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coupures qu'ont émises des établissements solidement garantis, et surtout les versements du Trésor, qui a pu augmenter l'actif de son compte courant avec la Banque, nous ont permis de franchir l'espace qui nous séparait du 4 décembre, moment où vous pouvez, la loi à la main, faire disparaître toutes les difficultés.

Les principales difficultés à lever sont au nombre de deux la première consistant dans la limite de 2 milliards 400 millions imposée aux émissions des billets de la Banque, limite trop étroite dans les circonstances présentes, et la seconde consistant dans le défant de coupures audessous de 20 fr.

Une fois ces deux mesures adoptées, aucune difficulté sérieuse n'est à prévoir dans la circulation monétaire, et tout nous fait espérer une marche facile des affaires, et un nouvel et heureux mouvement du crédit public.

Résumé de la situation financière. Permettez-nous de résumer en quelques mots cette situation financière pour la rendre plus saisissante et ôter à la malveillauce tout moyen de l'obscurcir.

Nous vous avons fait connaître notre budget, qui, tantôt par la prodigalité, tantôt par la guerre, est monté en dix-huit ans de 1 milliard 500 millions à 2 milliards 750 millions. Quel doute peut-il subsister maintenant à l'égard de ce budget? Est-ce sur la dépense? est-ce sur la recette?

Sur la masse de la dépense, aucune incertitude n'est possible; car tous les services y sont portés au budget ordinaire et extraordinaire, service départemental, amortissement, et enfin intérêt des 5 milliards de l'indemnité de guerre.

Quant au détail de la dépense, nous avons pris pour base les dix-huit dernières années qui sont les plus dispendieuses de notre histoire. Il n'en a été retranché que le résultat de quelques réformes administratives, les travaux publics non urgents, et quant aux travaux de la marine, il n'a été ajourné que les constructions d'essai, qu'on peut remettre à d'autres temps ou laisser aux nations voisines qui n'ont pas fait autant que nous pour l'art des constructions navales.

Le service de la guerre, qui ordinairement déborde les limites posées, a été pourvu d'un accroissement de 75 à 80 millions, somme qui ne rend plus possible un seul imprévu. Enfin, l'amortissement, si négligé, a reçu une dotation de 200 millions, qui est de force à se mesurer avec l'énormité de la dettte.

Donc, rien à dire sur la dépense. Quant aux recettes, la base prise est celle de l'année courante, c'est-à-dire de l'année la plus calamiteuse. Il faut y ajouter 600 millions d'impôts nouveaux. Sur les 600, 350 sont en recouvrement et se perçoivent sans arrêter la prospérité publique. Quant

aux 250 millions restant à créer, la matière imposable en est connue, et rien ne peut faire douter de sa puissance.

Ce budget a donc tous les caractères possibles de la certitude financière.

Reste, il est vrai, un compte de liquidation ouvert à la réparation des malheurs de la guerre, compte dont tous les articles sont connus, et qui ne peuvent certainement pas se renouveler annuellement, tels que réparation de nos places, rétablissement de notre matériel de guerre, entretien de l'armée d'occupation, solde de quelques officiers actuellement à la suite et destinés à rentrer dans les cadres, l'indemnité enfin due aux départemens envahis. Le passif de ce compte est de 400 millions environ, et son actif, consistant en rentes que l'Etat possède et reliquats de l'emprunt, ne peut pas s'élever à moins de 160 à 170 millions, ce qui réduit à environ 230 millions le solde à acquitter.

Or, les dépenses de ce compte ne seront pas exécutées en moins de trois ans, et quand même les plus-values des revenus, habituelles en temps de paix, n'y suffiraient pas, la dette flottante est là, laquelle n'est pas, comme elle a été, de 1 milliard ou de 1 milliard 100 millions, mais de 625 millions.

La Banque. Reste enfin une dernière difficulté. La Banque, chargée de la circulation monétaire depuis que la conversion de ses billets en numéraire métallique n'est plus obligatoire, la Banque va être autorisée à étendre ses émissions. Elle était autorisée à émettre 2 milliards 400 millions de billets; elle sera autorisée à en émettre 300, 400, 600 millions de plus, selon ce que vous jugerez convenable.

