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L'emprunt en rentes perpétuelles est un système suranné, il est condamné par tous les bons esprits, abandonné par les meilleurs gouvernements, et il n'est plus en rapport avec les ressources financières dont dispose notre pays. Il n'a aujourd'hui de partisans que parmi ceux qui y trouvent leur profit.

Ceci dit, voyons comment on se propose d'équilibrer nos budgets; nous ne parlons pas de celui de 1871. Il est dans des conditions tout à fait anormales, et ne peut se solder qu'au moyen de ressources extraordinaires. Sur 3 milliards 149 millions auxquels il s'élève en recettes, 1 milliard 507 millions lui sont fournis par les reliquats des divers emprunts, indépendamment des 200 millions qu'on se réserve de demander encore à la Banque de France, et qui lui profiteront. Malgré cela, il n'arrive pas à l'équilibre; il lui manquera 57 millions, selon les prévisions de M. Casimir Périer, dans le très-remarquable rapport qu'il vient de publier au nom de la commission du budget. Mais, peu importe, si le déficit n'est pas couvert par les annulations de crédit en fin d'exercice, il sera supporté par la dette flottante qui, grâce à tous ces emprunts, se trouve ramenée à un chiffre modéré. On n'a pas à s'en préoccuper, et personne ne s'avisera de juger notre situation financière sur le budget de 1871. Il en sera tout autrement pour celui de 1872, il faut que celui-ci se présente en équilibre, avec des ressources régulières et parfaitement assurées, sinon notre crédit en souffrira. La prudence commanderait donc de bien calculer d'avance toutes nos dépenses et d'y pourvoir largement; si on croit, par exemple, que 550 millions de ressources nouvelles seront nécessaires, il ne faut pas craindre d'en demander 600 et même 650. M. Thiers, dans son discours du mois de juin, évaluait à ce chiffre de 550 millions nos besoins extraordinaires, en y comprenant les 200 millions à rembourser à la Banque. Il comptait, il est vrai, sur 120 millions d'économies pour les atténuer; il a été démontré depuis par toutes sortes de raisons qu'il serait trop long d'indiquer, que les économies se réduiraient à très-peu de chose. Par conséquent, les 550 millions des ressources nouvelles seront indispensables. Le gouvernement cependant n'en demande que pour 488. La commission du budget en alloue, il est vrai, pour 531, mais ce dernier chiffre sera encore très-insuffisant.

Il y a deux choses auxquelles il faut songer: à l'imprévu dans les dépenses et au mécompte dans les recettes. L'imprévu dans les dépenses sera peut-être moindre qu'il n'était autrefois, mais il existera toujours dans une certaine mesure. Il eût été sage de s'en préoccuper. Quant au mécompte dans les recettes, il est d'autant plus probable que nous sommes en présence d'augmentations

d'impôts. On aurait dû réfléchir qu'en pareil cas 2 et 2 font rarement 4; qu'ils ne font souvent que 3 1/2, quelquefois même 3 seulement. En 1860, lorsqu'on proposa une première augmentation sur le droit des tabacs, on s'attendait à une plus-value de 33 millions, elle ne fut la première année que de 26; les alcools qui avaient été aussi surtaxés ne donnèrent que 19 millions de surplus au lieu de 24 qu'on espérait. Et il ne s'agissait que d'augmentations de taxes qui étaient relativement minimes à côté de celles qu'on établit aujourd'hui. Qui oserait garantir, par exemple, qu'on aura les 130 millions qu'on demande de plus aux contributions indirectes proprement dites, que les sucres, les cafés et autres fourniront immédiatement les 102 millions d'accroissement qu'on espère, et qu'enfin le mouvement de la poste ne subira pas de ralentissement par suite de l'aggravation de tarif qu'on fait peser sur les lettres et qui est plus sensible encore en ce qui concerne les envois d'argent, d'échantillons et d'imprimés? On devra s'estimer bien heureux si, sur ce dernier chapitre notamment, on n'éprouve pas une grave déception. Croit-on encore que les alcools eux-mêmes, très-légitimement surtaxés, produiront en raison de l'augmentation qui les frappe? S'il en était ainsi, il faudrait déclarer, malgré l'exemple de l'Angleterre, que les diminutions de taxes sont sans influence aucune pour développer la consommation, et qu'on peut impunément faire toutes les augmentations qu'on veut. On aura donc des mécomptes. Il eût été prudent de les prévoir et de se munir d'une réserve. Le but essentiel à poursuivre aujourd'hui c'est l'équilibre du budget. Qu'on examine la situation des pays qui depuis longues années ont des déficits celle de l'Italie, de l'Espagne, de l'Autriche; ils ne peuvent emprunter qu'à 7 et 8 0/0. Voulons-nous que notre crédit soit à ce taux et que nous ne puissions non plus nous procurer d'argent qu'à de telles conditions? Sans doute il est très-douloureux d'avoir à supporter des charges très-lourdes, de les voir s'augmenter encore pour parer aux éventualités; mais, comme les éventualités sont trèsprobables et que le dommage qui résulterait pour nous d'un définit ne serait pas compensé par les 50 ou 100 millions de moins que les contribuables auraient à payer, il n'y a pas à hésiter. Il faut à tout prix avoir un budget en équilibre. Le pays est résigné d'avance à tous les sacrifices qu'on lui imposera, seulement il veut qu'ils soient efficaces. L'effet moral ne sera pas plus mauvais si on lui demande 650 millions d'impois nouveaux que si on se borne à en exiger 550. Tandis que si plus tard, après avoir reconnu l'insuffisance des ressources, on veut y remédier en créant de nouvelles taxes, on l'irritera profondément. Le mieux serait donc de faire de suite ce qui est nécessaire et d'avoir dans la suite plutôt à diminuer les impôts qu'à les augmenter.

