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9o Décisions vicieuses par la forme; 10° Décisions vicieuses par le fond. Développons en peu de mots ces différents chefs. 1o Inaction. Ceci suppose qu'il y a des points qui demandent une décision et qui ne la reçoivent pas, parce que l'assemblée ne s'occupe de rien. Le défaut d'activité peut venir de plusieurs causes, par exemple, s'il n'y a pas de motifs suffisants pour vaincre l'indolence naturelle, s'il n'y a point d'arrangement préétabli pour commencer l'ordre du travail, si l'assemblée est soumise à n'agir que sur des propositions présentées par le pouvoir exécutif. Il se peut aussi qu'on reste inactif, comme on l'a vu souvent dans les anciens états généraux de France, parce qu'il y a des préliminaires sur lesquels on n'est pas d'accord, des questions d'étiquette ou de préséance, des disputes de priorité pour les objets à discuter, etc.

2o Décision inutile. C'est un mal non-seulement par la perte de temps, mais encore parce que toute décision inutile, en augmentant la masse des lois, rend leur ensemble plus obscur, plus difficile à retenir et à comprendre.

3o Indécision. J'entends par là cet état d'irrésolution où l'on reste par rapport à des questions sur lesquelles il serait convenable de prendre un parti.

La mesure proposée est-elle mauvaise? L'indécision n'est pas seulement du temps perdu, mais elle laisse subsister dans le public un état de crainte,

la crainte que cette mesure ne soit enfin adoptée. S'agit-il d'une bonne mesure? Le mal qu'elle eût fait cesser se prolonge, et la jouissance du bien est retardée, tant que l'indécision subsiste.

4° Longueurs. Ce chef peut se confondre avec le précédent, mais quelquefois il en diffère. On peut avoir à se plaindre d'indécision dans des cas où il n'y a point eu de longueurs, comme si après une seule séance, on finit par ne rien faire. On peut avoir à se plaindre de longueurs dans des cas où on est arrivé à une décision. En matière de législation, l'indécision correspond au déni de justice dans l'ordre judiciaire. Les longueurs superflues dans les délibérations correspondent aux délais inutiles dans la procédure.

On peut ranger sous le chef des longueurs toutes les démarches vagues et inutiles, les préliminaires qui ne tendent pas à une décision, les questions mal posées ou présentées dans un mauvais ordre, les contestations personnelles, les conversations de bel esprit, amusements de l'arène et du théâtre. 50 Surprises ou précipitation. Les surprises consistent à brusquer une décision, soit en profitant de l'absence d'un grand nombre, soit en ne laissant pas à l'assemblée le temps et les moyens de s'éclairer. Le mal de la précipitation, c'est le danger qu'elle ne couvre une surprise, ou qu'elle ne donne un caractère suspect à une décision d'ailleurs salutaire.

6o Fluctuation dans les mesures. Cet inconvénient pourrait se rapporter au chef des longueurs et du temps perdu, mais le mal qui en résulte est beaucoup plus grave. Les fluctuations tendent à diminuer la confiance dans la sagesse de l'assemblée, et dans la durée des mesures qu'elle adopte. 7° Querelles. Le temps perdu est ici le moindre mal. Les animosités, les personnalités dans les assemblées politiques produisent les dispositions les plus contraires à la recherche de la vérité, et n'ont même que trop de tendance à former des partis violents qui peuvent dégénérer en guerres civiles. L'histoire de Rome et celle de la Pologne en fournissent de nombreux exemples. Or la guerre n'est qu'un assemblage des actes les plus destructifs, et le mal d'une guerre civile est au moins celui d'une guerre étrangère doublé.

Mais, avant d'arriver à un terme si fatal, les animosités, dans les assemblées politiques, substituent des objets tout à fait étrangers à ceux dont elles devraient s'occuper. Mille incidents, qui renaissent tous les jours, font négliger l'essentiel. Tous ceux qui y prennent part sont dans un état d'agitation et de souffrance : une excessive défiance les trompe plus que ne ferait une extrème crédulité. Le résultat le plus sûr est une perte en honneur, une

disgrace pour l'une des parties intéressées dans la querelle, et souvent pour toutes les deux.