Est-ce un danger? Ce biliet infaillible de la Banque de France, qui n'a jamais baissé de 2 010 dans ses plus mauvais jours, tandis qu'on a vu baisser de 10, 15, 20 070 les billets des Banques les plus renommées, sans qu'une catastrophes s'ensuivît, serait-il menacé de baisser de 2, de 3 010? D'abord, au moment où nous parlons, il faut à l'étranger une prime pour s'en procurer.

La baisse n'est donc pas à prévoir, la Banque de France a pour l'arrêter le bilan suivant:

L'émission des billets, qui est aujourd'hui de 2 milliards 400 millions, s'augmenterait-elle de 300 millions, de 400 millions, la Banque offrirait les gages suivants :

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Créance sur l'État, appuyée par 200 millions

d'amortissement qui lui sont réservés. . . 1.500

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La Banque aurait donc de quoi faire face à 3 milliards de billets si elle était prête à les émettre, et à 300 ou 400 millions de comptes courants. Ajoutez que le Trésor n'a plus rien à lui demander, et que, si elle augmentait ses émissions, ce serait pour élargir ses escomptes au commerce, ce qui ferait augmenter d'autant son portefeuille et accroîtrait son gage en une proportion égale à ses émissions.

Jamais Banque n'a donc présenté une semblable solidité, et elle peut augmenter ses émissions si les besoins de la circulation monétaire l'exigent, ce qui n'est guère vraisemblable, l'État ayant acheté sur l'étranger la plus grande partie du papier dont il peut avoir besoin, et n'étant, par conséquent, plus exposé à faire monter le change et sortir le métal.

Nous pouvons donc répéter que la situation financière, en exigeant du pays de grands efforts, mais des efforts qu'il veut et peut faire, tout en étant douloureuse, est d'une solidité inébranlable; elle se résume en ces mots budget en équilibre, toutes les charges de la guerre soldées, compte de liquidation ouvert, ne présentant qu'un reste de 200 à 230 millions à solder en trois ans par la dette flottante ou par les plus-values ordinaires des impôts:

Amortissement de 200 millions. Dette floitante de 625 millions. Banque d'un crédit inébranlable, en mesure de pourvoir à tous les besoins de la circulation monétaire.

(M. le président expose ensuite longuement ses vues sur l'organisation de l'armée, dont il vient d'indiquer les cadres généraux en parlant des finances. Il termine par des considérations politiques tirées du mouvement des esprits, du jeu des partis et de sa propre situation à la tête du pouvoir. Voici sa péroraison :)

Vous faire aujourd'hui des propositions sur tout ce qui est constitutif serait de notre part, à mes collègues et à moi, une témérité, une entreprise sur vos droits. Mais nous sommes, nous aussi, des élus du pays, et nous avons des devoirs à remplir comme membres de cette Assemblée et comme membres du gouvernement. Lorsque, en soulevant vousmêmes les graves questions qui préoccupent les esprits, vous nous provoquerez à nous expliquer sur leur solution, nous vous répondrons avec

franchise et loyauté. Jusque-là nous n'avions, mes collègues et moi, qu'un compte à rendre, loyal, exact, et nous vous l'avons rendu.

Il nous reste un mot à vous dire pour mettre, si j'ose ainsi parler, le comble à la sincérité,

Le pays, dans son ensemble, sauf quelques exceptions peu nombreuses, le pays est sage. Il sent ses malheurs, veut les réparer, et si l'esprit de parti se montre quelquefois, cet esprit est bientôt comprimé par une majorité modérée, qui sent la nécessité d'immoler toutes les passions de parti à l'intérêt public, évident, démontré. Le pays, je le répète avec une conviction profonde, le pays est sage. Les partis seuls ne voudraient pas l'être. C'est d'eux, d'eux seuls qu'il y a quelque chose à craindre; c'est d'eux seuls qu'il faut vous garder, contre lesquels il faut vous armer de sangfroid, de courage, d'énergie. C'est contre les partis, leurs passions, même les plus honnêtes, qu'il faut nous roidir, et, dans une situation où une longue suite de révolutions a laissé sur le sol tant de partis et de subdivisions de partis, vous élever au-dessus d'eux à une suprême justice, à une suprême modération, à une suprême fermeté. Vous l'avez fait déjà bien souvent, et dans les jours les plus agités, lorsqu'il semblait devoir sortir de vos délibérations des tempêtes, il en a jailli sur-le-champ des volontés d'une haute et profonde sagesse. C'est à la majorité, auteur de ces volontés salutaires, que je m'adresse en ce moment; et, tout fatigué que je suis, si, dans cette même voie de sagesse, mon dévouement vous est utile quelques jours encore, vous pouvez y compter, Mais, s'il ne vous est pas indispensable, si votre sagesse n'approuvait pas mes vues à quelque degré, oh! n'hésitez pas, faites un signe, un seul, et, redevenu ouvrier fidèle et soumis, je vous remettrai l'œuvre que vous m'avez confiée, et, grâce au loyal et habile concours de mes collègues, en meilleur état que je ne l'ai reçue. Et je ne m'exprime ainsi que parce que vous tous vous pourrez en dire autant et même plus, lorsque le jour sera venu de reparaître devant le pays. Ce jour-là, il vous devra, il vous rendra des actions de grâces (s'il est juste et il le sera) pour les immenses services que vous lui avez rendus et pour ceux que probablement vous lui rendrez encore.

