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aux clients de la Banque, en échange de leurs effets, rentrent au fur et à mesure des échéances et disparaissent de la circulation, les billets échangés contre des bons du Trésor, dont l'échéance n'est pas déterminée, restent dans la circulation, au-delà de la limite de 90 jours admise par l'usage. On a voulu assimiler le bon du Trésor à un effet de commerce, quoiqu'il ne lui ressemble en rien. Il n'y pas d'opération commerciale faite, pas de marchandises livrées et aucune promesse de payer à une date déterminée; voilà les seules conditions dans lesquelles une circul tion fiduciaire peut rester ay pair, et malheureusement dans les prêts à l'État, on ne rencontre rien de pareil. Aussi qu'arrive t-il? Ce trop plein de la circulation qui n'a pas d'issue, se manifeste immédiatement à l'intérieur par la hausse des prix, à l'extérieur par les changes défavorables.

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En dehors de toutes les réglementations officielles qui ne pouvaient réussir et n'ont pas réussi, nous possédons, sur toutes les places de commerce, un instrument d'une sensibilité extrême pour nous indiquer les variations de la valeur de la circulation du papier, que cette émission soit faite par les États, par les banques ou par le commerce; ce sont les cours du change. Prenons pour exemple l'Angleterre. On sait que la livre sterling représente une valeur de 25 fr. 20 cent. en or; c'est ce qu'on appelle le pair du change, les variations de prix au-dessus ou au-dessous ne pouvant avoir lieu que dans de très-étroites limites, 20 centimes au plus, tant qu'il y a une circulation métallique dans le pays, parce que l'importation ou l'exportation du métal rectifie de suite les écarts de prix qui dépassent la somme des frais de transport d'une place sur ne autre. Observons donc les cours du change de Paris sur Londres avant, pendant et après la guerre.

Dans les premiers jours de juillet 1870, le prix de la livre sterling varie de 25 fr. 19 cent. à 25 fr. 23 cent. La guerre est déclarée, et du 12 juillet au 10 août il baisse et oscille de 25 fr. 10 à 25 fr. 15 cent.; on se liquide, et la livre sterling est très-offerte. Après nos premiers désastres, les cours se modifient: de 25 fr. 16 c., le prix de la livre sterling s'élève à 25 fr. 45 cent.; elle est trèsrecherchée au moment de la suspension des payements de la Banque de France. Les demandes s'étaient un peu calmées à la fin d'août, quand la marche menaçante des Allemands sur Paris en porta le prix jusqu'à 25 fr. 75 cent. Pendant le siége, les communications sont interrompues, et nous ne possédons aucun cours officiel. Après le siége, on cote 25 fr. 50 cent.; l'annonce et les préparatifs des versements pour l'emprunt de deux milliards font fléchir les cours à 25 fr. 20 cent., par suite des remises des capitaux anglais sur Paris pour y prendre part.

La souscription terminée, les cours recommencent à se tendre; ils oscillent d'abord de 25 fr. 30 à 25 fr. 40 cent., et enfin, dans ces derniers temps, ils ont atteint 26 fr., soit plus de 3 0/0 de perte sur le papier et sur le billet de banque.

La prime de l'or a suivi les mêmes oscillations, tout en conservant l'écart qui doit couvrir les frais d'assurance et de transport du métal. De 4 fr. pour 1,000 fr., alors que précédemment le prix de l'or était au pair, elle s'élève à 7, 8 et 16 fr. pour 1,000 fr., et enfin, il y a six semaines, atteint 29 fr., au moment où on recherchait les traites sur Londres pour le payement de l'indemnité de guerre.

Nous observons tous les accidents qui ont accompagné dans tous les pays, et dans tous les temps, l'excès d'émission d'un papier inconvertible, et qui ont été si bien décrits en Angleterre dans le bullion report de 1810.

