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5.

BULGARIE, RUSSIE.

Notes relatives aux anarchistes russes réfugiés dans la Principauté; janvier 3/15 février 1891.

Archives diplomatiques. 1891. No. 2.

I.

Note Russe *).

Depuis quelque temps, la Bulgarie tend à devenir un lieu de refuge de nombreux anarchistes et émigrés russes qui, en arrivant dans ce pays, y trouvent non seulement un accueil hospitalier, mais qui réussissent même à y obtenir des places plus ou moins bien rétribuées.

Peu de temps après le rappel des officiers russes de la Principauté, un certain Wladimir Loutzky fut nommé commandant d'un bateau de guerre bulgare. Vers la même époque, le nommé Espère Serebriakow, qui avait servi comme lieutenant dans la flotte russe, et qui, ayant déserté, avait pris le nom de Blank, reçut le commandement du yacht princier.

S'étant gravement compromis en Russie, ces deux individus s'étaient fait remarquer plus tard par leur activité comme membres de cercles terroristes russes à Paris.

L'affluence d'anarchistes russes en Bulgarie a pris des proportions inquiétantes, surtout depuis l'année passée, à la suite des mesures qui avaient été adoptées tant en France qu'en Suisse, pour purger ces deux pays de la présence d'éléments aussi dangereux.

L'attention du gouvernement impérial ayant été éveillée par ce fait, il a été reconnu nécessaire de recueillir des informations précises sur les émigrés russes séjournant en Bulgarie. Nonobstant les grandes difficultés que cette tâche a été de nature à présenter, le département de la police a réussi à se procurer des renseignements qui offrent certainement quelques lacunes, mais dont l'exactitude ne saurait pourtant être mise en doute.

Conformément à ces renseignements, les anarchistes russes suivants sont établis à l'heure qu'il est en Bulgarie:

1o Le susnommé Wladimir Loutzky est chargé de la construction du port de Bourgas et il est payé à raison de 1,500 fr. par mois.

2o Nicou Volansky (Bielow) occupe une place de maître d'école à Rasgrad.

3o Michel Dragomanow occupe une chaire de professeur à Sophia et gagne 12,000 fr. par an.

4o Pierre Féodorow qui, s'étant évadé de Sibérie, a pris le nom de Chamraïewsky, est employé à l'administration du chemin de fer SophiaTzaribrod.

*) Elle a été remise, dans le courant de janvier 1891, au Gouvernement bulgare par l'intermédiaire du chargé d'affaires d'Allemagne à Sofia.

5° Gabriel Balamez, qui s'est également évadé de Sibérie, occupe un poste d'inspecteur d'écoles.

6° Maxime Philippéo, sujet hellène, qui avait été expulsé d'abord de la Russie et ensuite de la Suisse, est également employé dans l'administration du chemin de fer Sophia-Tzaribrod.

7o Edmond Brzesinsky a occupé dernièrement le poste d'inspecteur de l'arrondissement médical de Tirnovo et vient d'être transféré à Sophia. 8° Liezer Holzwurst est employé comme mécanicien à la direction des postes et télégraphes.

9° Debagoris Mokriewitch qui, ayant été condamné aux travaux forcés, a réussi à s'évader de Sibérie, est employé comme chef de gare à Tatar-Bazardjik.

10° Pierre Dachkewitch, qui s'est évadé de Sibérie, a été employé à l'arsenal de Roustchouk, et se trouve aujord'hui à Gabrowo.

11o La dame Alexandrine Dylew a exercé en 1888 les fonctions de médecin municipal à Karlowo.

12° Jean Lazare witch, condamné au déportement en Sibérie d'où il a réussi à s'enfuir, a été employé à l'arsenal de Routschouk.

13o Wladimir Bourtzew habite Sophia où il publie des écrits révolutionnaires contre la Russie.

Le susnommé Espère Serebriakow (Blank) avec sa femme, née Tetelmann, qui, en dernier lieu, avait habité Paris, était sur le point de se rendre en Bulgarie, où il espérait obtenir un poste.

En dehors des individus ci-dessus mentionnés, un révolutionnaire russe dont le nom n'est pas encore connu, mais qui se trouve en rapport avec Espère Serebriakow, est arrivé récemment avec sa femme à Sophia et a été nommé chef de gare à Novi-Kham, chemin de fer Sophia-Philippopoli. Cet emploi lui rapporte 120 fr. par mois. Il est attaché provisoirement à la direction des chemins de fer pour l'étude de la langue bulgare.