8° Fausselés. Je place sous ce titre général tous les actes contraires à la plus parfaite vérité dans les procédés d'une assemblée politique. La bonne foi doit en être l'âme. Cette maxime ne sera pas contestée par ceux mêmes qui l'observent le moins; mais plus on s'éclairera sur les intérêts publics, plus on en sentira la justesse et l'importance.

9o Décisions vicieuses par la forme. Une rédaction vicieuse est celle qui pèche non par le fond, mais par la forme; celle qui n'exprime pas entièrement ou clairement ce que les législateurs paraissent avoir eu dans leur intention. Elle pèche par excès, si elle contient quelque chose de superflu. Elle pèche par défaut, si elle ne dit pas tout ce qui est nécessaire. Elle est obscure, si elle présente un mélange confus d'idées. Elle est am biguë, si elle offre deux ou plusieurs sens, de manière que différents individus y trouvent des décisions opposées 1.

10° Décisions vicieuses par le fond. Décision contraire à ce qu'elle devrait être pour répondre au bien de la société.

Tous les inconvénients énumérés ci-dessus vien

nent aboutir à celui-ci par des lignes plus ou moins directes.

Quand une assemblée rend une décision indue ou nuisible, on doit supposer que cette décision représente faussement son vou. Si l'assemblée, en effet, est composée comme elle doit l'ètre, son vœu est de conformer ses décisions à l'utilité publique ; et quand elle s'en écarte, c'est par l'une ou l'autre des causes suivantes :

1o L'absence. Le vœu général de l'assemblée, c'est le vœu de la majorité du nombre total de ses membres. Mais plus il se trouve de ces membres qui n'ont pas été présents à sa formation, plus il est douteux que le vœu énoncé comme général le soit en effet.

2o Le défaut de liberté. S'il y a eu quelque contrainte exercée sur les suffrages, ils ont pu n'être pas conformes au vœu interne de ceux qui les donnent.

3o La séduction. Si l'on a employé des moyens attrayants pour opérer sur la volonté des membres, il se peut que le vœu qu'ils énoncent ne soit pas conforme au vou de leur conscience.

4° L'erreur. S'ils n'ont pas eu les moyens de s'éclairer, si on leur a présenté un faux exposé des choses, leur entendement est trompé ; et le vœu qu'ils ont porté n'est pas celui qu'ils auraient rendu s'ils avaient été mieux informés.

1 Je renvoie les lecteurs à ce qui a été dit sur le Style des lois, dans les Traités de législation.

Voilà donc les inconvénients auxquels une assemblée politique peut être exposée depuis le commencement de ses opérations jusqu'à leurs derniers résultats; et le système de sa police approchera d'autant plus de la perfection, qu'il sera plus propre à les prévenir ou à les réduire à leur moindre terme.

Chaque article du règlement aura pour objet d'obvier à l'un ou à l'autre de ces inconvénients ou à plusieurs. Mais, outre l'avantage particulier qui doit résulter de chaque règle prise séparément, un bon système de tactique présentera un avantage général qui dépend de son ensemble. Plus il approchera de la perfection, plus il facilitera pour tous les coopérateurs l'exercice de leur intelligence, et la jouissance de leur liberté. C'est par là qu'ils seront tout ce qu'ils peuvent être, qu'au lieu de s'affaiblir et de s'embarrasser par le nombre, ils se prèteront des secours mutuels, qu'ils pourront agir sans confusion, et s'avanceront, par une marche régulière, vers un but déterminé.