Le Trésor, ce nouveau client de la Banque, a été et est encore l'auteur de tout le trouble que nous observons. Comment a-t-il été amené à le laisser se propager? Comme toujours, par une apparence de bon marché. Pour ne pas dépasser la somme de deux milliards, dans le premier appel au crédit, le ministre a préféré laisser de côté la dette contractée envers la Banque, d'autant qu'on savait être le maître des conditions du prêt, 1 0/0 paraissant même déjà un taux élevé. Pour obtenir ce résultat, on n'hésita pas à compromettre la situation de la Banque, sans s'occuper de la perturbation épouvantable qui pouvait en résulter pour les affaires. La Banque a tout avancé au Trésor, et presque rien au commerce. Elle a aidé l'État, et l'État n'a rien fait pour elle; de l'emprunt il ne lui a rien donné; plutôt que de la fortifier, il l'a affaiblie. On s'est laissé prendre, comme l'a si bien dit Bastiat, à ce qu'on voit. Mais faut-il attendre que les effets de ce qu'on ne voit pas se fassent sentir pour aviser? Quand, par suite d'un excès d'émission de papier, la somme des moyens d'échange, effets de commerce, lettres de change, billets de banque (c'est le cas ici), augmente par rapport aux produits disponibles, une hausse de prix se manifeste sur le marché intérieur, les exportations deviennent de plus en plus difficiles, les compensations de produits contre produits, suffisantes en temps ordinaire, se faisant sur une moindre échelle sur les places étrangères, les lettres de change qui représentent ces transactions sont plus rares, alors on les recherche; et quand elles manquent, il faut expédier des espèces et des lingets pour se liquider. De là la prime des métaux précieux qui accompagne les changes défavorables.

Cette fausse situation existait depuis la guerre; le dernier paye

ment aux Allemands l'a encore aggravée. Les agents du Trésor en achetant trop précipitamment une somme énorme de papier sur Londres, ont fait monter le change à 26 fr., et la prime de l'or à 29 fr.

Avec un change aussi défavorable, comment régler des opérations engagées sur les marchés étrangers, sans supporter une perte de 3 0/0 dans le change du papier, ou dans l'exportation des espèces! Sur un mouvement d'affaires de quatre milliards, la perte pour le commerce français ne se chiffre pas par moins de 120,000,000 fr., si même elle ne rend pas beaucoup d'opérations impossibles. Que devient le bénéfice du Trésor en présence d'une semblable différence, ou plutôt d'un pareil obstacle, aux transactions commerciales dans un moment où nous avons le plus grand besoin de les engager sur tous les points du globe, pour parvenir à acquitter notre

rançon.

Nous ne possédons que trois moyens pour nous libérer : 4 Par l'excédant des exportations sur les importations; 2o Par la vente des valeurs de bourse;

3o Par des remises de métaux précieux.

Notre commerce étant toujours, sauf au moment des crises commerciales, créditeur à l'étranger, c'est par l'exportation de nos produits que nous pourrons nous racheter. Mais comment engager des opérations à l'extérieur, quand, en présence des changes et du prix des métaux précieux, si variables et entraînant de pareilles pertes, on ne sait à quel prix une affaire conclue aujourd'hui pourra être liquidée dans trois mois !

La vente de nos valeurs de bourse, aux cours actuels, n'est pas possible sur les marchés étrangers.

Les remises en métaux précieux ne pourront plus se faire sur une grande échelle, sinon à des prix très-élevés; le stock disponible a déjà été enlevé. L'attention du public a été éveillée; à la vue de la prime du métal, il a compris que l'or et l'argent, même sous forme d'espèces, étaient encore une marchandise, et il est à craindre que l'émission des coupures de billets au-dessous de vingt fr. ne fasse de plus en plus disparaître le numéraire des transactions. Nous sommes donc sur une pente fatale et ruineuse pour le pays, soit qu'on envisage la perturbation apportée dans les prix à l'intérieur, soit qu'on se préoccupe de la liquidation de nos engagements commerciaux à l'étranger.

Il faut chercher un remède à une situation si grave; et pour tout homme qui tient compte de la science économique, et qui n'ignore pas les embarras dont ont pu si difficilement sortir les pays qui se sont laissé entraîner sur cette pente fatale, rien de plus funeste que le

moyen que l'on propose: augmenter l'émission des billets, en porter le chiffre à trois milliards, c'est vouloir aller plus vite au fond du gouffre. Ce n'est pas par de tels procédés qu'on pourra, non pas faciliter, mais rendre possible notre commerce d'exportation et attirer les capitaux étrangers.

Pour obtenir ces résultats si désirables, si nécessaires, il n'y a qu'un seul moyen, alléger la situation de la Banque et la rembourser d'une partie de ses avances à l'État, afin de remettre ses billets au pair et lui permettre de se mouvoir dans les limites qui lui ont été imposées.