Grâce aux moyens pécuniaires qu'ils gagnent en Bulgarie, les anarchistes russes trouvent de grandes facilités pour continuer la propagande révolutionnaire, qu'ils considèrent comme leur vocation, et certains indices sont même de nature à faire supposer que plusieurs d'entre eux sont occupés à des réparatifs qui ne sauraient avoir pour but que des attentats criminels. Les individus dont les agissements donnent surtout lieu à de graves soupçons sont les suivants: Bourtzew, Volansky, Fédorow, Loutzky et un nommé Ivanowsky, anarchiste russe établi en Roumanie. Le susnommé Volansky, qui enseigne la chimie et la zoologie à l'Ecole de Rasgrad, a à sa disposition un laboratoire qui est attaché à l'Ecole. Il s'y enferme souvent pour travailler. Toutes les matières chimiques dont il a besoin pour ses expériences sont immédiatement commandées à l'étranger par l'administration de l'Ecole. Volansky cherche en même temps à répandre des écrits et des journaux anarchistes publiés à Genève, et il organise de temps en temps des réunions qui sont fréquentées par des officiers et employés bulgares, auxquels il prêche la haine de la Russie. Loin de mettre des entraves à l'activité pernicieuse des anarchistes,

les autorités bulgares semblent, au contraire, disposées à les y encou

rager.

Tel est l'état actuel des choses en Bulgarie. Un pays tout jeune encore et qui est rattaché par des liens de vassalité à un autre Etat est mis en contact immédiat avec des éléments perturbateurs de la pire espèce dont la présence a été reconnue par la plupart des puissances comme un grave danger pour l'ordre public. Ce pays tend en même temps à devenir un foyer de conspiration contre la sécurité de la Russie à laquelle la Bulgarie doit son existence.

Il semblerait d'autant plus dangereux de tolérer cet état de choses, que les autorités bulgares, non contentes de donner asile à des anarchistes, n'hésitent pas à leur confier même l'éducation de la jeunesse et leur fournissent aussi le moyen le plus sûr de propager leurs doctrines subversives. Il est certain qu'en persévérant dans cette voie, la Bulgarie risquerait de compromettre son propre avenir et de devenir, avec le temps, un centre permanent d'une propagande qui ne vise à rien moins qu'à provoquer un bouleversement général des principes qui servent de base à la morale publique.

II.
Réponse.

Le séjour dans la Principauté de Bulgarie est libre à tout étranger qui y vient, muni de documents réguliers et qui n'est pas signalé par des actes contraires à l'ordre général et à la morale publique. Sous ce rapport, la Bulgarie comprend les devoirs de l'hospitalité à l'instar de tous les Etats constitutionnels. Mais elle n'a jamais entendu devenir un lieu de refuge pour les anarchistes d'aucun pays.

Relativement aux personnes mentionnées dans la Notice communiquée par l'Honorable Consulat Général d'Allemagne et qui sont qualifiées d'anarchistes et d'émigrés russes établis en Bulgarie, le Ministère Princier des Affaires Etrangères a recueilli les renseignements circonstanciés suivants :

1o Le sieur Wladimir Loutzky était au service de la Roumélie Orientale en qualité d'ingénieur du Département de Stara-Zagora, depuis 1882 jusqu'au commencement de l'année 1885. Il fut engagé le 17 mai 1885 au service de l'Administration bulgare comme ingénieur du district de Lom-Palanka par M. le prince Hilkow, ingénieur russe, qui, recommandé par le Gouvernement Impérial, était alors à la tête de la Direction Princière des Travaux Publics. Après le rappel des officiers russes de la Principauté et lors de la déclaration de la guerre serbo-bulgare, Loutsky fut appelé au commandement d'un bateau de la flottille bulgare. Après les évènements du 9/21 août 1886, licencié du service bulgare et contraint de quitter la Principauté, il se rendit à Constantinople où il demeura presque deux années consécutives au su de l'ambassade de Russie. Puis, sur ses démarches instantes, il reçut l'autorisation de retourner en Bulgarie où il obtint, en février 1890, un poste auprès de la Direction des Travaux Publics, aux émoluments mensuels de 400 francs; il était en dernier lieu

chargé des études du port de Bourgas, lorsqu'il fut livré à Constantinople entre les mains des autorités impériales russes.

2° Nicou Volansky (Biélow) a été, pendant quelques années, maître d'école à l'école communale de Razgrad; durant son séjour en Bulgarie, il n'a jamais commis d'acte révolutionnaire ni tenu de réunions anarchistes; au contraire, il a toujours eu une conduite très correcte. Mais, puisque le Gouvernement Russe le signale dans sa Notice comme un nihiliste très dangereux, il a été licencié de l'Ecole et a déjà quitté la Bulgarie. 3o Le sieur Michel Dragomanow a occupé jusqu'en 1875 la chaire d'Histoire universelle à l'Université de Kiew; il a été relevé de ses fonctions à cause de quelques articles publiés par lui et autorisés pourtant par la Censure Impériale, dans lesquels il avait critiqué le programme scolaire du comte Tolstoï, Ministre Impérial de l'Instruction Publique, en ce qui concernait les Départements de l'Ukraine. Accusé auprès de feu l'Empereur Alexandre II de tendances séparatistes, il fut invité à donner sa démission, et il lui fut expressément interdit de professer dans les Universités de l'Ukraine (Kiew, Kharkow et Odessa).