Toute cause de désordre tourne au profit d'une influence indue, et amène de loin la tyrannie ou l'anarchie, le despotisme ou le démagogisme. Les formes sont-elles vicieuses, l'assemblée est gênée dans son action, toujours trop lente ou trop ra pide, traînante par les préliminaires, précipitée dans les résultats. Il faut même qu'une partie des membres se soumette à exister dans un état de nullité, et renonce à l'indépendance de ses opinions. Dès lors il n'y a plus, à proprement parler, de corps politique. Toutes les délibérations se préparent en secret par un petit nombre d'individus, qui peuvent devenir d'autant plus dangereux qu'en agissant sous le nom d'une assemblée, ils n'ont point de responsabilité à craindre.

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de faire naître à chaque moment des contestations. Les règlements sont faits pour y obvier; mais quand les contestations s'élèvent, il faut une personne autorisée pour faire l'application des règlements, pour terminer sur-le-champ des difficultés qui interrompraient le cours des affaires, s'il fallait en appeler à l'assemblée mème.

Ce président doit être unique. S'il y en avaitdeux, toutes les fois qu'il s'élèverait quelque difference d'opinion entre eux, point de décision. Y en a-t-il plus de deux, voilà déjà une petite assemblée qui aura ses débats, et qui prolongera inutilement les affaires.

Ce président unique doit être permanent, nonseulement pour éviter les embarras des élections multipliées, mais surtout pour le bien de son office. Permanent, il aura plus d'expérience, il connaîtra mieux l'assemblée, il sera plus au courant des affaires, et il se sentira plus intéressé à les bien conduire qu'un président passager. Celui-ci, qu'il remplisse bien ou mal sa place, doit toujours la perdre. Le président permanent, qui ne la perd qu'en la remplissant mal, a un motif de plus pour en accomplir tous les devoirs.

Craindrait-on qu'au moyen de cette permanence, il n'acquit trop d'ascendant? Mais plus cet ascendant serait grand, plus il tournerait au profit général, si d'ailleurs le règlement lui ôte tout moyen d'acquérir une influence indue sur l'ordre des propositions, et sur la manière de recueillir les

voles.

Mais, comme il ne faut pas exposer une assemblée politique à tomber dans l'inaction par la maladie, la mort, l'absence volontaire ou nécessaire de son président, il doit y avoir des substituts nommés pour agir en sa place et se trouver prèts au moment du besoin. L'omission d'une précaution si simple et si importante annonce un degré d'imprévoyance dont on croirait à peine les hommes capables, si on n'en avait pas un exemple frappant dans une des plus grandes et des plus anciennes assemblées politiques 1.

Toutes les fonctions qui appartiennent en propre à l'office du président, lui appartiennent sous deux capacités, celle de juge entre les membres individuels, celle d'agent de l'assemblée : juge quand

1 Des membres très-éclairés du parlement britannique, que j'ai consultés sur ce point, ne sont pas, en ceci, de l'avis de M. Bentham. Ils pensent qu'il y aurait beaucoup d'inconvénients à admettre des substituts. Des affaires infiniment multipliées et reprises à divers intervalles seraient exposées à des irrégularités de forme, si elles passaient par différentes mains. Mais le plus grand danger serait celui d'une diversité de décisions, d'où il résulterait des antécédents contradictoires. Un seul juge conserve mieux l'uni

il survient une contestation à décider; agent dans les autres opérations de son ministère 2.

Dans ces deux capacités, toutes ses décisions, toutes ses opérations doivent être subordonnées à la volonté de l'assemblée, et subordonnées à l'instant même. L'assemblée n'a d'autre motif pour s'en rapporter à lui, que la supposition de sa conformité au vœu général. La décision du président, si elle est ce qu'elle doit être, n'est rien de plus qu'une décision donnée pour l'assemblée, en moins de temps qu'elle n'en mettrait à la donner elle-mème. J'ai dit que le président ne doit exercer dans l'assemblée aucune autre fonction que celles qui appartiennent en propre à son office, c'est-à-dire qu'il ne doit pas avoir le droit de faire des propositions, de délibérer, de voter.

Cette exclusion est toute à son avantage, comme à celui du corps qu'il préside.

