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Lome Fund.

Sept. 5.1871 Jan. 18, 1872.

DES

ÉCONOMISTES

COMMENT

UNE NATION RÉTABLIT SA PROSPERITÉ

ERREURS QU'ELLE DOIT ÉVITER (1).

I

RÈGLES FONDAMENTALES POUR ATTEINDRE CE RÉSULTAT.

En présence de la patrie accablée, comme la France l'a été dans la guerre de 1870-1871, le citoyen qui aime son pays, après s'être livré un moment à la douleur ou à l'indignation, fait pourtant effort sur lui-même, afin de donner à sa pensée un autre cours. Autant qu'il le peut, il contient l'affliction qui lui déchire le cœur et il impose silence à ses ressentiments. Il se rappelle que les grandes nations participent, lorsqu'elles le veulent fortement, au privilége de Timmortalité, et qu'ainsi il n'y a pas de désastres, militaires ou de tout autre genre, qui doivent porter un grand peuple à s'abandonner lui-même.

Les malheurs publics, même les plus grands, sont pour les naLions des épreuves dont elles parviennent à surmonter l'amertume et à soulever le fardeau, à la condition de déployer, dans toute leur ampleur, leurs facultés intellectuelles, et de mettre énergiquement en action le ressort des âmes retrempées par l'adversité.

J'exagérerais, par delà tout ce qu'autorisent la raison et la convenance, l'étendue du domaine propre à la science que je suis chargé de vous enseigner, si j'entreprenais, ce qui d'ailleurs serait bien. au-dessus de mes forces, de vous tracer le programme des actes par

(1) Discours d'ouverture au Collège de France, le 14 juin 1871.

lesquels la France pourra se relever des coups terribles dont elle a été frappée depuis le mois de juillet dernier. Les revers des nations, lorsqu'ils atteignent certaines proportions, peuvent, dans une forte mesure, être attribués à des causes profondes de l'ordre moral. Pour les réparer, il est indispensable de mettre en œuvre des forces de la même nature, celles qui constituent les plus nobles attributs de l'espèce humaine. Ces forces n'étant pas de la compétence de l'économie politique, il ne m'appartient pas de vous en faire apprécier l'excellence, de vous en signaler les divers modes d'activité. C'est une haute mission que je dois laisser tout entière à ceux auxquels elle est confiée.

En observant rigoureusement la loi de me renfermer dans les strictes limites du territoire de l'économie politique, je puis cependant aborder quelques-uns des nombreux aspects du grave sujet qui préoccupe si vivement tous les bons Français.

L'économie politique, pas plus qu'aucun autre corps de doctrines, ne possède la puissance attribuée à ces oracles de l'antiquité qu'on supposait capables de fournir sur l'heure une réponse opportune et juste à toute question qu'on venait leur adresser. Mais elle a le dépôt de quelques-unes des règles de la sagesse humaine. Elle peut fournir de précieuses indications sur les meilleurs moyens de susciter la prospérité matérielle des États et, par conséquent, de la ressusciter quand elle a été atteinte par l'impitoyable destinée. Elle a pour objet spécial de rechercher comment il est possible de transformer, avec l'aide du temps, en nations riches celles qui étaient retombées dans la détresse aussi bien que celles qui n'en étaient jamais sorties. Un de nos livres classiques, celui qui, plus qu'aucun autre peut-être, a contribué à rectifier sur ces matières les idées des classes instruites de l'Europe, le grand ouvrage d'Adam Smith, a pour titre précisément Recherches sur les causes et l'origine de la richesse des nations.

Les formules de l'économie politique sont remarquables par leur simplicité, qui semble les mettre à la portée de toutes les intelligences. Cette simplicité extrême n'exclut cependant pas le grandiose dans les résultats que donne l'application des principes. Dans le cours de cet enseignement j'ai eu souvent et j'aurai encore l'occasion de vous en citer des exemples.

Il n'y a pas de formule plus simple que de dire à une nation :

« Travaillez tous, travaillez bien, chacun selon son aptitude. Quand vous avez recueilli le fruit ou la rémunération de votre travail, soyez économes. Cultivez votre intelligence, afin de découvrir par l'étude et l'observation de la nature les moyens de travailler avec plus de succès, c'est-à-dire, de produire plus avec le même

effort personnel et dans le même espace de temps. Respectez réciproquement votre liberté dans le travail, car, dans cette sphère comme dans toutes les autres, la liberté est le ressort de l'intelligence et le levier du progrès. A ces conditions vous êtes assurés de parvenir à cette forme de la puissance qui fait l'objet de l'économie politique et qu'on appelle la richesse, ou de la recouvrer si vous l'aviez perdue. »

Ce programme succinct, qui semble emprunté au bon sens de la rue et que pourtant beaucoup d'individus, et quelquefois les peuples, même les plus civilisés, sont sujets à méconnaître et à oublier, contient toute l'économie politique. La substance de cette science c'est qu'une nation parvient infailliblement à la prospérité, si elle adopte pour base de son économie le programme que je viens d'esquisser en quelques lignes et qui se résume en ces mots : le travail, l'épargne, l'instruction, la liberté.

