l'invasion de 1870, par M. Tellier.-L'Anomalie économique, solution légale de la question sociale, par M. Larue. La Liberté industrielle et commerciale; les Projets d'impôt; l'Impôt de la production, par un industriel. L'Impôt sur les assurances, par M. Reboul. Mode de votation du budget, par M. A. Demousseaux de Givré.

M. Hippolyte Passy, membre de l'Institut, ancien ministre des finances a présidé cette réunion, très-nombreuse pour la saison, à laquelle avaient été invités : M. Hagemeister, sénateur russe; M. Kapoustine, doyen de l'Université de Jaroslafw, et plusieurs membres de l'Assemblée nationale appartenant, pour la plupart, à la Réunion des partisans de la liberté commerciale : MM. A. André, de Pressensé et Scherer-Kestner, récemment élus à Paris; MM. Ducarre, Flotard et Milliaud, députés du Rhône; M. Deseiligny, député de l'Aveyron; M. Ferrouillat, député du Var; M. Fournier, député du Cher; M. Jullien, député de la Loire; M. Raoul-Duval, député de la Seine-Inférieure; M. Steinheil, député des Vosges; M. Warnier, député de la Marne.

L'Assemblée nationale était en outre représentée par plusieurs membres de la Société assistant à la Réunion MM. Wolowski et Léon Say, députés de la Seine; M. Henri Germain, député de l'Ain; M. Léopold Javal, député de l'Yonne; M. Caillaux, député de la Sarthe; M. Ducuing, député des Hautes-Pyrennées; M. Tallon, député du Puy-de-Dôme.

M. le secrétaire perpétuel présente divers ouvrages énumérés plus loin.

Il rappelle ensuite à la Réunion la mort de trois personnes qui ont bien mérité de la science économique: M. Cibrario, M. Minard, M. Demetz-Noblat. M. Cibrario, né au commencement de ce siècle (1802) à Turin, un des hauts fonctionnaires du gouvernement sarde, récemment membre du Sénat italien, est l'auteur d'un bon ouvrage historique sur les faits économiques du moyen âge : Dell' economia politica del medio evo, que la librairie Guillaumin a publié en français.

M. Minard, inspecteur divisionnaire des ponts-et-chaussées en retraite, faisait, il y a une quarantaine d'années, à l'Ecole des pontset-chaussées, de très-intéressantes leçons, qu'il a publiées, en 1849, dans les Annales des ponts-et-chaussées, et à part, sous le titre de Notions élémentaires d'économie politique appliquée aux travaux publics. Il a consacré sa laborieuse vieillesse à produire divers opuscules curieux, dans lesquels il a appliqué la statistique graphique à quelques questions de trafic et de transport. M. Minard était né en 1781. M. Demetz-Noblat, mort dans la force de l'âge, était un zélé propagateur de la science économique. Il a fait, pendant plusieurs années, un cours libre d'économie politique à la Faculté de Nancy sa ville natale, dont il a récemment (1867) publié le résumé en un volume sous le titre de Lois économiques. Dès 1853, il publiait de remarquables études sous le titre de Analyse des phénomènes économiques. M. Demetz-Noblat faisait partie de ce groupe de publicistes qui a commencé à Nancy le mouvement décentralisateur dont les effets se produisent aujourd'hui. La science perd en lui un de ses adeptes les plus convaincus et les plus fermes, assez ferme pour avoir défendu Malthus dans un milieu legitimiste et clérical.

M. Joseph Garnier donne ensuite connaissance à la Réunion du compte rendu d'une séance de la Société d'économie politique italienne, inséré dans le numéro de juillet de la Nuova antalogia (1), qui lui a été adressé par M. le comte Arrivabene, président de cette Société.

Dans cette séance du 25 juin, la Société italienne d'économie politique a voté des félicitations à la Société d'économie politique de Paris, sur la proposition de M. le professeur Virgilio, appuyée par M. le sénateur Scialoja président de la réunion, par M. le commandeur Gaspero Finali et le député Torrigiani.

M. Virgilio, parlant sous l'impression des événements récents, a motivé sa proposition en disant que la Société d'économie politique de Paris a, en tout temps, énergiquement proclamé les principes de

(1) Revue mensuelle qui se public à Florence; VI année.

BÉNIN, T. XXIII.15 août 1871.

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la science dans l'intérêt de la liberté et de l'ordre social, et qu'il y a lieu de l'encourager aujourd'hui dans la lutte contre le communisme d'une part, et contre le protectionnisme renaissant d'autre part, et de lui faire connaître que la Société italienne s'unit à elle pour combattre les monstrueuses doctrines qui tendraient à ébranler les fondements de l'ordre social.

La réunion accueille cette communication avec la plus vive satisfaction et vote des remerciments à la Société italienne pour son bon souvenir et son vigoureux appui.

Après ces diverses communications, M. Léon Say demande la parole sur l'ordre du jour, et, de son initiative, résulte la discussion suivante.

LA RÉUNION DES DÉPUTES PARTISANS DE LA LIBERTÉ COMMERCIALE ET LES NOUVEAUX IMPOTS.

M. Léon Say, député et préfet de la Seine, rappelle à la Société quec'est dans un but de défense que la réunion des députés partisans de la liberté commerciale, dont il a l'honneur d'être président, s'est constituée à Versailles.

Ce que l'on veut faire, dans cette réunion, c'est de rechercher de bonne foi les moyens de procurer au Trésor les ressources dont il a tant besoin et de s'opposer aux entreprises fallacieuses des partisans du système protecteur. Ne semble-t-il pas étonnant, en effet, de demander au système protecteur des ressources qu'on ne pourrait réaliser que s'il entrait des marchandises auxquelles on essaye de fermer, au contraire, l'accès des marchés intérieurs.

Plusieurs membres de l'Assemblée nationale assistant à la séance, M. Léon Say demande s'il ne conviendrait pas de porter à l'ordre du jour la question des impôts, afin de fournir des lumières et d'apporter un secours à ceux de ses collègues qui combattent au profit des doctrines libérales.

(La proposition de M. Léon Say est reçue avec une entière adhésion, et la parole est à M. Flotard, qui est prié de donner quelques renseignements sur la formation, l'importance et les travaux de la réunion des députés libres-échangistes.)

M. Flotard, député du Rhône, expose que la réunion des députés partisans de la liberté commerciale a tenu sa première séance le 8 avril dernier, Elle avait pour but de veiller à ce que les principes du libre échange ne fussent point entièrement sacrifiés, au milieu des remaniements de tarifs que se proposait d'opérer le gouvernement, pour subvenir aux immenses besoins du Trésor. MM. Daru e Victor Lefranc établirent très-bien l'attitude que devait s'efforcer

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