1o On le laisse ainsi tout entier à ses fonctions, et à la culture des talents particuliers qu'elles exigent. S'il était appelé à soutenir le rôle et la réputation de membre de l'assemblée, il serait souvent distrait de son occupation principale : il aurait une autre espèce d'ambition que celle de sa place, sans compter le danger de ne pas réussir ou de déplaire, et d'affaiblir sa considération personnelle par des prétentions mal soutenues.

2o Cette exclusion est fondée sur une raison supérieure il s'agit de le garantir des séductions de la partialité, de le mettre à l'abri du soupçon même, de ne point le montrer comme partie, au milieu des débats où il doit intervenir comme juge; de le laisser en possession de toute cette confiance qui, seule, peut assurer à ses décisions l'acquiescement de tous les partis.

On dira peut-être que le président ne pouvant pas plus qu'un autre rester neutre et impartial dans des questions qui intéressent la nation entière, obligé surtout, par son devoir même, de s'en occuper sans cesse, il vaudrait mieux lui donner un pouvoir qui l'oblige à se déclarer, à faire connaître ses vrais sentiments, et à mettre ainsi l'assemblée sur ses gardes, que de le laisser jouir, sous un faux extérieur d'impartialité, d'une confiance qu'il ne mérite pas.

A cette objection, il y a plus d'une réponse.

formité des règles. Il faut savoir, pour apprécier cette objection, que les règlements parlementaires ne sont point écrits, qu'ils n'existent que par tradition, et ne sont fondés que sur les précédents ou décisions antérieures; ce qui les expose à varier. Cet inconvénient n'aurait pas lieu pour une assemblée qui aurait un règlement écrit.

2 Par exemple, poser la question; déclarer le résultat des votes; donner des ordres à des subalternes; adresser des remerciments ou des remontrances à des individus, etc.

Premièrement, on ne saurait nier que ses sentiments intimes, tant qu'ils n'influent pas sur sa conduite d'une manière indue, n'intéressent point l'assemblée, mais qu'il ne peut les déclarer sans devenir moins agréable à un parti, ni s'exposer mèmeà un soupçon de partialité, qui altère toujours plus ou moins la confiance.

Secondement, si vous lui permettez de rester impartial, il le sera plus facilement que tout autre. Il envisage les débats sous un autre point de vue que les débattants eux-mêmes. Son attention, principalement dirigée vers le maintien des formes et de l'ordre, est distraite du fond principal. Les idées qui occupent son esprit, durant la scène d'un débat, peuvent différer de celles qui occupent les acteurs, autant que les pensées d'un botaniste, à l'aspect d'un champ, peuvent différer de celles du propriétaire. L'habitude facilite beaucoup ces sortes d'abstractions. Si cela n'était pas, comment verraiton des juges pleins d'humanité fixer leur attention, avec une parfaite impartialité, sur un point de loi, pendant qu'une famille tremblante attend, sous leurs yeux, l'issue de leur jugement?

Il résulte de ce qui précède que, dans une nombreuse assemblée politique, où l'on doit s'attendre à voir naître des passions et des animosités, il faut que celui qui est appelé à les modérer ne soit jamais dans la nécessité de s'enrôler sous les bannières d'un parti, de se faire des amis et des ennemis, de passer du rôle de combattant à celui d'arbitre, et de compromettre, par des fonctions opposées, le respect dû à son caractère public.

Il est des assemblées qui n'ont donné un suffrage au président que dans le cas où les voix se trouveraient égales. Ce droit serait bien plus contraire à l'impartialité que celui de voter dans tous les cas, et il n'y a point de raison à alléguer en sa faveur. Le parti le plus simple et le plus naturel à prendre, en cas d'égalité, c'est d'envisager la proposition qui n'a pas eu la majorité des suffrages comme tombée. En matière d'élection, il vaudrait mieux s'en remettre au sort que de donner la voix prépondérante au président. Le sort n'offense personne.

Ce qui me reste à dire sur le choix du président se réduit à peu de mots. Il faut qu'il soit élu par l'assemblée, exclusivement par elle, à la majorité absolue et au scrutin. Il faut de même qu'il soit amovible par elle seule.