Le papier et le métal ne peuvent circuler ensemble; il faut relever la valeur du papier, ou le voir se déprécier de plus en plus, et le seul moyen d'atteindre ce but, c'est d'en diminuer la quantité. Le portefeuille de la Banque, en ce moment, s'élève à 752,000,000 fr., par suite du renouvellement d'une partie des effets prorogés; aux époques les plus critiques, il n'a pas dépassé 800,000,000 fr., 200,000,000 fr. suffiraient donc à la Banque, pour satisfaire les demandes du commerce; un emprunt spécial de cette somme la dégagerait un peu des avances faites à l'État et à la Ville de Paris. A l'avenir, le Trésor devrait s'abstenir de toute nouvelle demande.

Au lieu de cela que propose-t-on? D'élargir encore le chiffre de l'émission, de le porter à 3 milliards de francs, c'est-à-dire d'augmenter tous les inconvénients dont nous avons parlé plus haut, et cela dans des proportions que nous ne pouvons déterminer, car la dépréciation du papier n'est nullement proportionnelle à l'excès d'émission. Nous ne possédons pas, comme en physique pour la pression de la vapeur, une table de tension de la dépréciation; mais, dans tous les cas, la progression, si on en juge par ce qui s'est passé en Angleterre et aux États-Unis, n'est pas en rapport avec le chiffre de l'émission. Nous nous lançons de ce côté dans l'inconnu quant à l'intensité de la dépréciation, ce qui n'est que trop certain, et ce qu'on ne veut pas voir alors que, partout, en Angleterre et aux Etats-Unis, c'est une vérité démontrée et a ceptée, c'est la gène, le ralentissement des affaires, les perles que cela va encore entrainer pour notre malheureux pays, victime, comme toujours, de son ignorance et des flatteries qu'on lui prodigue.

M. Blaise (des Vosges) appuie les considérations présentées par MM. Wołowski et Juglar, en rappelant quelle a été la marche de la crise monétaire et en décrivant les faits qu'il a observés dans les campagnes.

Pendant le siége de Paris et l'occupation d'un tiers du territoire,

alors qu'il n'y avait pas d'exportation sérieuse du numéraire, celuici à disparu en grande partie et il a fallu payer jusqu'à 50 francs pour le change d'un billet de 1,000 franes contre de l'or, et 20 fr. pour avoir des petites coupures. C'était une première paniqué. La conclusion de la paix et le rétablissement de l'ordre matériel à Paris ont ramené la confiance pour un temps; la circulation s'est bien vite rétablie dans les campagnes, toute prime de change a disparu et l'on a même vú, comnié les autres années, les gros billets recherchés avant les sémailles d'autonme, pour les approvisionnements de guano que l'on ne peut faire en temps utile qu'en envoyant le prix plusieurs mois à l'avance. Il en a été de même ǎ Paris. L'immense succés de l'emprunt national, les souscriptions importantes des capitalistes étrangers nous ont rendu créanciers pour un instant, et ont fait abónder, sinon les lingots, du moins les billets et les lettres de change qui permettent dé les acheter, ce qui a pu faire croire un moment à des observateurs superficiels, ignorants du mécanisme des changes, que le billet de banque faisait prime, parce qu'on le recherchait partout, à l'étranger aussi bien qu'à l'intérieur, pour effectuer les versements sur l'emprunt.

Qu'est-ce qui a changé cette situation, en apparence si brillante? -Rien d'extraordinaife, rien que les banquiers et les économistes. n'eussent prévu facilement.

La répartition de l'emprunt, souscrit cinq fois, à donné lieu à des remboursements considérables qui ont laissé beaucoup de billets sans emploi; la hausse exagérée à eu pour conséquence de nombreuses réalisations, surtout de titres étrangers, qu'il a fallu payer; enfin les 1,500 premiers millions soldés à valoir sur la contribution. de guerre ont améné la crise actuelle, non pas seulement en faisant apparaître les faits dans leur sèche réalité, mais en précipitánt comme toujours la masse du public d'un excès de confiance dans des craintes éxagérées, dont la conséquence à été la disparition de plus en plus complète du numéraire, d'abord à Paris et de proche en proché jusqu'aux fonds des campagnes.

Pour être difficile, la situation n'est ni désespérée, ni même sérieusement compromise, si l'on sait et si l'on veut adopter les mesures convenables.

D'après les renseignements les plus accrédités, notre stock mé tallique, qui était de miliards et demi à 5 milliards avant la guerre, n'aurait guère été réduit depuis lors que de 4 à 500 millions, nous laissant encore environ 4 millards, soit près du double de ce qui suffit aux immenses transactions de l'Angleterre. Qu'est done devenue cette masse norme le hétaux pré deux? Elle a obéi à la panique, elle s'est fractionnée en une infinité de réser

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