II

Sur les 531 millions de taxes nouvelles proposées par la commission, on en a déjà voté pour près de 400 millions; mais on l'a fait avec un peu de précipitation, sans avoir étudié suffisamment la matière. Ainsi on demande 2 millions 1/2 à une nouvelle taxe sur les voitures, 2 millions aux abonnements aux cercles; on impose également les billards. Il peut y avoir une satisfaction populaire à ce que les jouissances de luxe soient atteintes, mais encore faut-il qu'il n'en résulte pas plus de trouble que de profit. Déjà on avait établi une taxe sur les voitures il y a quelques années, on a été obligé d'y renoncer, parce qu'elle produisait peu et que la perception en était difficile. Réussira-t-on mieux cette fois? Cela n'est pas sûr. En Angleterre aussi on avait imposé toutes les jouissances de luxe; il y avait des taxes spéciales sur les voitures, les chiens de chasse, les domestiques mâles, les armoiries, la poudre; on a trouvé que, même dans ce pays très-riche, elles étaient peu productives et donnaient lieu à beaucoup de difficultés. On est en train de les abandonner et on en a déjà supprimé la plus grande partie. Mais ce qu'il y a de plus fàcheux dans les surtaxes déjà votées, c'est le nouveau décime qu'on a cru devoir ajouter à l'impôt de mutation sur les immeubles. Cet impôt, qui est dès aujourd'hui de plus de 6 0/0, a des effets déplorables; il paralyse les transactions immobilières, empêche les capitaux de se porter sur la terre et par suite vers l'agriculture; il altère le sens moral de la nation par le peu de scrupule que l'on met à tromper le fisc. Il n'existe nulle part à un taux aussi élevé que chez nous; on le connaît à peine dans les pays qui tiennent à honneur de suivre les véritables principes économiques. On a donc été très-mal inspiré en l'aggravant, et si cette aggravation amène, ce qui est à craindre, un ralentissement dans les transactions, si elle augmente la fraude, le fisc perdra plus qu'il ne gagnera. On peut critiquer, de même, la surélévation du droit qui atteint les communications postales. On l'a dit justement, frapper la poste, c'est frapper un instrument de travail. Qu'y a-t-il, en effet, de plus fécond pour le développement des affaires, que la facilité des communications, c'est par elle que tout commence. Les Anglais l'ont si bien compris, qu'ils ont abaissé à 10 centimes la taxe des lettres, ce qui a produit chez eux des résultats merveilleux. Mais ce qui est plus significatif encore, c'est l'exemple donné par les Américains. Dans ce pays, où tout a été surtaxé depuis la guerre de sécession, le tarif de la poste est resté le même, à 15 centimes pour toute l'Union. Cet exemple aurait dû nous faire réfléchir et nous montrer qu'il n'est pas aussi simple qu'on l'ima

gine d'augmenter les droits de la poste. Toutes ces taxes ont été, je le répète, mal étudiées, on aurait gagné à les soumettre à une enquête minutieuse, au risque de n'en faire commencer la perception qu'au 1er janvier prochain, les 120 millions qu'elles doivent produire cette année ne sont rien à côté des embarras qu'elles peuvent faire naître.