Tout cela découle du même principe. Nul ne doit remplir cette place que celui qui possède la confiance de l'assemblée, et qui la possède dans un degré supérieur à tout autre. Tout le bien qu'il peut faire est en proportion de cette confiance.

Mais il ne suffit pas qu'il ait possédé une fois la confiance, il faut qu'il la possède continuellement.

Si-elle cesse, l'utilité de l'office cesse de même. Sans le pouvoir de destituer, le pouvoir d'élire serait pis qu'inutile; car le plus odieux des ennemis, c'est un ami infidèle. S'il fallait séparer ces deux pouvoirs, celui de destituer serait bien préférable à celui d'élire.

Ces règles sont particulièrement convenables à de nombreuses assemblées, à des corps législatifs. Des comités, des bureaux de législation, des cours de justice, n'auraient pas les mêmes raisons pour -ôter au président le droit de délibérer, de voter ou de départager les suffrages.

Une assemblée temporaire, formée pour un objet occasionnel, n'a point les mêmes motifs qu'une assemblée législative pour nommer elle-mème son président. Le danger de l'élection est de perdre un temps considérable en disputes qui ne font que retarder l'objet pour lequel on est convoqué. Dans les assemblées de comté en Angleterre, on laisse présider le shérif, officier public nommé par le roi. L'avantage de choisir un président est inférieur à celui de la tranquillité, et de l'expédition des affaires.

Le règlement de la présidence, tel qu'on le propose ici, paraît si simple, si convenable, qu'il a dù, ce semble, se présenter de lui-même à toutes les assemblées politiques.

Mais si nous passions à considérer ce qui s'est pratiqué chez les différentes nations, nous verrions que ces règles ont été presque partout méconnues. Le système anglais, qui en approche le plus, en diffère dans un point essentiel. Il permet au président de délibérer et de voter. Tous les établissements ont commencé dans des temps d'ignorance: les premières institutions n'ont pu être que des essais plus ou moins défectueux; et quand l'expérience fait sentir les inconvénients, l'esprit de routine s'oppose aux réformes, et de plus il empêche de remonter aux véritables causes du mal.

CHAPITRE VII.

de l'Initiative d'obligation, et du droit de proPOSER

COMMUN A TOUS.

Il doit y avoir dans toute assemblée un individu qui soit chargé officiellement de l'initiative, c'està-dire chargé de commencer les opérations, de proposer des mesures: car si aucun membre en particulier n'était tenu d'avoir un plan, il se pourrait qu'il n'y en eût point, et qu'on restât dans l'inaction.

Il faut non-seulement un projet à chaque occasion, mais il faut une suite, une liaison entre les projets. Il ne suffit pas de pourvoir à la première séance, il faut pourvoir à toute la session. Il doit y avoir un plan général qui embrasse toutes les opérations compétentes, qui les dispose dans le meilleur ordre, et les conduise à leur fin.

Cette initiative d'obligation doit naturellement appartenir à celui qui a convoqué l'assemblée, et qui connaît le mieux les besoins de l'État. La distribution générale des travaux est du ressort de l'administration. Les ministres proposent, l'assemblée délibère et résout.

Mais le droit d'initiative ne doit pas être exclusivement le privilége du pouvoir exécutif. Chaque membre doit le posséder également. Ceci est fondé sur trois raisons principales.

1o L'avantage de tourner au profit commun l'intelligence de toute l'assemblée. Il y a autant de chance d'obtenir le meilleur avis de la part des uns que de la part des autres. Limiter le droit de proposer, c'est renoncer à tout ce qu'on pourrait attendre de la part de ceux qui en sont exclus; c'est instituer un monopole nuisible sous tous les rapports, soit parce qu'il éteint l'émulation de ceux qu'on réduit à un rôle purement négatif, soit qu'il peut retenir les plus grands talents dans l'inaction. Les hommes les plus intelligents et les plus capables peuvent, dans ce régime exclusif, être enchaînés par ceux qui leur sont bien inférieurs en génie ou en connaissances.

parce

2o La faculté de réformer les abus. Si le droit de proposer n'appartenait qu'à l'administration, les abus qui lui sont favorables pourraient être perpé- | tuels l'assemblée n'aurait aucun moyen direct de les faire cesser. Ce serait donner au gouvernement l'espèce de négative la plus commode contre toutes les mesures qui pourraient lui déplaire, une négative sans éclat et sans débats 1.