Le président de la république française,
A. THIERS.

L'ÉLÉVATION DES DROITS SUR LES FILÉS DE COTON.

Une des modifications proposées au cabinet anglais consisterait à élever les droits déjà excessifs que payent, à leur entrée en France, les cotons filés, matière première de grande importance, puisque c'est celle sur laquelle s'exercent vingt industries. Les filés de coton sont la sub

stance d'inombrables tissus, depuis la grossière toile jusqu'aux mousselines les plus légères. Ils servent à fabriquer les tulles et les broderies, industries fort intéressantes, où la France possède une véritable supériorité. Le fil à coudre est à l'usage de toutes les ménagères.

Avant le traité de commerce, les filés de coton étaient prohibés, ce qui était une grande gêne pour beaucoup de fabrications, qui par là étaient obligées de se pourvoir des fils que les filateurs français, ainsi protégés, leur vendaient chèrement. Lorsque le traité fut conclu en 1860, l'influence des filateurs de coton, qui sont de puissants personnages, fut cause que les droits par lesquels on remplaça la prohibition restèrent très-élevés. Le droit le plus bas, applicable aux gros fils qui ne dépassent pas le numéro 20 1/2, est de 15 fr. par 100 kilogrammes. Il remonte ensuite rapidement de manière à être de 100 fr. pour le numéro 100. Pour les fils fins qui servent à fabriquer la mousseline, il atteint 250 fr. et 300 fr. Si le fil est blanchi au lieu d'être écru, à tous ces droits il faut ajouter 15 0/0, et le fil à coudre paie 30 0/0 de plus que le fil ordinaire.

Une pareille tarification est un obstacle bien difficile à surmonter pour une multitude d'industries, et elle est fort onéreuse au consommateur des articles en coton. Or, le consommateur est tout le monde, ce qui n'empêche pas les protectionnistes d'en faire abstraction complète dans leurs raisonnements. En un mot, l'opinion qu'on doit avoir du tarif actuel des douanes, en ce qui concerne les cotons filés, c'est qu'il est tout simplement monstrueux. Voici la preuve que l'expression n'est pas forcée dans le Zollverein, aujourd'hui empire d'Allemagne, les fils de coton écru, quel que soit le numéro, n paient que 15 fr. par 100 kilogrammes; c'est vingt fois moins que le droit français sur les fils fins. Et cependant les filatures allemandes prospèrent et se multiplient. En Suisse, ce n'est même que 4 fr., soit soixante-quinze fois moins qu'en France. Et pourtant, en Suisse plus encore que dans le Zollverein, la filature du coton réussit et se développe. Il y aurait donc d'excellentes raisons pour diminuer dans une forte proportion les droits sur cet article, et il n'y a pas une ombre de raison pour les grossir. N'est-il pas clair que les industries nombreuses qui emploient le fil de coton comme leur matière première auraient un grand avantage à ce qu'on réduisît une taxation aussi intempérante?

L'exagération des droits actuels sur les cotons filés, de ces droits qu'on se propose d'accroître encore, est la seule cause pour laquelle nous restons sans participer notablement à l'immense commerce d'exportation que fait l'Angleterre en objets de coton. Nous excellons dans l'art du tissage, dans celui du blanchiment, dans ceux de la teinture et de l'impression. Si nous avions les filés de coton au même prix que les Anglais, nous leur ravirions, selon toute vraisemblance ne partie de leurs

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