Mais la grosse difficulté est surtout dans les impôts qui ont été ajournés, et au sujet desquels la Commission ne s'est pas trouvée d'accord avec le Gouvernement. Celui-ci, on le sait, propose un droit de douane de 20 0/0 sur les textiles, les matières premières et sur les fabrications étrangères. Ce projet, aussitôt qu'il a été connu, a soulevé de nombreuses et très-vives réclamations; les uns y ont vu un retour au système protecteur; les autres une charge énorme pour notre industrie. C'est sous ces impressions que la Commission du budget l'a étudié elle-même; et, bien qu'elle n'eût pas de parti pris, qu'elle ne fût en principe ni pour le libre-échange, ni pour la protection, elle n'a pas cru devoir adhérer aux propositions du Gouvernement: elle leur reproche d'abord d'être impraticables. En taxant les matières premières d'un droit de 20 0/0, on n'a pas l'idée de nuire à l'exportation étrangère. Il faudra donc trouver moyen d'affranchir du nouvel impôt les fabrications destinées au dehors. Quel sera ce moyen? Sera-ce le draw-back, c'est-à-dire la restitution à la sortie des droits perçus, ou l'admission temporaire sans droits, à condition de réexportation sous un contrôle plus ou moins sérieux? Ces deux moyens sont condamnés par la pratique; ils sont inefficaces l'un et l'autre, et donnent lieu à des fraudes considérables. L'admission temporaire a été essayée depuis le traité de commerce pour certains produits, on a dû la suspendre à cause des abus qu'elle entraînait. Quant au drawback, on le comprend lorsque le poids et la valeur de la valeur première se reconnaissent facilement dans le produit fabriqué qui est destiné à l'exportation. Mais comment faire lorsqu'il y a plusieurs matières premières, qu'elles sont mélangées dans des proportions diverses, et que même elles ont disparu complétement dans la fabrication, telles que les huiles de teintures et les produits chimiques? Il y a là une source d'erreur et de fraude à l'infini. On est en présence d'un inconnu qui peut apporter le plus grand trouble dans notre industrie.

D'autre part, nous sommes liés par des traités de commerce avec les nations voisines, et des articles de ces traités nous interdisent précisément de taxer les matières premières et les fabrications étrangères. Il faudra donc négocier avec ces nations, et obtenir d'elles qu'elles considèrent des droits de douane de 20 0/0,

comme une compensation des taxes intérieures, et comme n'ayant qu'un caractère fiscal. Cela pourrait, à la rigueur, être admis pour les matières qui n'ont pas de similaire en France. Mais il ne sera pas possible de le faire accepter pour les produits qui dérivent de la soie et de la laine. Une taxe de 20 0/0 sur les fabrications étrangères où entrent ces matières serait bien évidemment un droit protecteur pour nos tissus de laine et de soie. Ce serait le renversement des principes et des intérêts réciproques sur lesquels reposent les traités, il est douteux que les étrangers se prêtent aisément à ces modifications. Enfin, soit que le droit de 20 0/0 sur les matières premières ait pour effet de nuire au commerce extérieur, ou de gêner la fabrication intérieure, il est également fâcheux et tend à paralyser le mouvement des affaires, « d'où dépend, comme l'a très-bien fait remarquer M. Casimir Périer, la reconstitution du capital national, si rudement entamé par les dépenses de la guerre et par l'énorme rançon que nous avons à payer. » Du reste, toutes ces objections contre le système du Gouvernement ont déjà été présentées tant de fois, qu'il est inutile d'insister davantage. Reste à savoir maintenant ce qu'on peut mettre à la place, car nous sommes dans la situation de ne pouvoir repousser un système d'impôts qu'à la condition d'en proposer un autre tout aussi productif. Le Gouvernement espérait 170 millions de son impôt sur les douanes, la Commission lui garantit la même somme d'une autre manière, d'abord par ses taxes sur les choses de luxe; par un nouveau 10 sur le trafic des chemins de fer; par une augmentation du droit de transmission sur les valeurs mobilières, le tout devant produire une quarantaine de millions. Elle demande ensuite 50 millions à un droit de 3 0/0 sur toutes les importations, après en avoir exempté toutefois les céréales, les houilles, et certaines denrées surtaxées dernièrement. Les 80 autres millions seraient fournis par un impôt sur les revenus, que la Commission cherche à distinguer de l'income-tax.

Cet impôt de 3 0/0 sur les importations a soulevé encore des objections il n'a point paru exempt de toute idée de protection. Il aurait mieux valu, assurément, qu'on pût s'en passer; mais quand on est dans la situation où nous sommes, en présence de charges aussi considérables, il faut s'affranchir un peu de la rigueur des principes. En définitive, tous les économistes reconnaissent qu'on on est parfaitement autorisé à faire des douanes un élément de recettes pour le Trésor. La libérale et libre-échangiste Angleterre en tire chaque année 550 à 560 millions; elles ne produisent chez nous que 150!· On peut donc légitimement leur demander 50 millions de plus. L'essentiel est que la taxe soit modérée et ne puisse

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