Disons rapidement un mot de chacun de ces fondements de la grandeur des peuples, telle qu'elle apparaît du point de vue. de l'économie politique.

Le travail, c'est lui qui produit toute chose. Comment donc ne pas le respecter ne pas l'encourager?

L'épargne, c'est elle qui forme le capital. Celui-ci est la matière première des améliorations matérielles, dans la société. Plus que cela, c'est une puissance surprenante par sa fécondité, par la diversité et l'étendue des bienfaits qu'elle répand sur les hommes, et pourtant, par une incroyable méprise, le capital est considéré aujourd'hui comme un ennemi par une partie des classes qui en éprouvent la plus heureuse influence, et dont le sort s'adoucit en proportion de son abondance.

L'instruction, lorsqu'elle est, ainsi que les citoyens les plus éclairés l'ont tant demandé chez nous, le partage de toutes les classes et de tous les individus, a, au point de vue de l'économie politique, deux effets généraux également salutaires. Le premier, c'est que par elle les esprits distingués naissent pour ainsi dire à une autre vie où leur puissance est décuplée. Ils trouvent incessamment de nouveaux procédés et de nouvelles méthodes de travail qui sont d'une efficacité supérieure et dont profitent leurs concitoyens et le genre humain tout entier. Le second, c'est que par le moyen de l'instruction, ainsi mise à la portée de tous, chacun des individus qui composent le commun des hommes se rend mieux compte de sa tâche et l'accomplit avec plus de succès pour lui-même et pour la communauté.

Le dernier des éléments que j'ai indiqués tout à l'heure, et dont l'action et la réaction les uns sur les autres crée la prospé

rité des États, est la liberté du travail. Celle-ci consiste en ce que chacun ait le droit d'exercer la profession qu'il préfère, à l'abri des priviléges et des monopoles qui, dans un ordre de choses inférieur, pourraient être attribués à des particuliers ou à des localités, et sans crainte des règlements restrictifs où se complaisent les administrateurs ignorants et présomptueux qu'il n'est pas rare de voir apparaître à l'horizon chez quelque peuple que ce soit. La liberté du travail, c'est que chacun ait, dans sa plénitude, le droit de travailler suivant les procédés qu'il croit les meilleurs, en prenant ses matières premières, ses mécanismes, ses appareils, là où ils s'offrent aux conditions les plus avantageuses, aussi bien à l'étranger que dans l'intérieur du pays.

Il ne s'agit pas seulement de proclamer en principe la liberté du travail et de la placer dans les nuages où on lui adresserait des hommages stériles, car ce ne serait alors qu'une liberté mystique, et il en faut aujourd'hui aux nations une qui soit réelle et effective.

Pour être telle, la liberté du travail exige que l'homme laborieux soit dégagé des liens par lesquels, dans l'ancien régime, en France comme partout, on avait l'habitude de paralyser le labeur industriel et l'exercice des professions utiles en général. De ces entraves il nous reste encore un regrettable luxe de formalités et, dans un certain nombre de cas, la condition de l'autorisation préalable qui est la négation de la liberté.

Dans l'ordre des faits économiques, la liberté se traduit nécessairement par la concurrence dont l'aiguillon, quelquefois incommode pour l'individu, surtout pour celui qui a eu le tort de se placer dans de mauvaises conditions, est cependant très-utile pour la société. C'est un des caractères de notre temps, un des progrès qui lui font le plus d'honneur, qu'on y ait constaté et proclamé que, pour atteindre son maximum d'effet, la concurrence doit être universelle et se faire réciproquement sentir entre tous les membres du genre humain.

Il n'est pas impossible que le principe de la liberté du travail ait désormais besoin d'être défendu parmi nous avec un soin particulier. Sous les divers aspects qu'il présente, il compte des adversaires redoutables. Sous la forme de la concurrence universelle, qui est dénommée plus habituellement la liberté du commerce, il en a de nombreux et de puissants, et de ce côté il est permis de prévoir des attaques pressantes. A ces entreprises rétrogrades nous pourrons, heureusement, opposer la double autorité de la raison et de l'expérience. Sur le terrain du raisonnement les objections qu'on fait à la liberté du commerce ne sont que des illusions. Je renvoie ceux qui en douteraient à un livre irréfutable, les Sophismes écono

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