5o Le danger du droit négatif, quand il existe seul. L'assemblée qui serait réduite, par cet arrangement, au seul pouvoir de rejeter, pourrait être tentée d'en abuser, c'est-à-dire de rejeter de bonnes mesures, soit par un sentiment d'orgueil, pour ne pas paraître nulle, pour faire un acte d'autorité,

soit pour forcer la main du gouvernement, et l'amener à céder un point pour en obtenir un autre; car le droit de refuser peut se convertir en arme offensive, on peut en faire un moyen positif de contrainte. Ainsi, un pareil système, au lieu de produire l'harmonie, pourrait bien ne tendre qu'à la

1 Dans les anciens temps, le parlement d'Écosse était soumis, dans l'ordre de son travail, à un comité nommé par le roi. Les lords des articles avaient seuls l'initiative de toutes les mesures. Ils préparaient d'avance tout ce qui

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discorde, et nécessiter, de la part de l'assemblée, une conduite artificieuse contre le pouvoir exécutif.

Mais, dira-t-on, si la direction des affaires doit être confiée aux officiers du pouvoir exécutif, si c'est à eux à proposer les mesures que les besoins de l'État exigent, comment cela peut-il s'accorder avec le désir qu'auraient tous les membres de faire des propositions? Car ce droit, pour être efficace, suppose que l'assemblée a le pouvoir de s'en occuper. Or, si elle s'en occupe, voilà le plan ministériel sujet à être interrompu par des propositions incohérentes, et même entièrement bouleversé. Il n'y a plus de marche régulière, et il peut en résulter une confusion générale dans le gouverne

ment.

Je ne puis répondre à cette objection qu'en supposant, de la part de l'assemblée, une disposition habituelle à laisser aux ministres l'exercice ordinaire du droit de proposer. Elle conservera ce privilége à tous ses membres indistinctement, mais elle accordera la priorité, par une convention tacite, aux propositions ministérielles.

C'est ici qu'il faut observer la conduite du parlement britannique. Dans le cours ordinaire des choses, tous les yeux sont fixés sur le ministre. Soit qu'il présente un plan, soit qu'il parle pour le soutenir, il est écouté avec un degré d'attention qui n'appartient qu'à lui. Par un consentement général, quoique tacite, les affaires importantes ne commencent point avant qu'il arrive. C'est lui qui propose toutes les grandes mesures : ses antagonistes se bornent à les attaquer. En un mot, il est le directeur, le moteur en chef, le personnage principal.

Cependant il n'a pas, de droit, la plus légère prééminence : il n'est aucune règle qui assure à ses motions la préférence sur celles de tout autre; aucune règle qui lui donne la priorité de la parole. C'est une disposition qui n'existe qu'en vertu de sa convenance et de son utilité; c'est le résultat de l'expérience et de la réflexion. Pendant que le ministre possède la confiance de la majorité, il est sûr de conserver ce privilege de l'initiative: vient-il à perdre cette confiance, il ne peut plus rester dans le ministère ; il est forcé de céder sa place à un autre.

Je ne puis me dispenser de relever ici une erreur populaire dans tous les sens de ce mot, tant par le peu de réflexion qu'elle décèle, que par le nombre de ceux qui l'adoptent. Cette erreur consiste à conclure qu'une assemblée comme celle des communes est corrompue de cela seul que, dans sa marche

devait être présenté à l'assemblée, et, par conséquent, ils avaient une négative absolue bien plus puissante que celle qui aurait eu lieu après le débat. Voyez Robertson, Histoire d'Écosse, liv. 1, règne de Jacques V.

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