Il a quitté la Russie, muni d'un passeport qui lui a été délivré par le gouverneur général de Kiew. Depuis qu'il s'est rendu à l'étranger, il a publié plusieurs écrits qui témoignent qu'il a toujours été un adversaire avoué des mesures violentes et de l'assassinat comme moyen politique; il s'est acquis, en outre, une plàce très honorable dans le monde des

savants.

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M. Dragomanow est depuis deux ans engagé au service de l'enseignement en Bulgarie et occupe la chaire d'Histoire universelle à l'Ecole Supérieure à Sophia. Dans la Notice, aucune accusation, basée sur quelque fait positif, n'est portée contre lui, tandis que de tous les renseignements recueillis sur son compte, il ressort que M. Dragomanow se livre tout entier aux études d'histoire et de philologie, n'appartient à aucune société secrète et n'a encouru, en définitive, que le reproche d'être un séparatiste ukranien.

4° La présence de Pierre Féodorow, désigné également sous le nom de Chamraïewsky, n'a jamais été constatée en Bulgarie.

Un Israélite du nom de Menahem Jacowliévitch Schamraïewsky a été au service de l'administration princière des Travaux Publics depuis le deuxième semestre 1889 jusqu'à la fin 1890. Cet individu est arrivé directement de Krementchoug (Russie) en Bulgarie, détenteur d'un passeport en règle sub Nr. 4291 délivré par la préfecture de police d'Odessa. le 8 juin 1889 et visé le 14 du même mois par les autorités de police à Réni (Bessarabie), ainsi que d'un certificat en date du 22 mai de la même année, émanant de la Commission de Recrutement de Krementchoug.

M. J. Schamraïewsky a déclaré qu'il a fait ses études à Dresde, qu'il est retourné en Russie pour régulariser sa situation au point de vue militaire et qu'il a quitté son pays natal à cause des persécutions contre les Juifs.

Quoi qu'il en soit, les documents qu'il a produits prouvent à l'évidence qu'il ne saurait être pris pour P. Féodorow Chamraïewsky évadé de Sibérie.

5o Gabriel Balamez ou Balamezow, originaire de Bessarabie, établi depuis plusieurs années dans la Principauté, est d'origine bulgare et a acquis la sujétion bulgare; il a été engagé le 1er octobre 1888 comme professeur au gymnase de Sophia et se trouve actuellement en la même qualité au gymnase de Plovdiv. S'il est vrai que, durant ses études en Russie, il ait mérité, par ses agissements, d'être envoyé en Sibérie, il n'en est pas moins vrai que, depuis qu'il habite la Bulgarie, il n'a point prêté au soupçon qu'il serait affilié à quelque société de nihilistes. Etant donné aujord'hni que Balamezow est sujet bulgare, le Gouvernement Princier ne saurait lui défendre de séjourner dans la Principauté.

6o Filippéo (Maxime), qui possédait un passeport hellène, a demeuré peu de temps en Bulgarie. Il a été employé comme ingénieur du district de Selvi, a été licencié du service et n'est plus dans le pays.

7o Le Dr Edmond Brzesinsky s'est établi dans la principauté en 1888, a été au service de l'Etat et a résigné ses fonctions l'an dernier pour exercer la médecine à Plevna. Il a demandé, en 1888, la naturalisation bulgare qui, vu son honorabilité et les conditions de séjour accomplies, lui a été accordée, conforméments à la loi, par Ukase en date du 17 décembre 1888, sous no 349.

8° Leiser Holzwurst n'est pas connu en Bulgarie. Un certain Holzwurm a été au service de l'administration bulgare; mais il a quitté son poste avant que la Notice fût parvenue au Gouvernement Princier et, depuis lors, il est parti de Bulgarie.

9o En ce qui regarde Debagoris Mokriéwitch, il est dit dans la Notice que cet individu occuperait la place de chef de gare à Tatar - Bazardjik. Comme cette station fait partie du réseau des chemins de fer Orientaux qui sont exploités par une Compagnie étrangère et que cette Compagnie a seule le droit, en dehors de tout contrôle de l'administration princière, de nommer ou de destituer ses employés, le Gouvernement bulgare ne mérite guère le reproche qui lui est adressé de maintenir à son service l'individu en question.

Au surplus, il convient de noter que Mokriéwitsch n'est pas le chef de gare de Tatar-Bazardjik.

il est cependant Il y a en cette

10° Pierre Dachkéwitch est inconnu en Bulgarie; signalé comme se trouvant aujourd'hui à Gabrovo. ville, parmi les employés d'une fabrique privée, un sujet russe qui s'appelle Alexi Théodorow, Nadaïn, natif de Mglini (Département de Tchernigow) arrivé en Bulgarie en 1884 et muni, par le Vice-Consulat de Russie à Varna, d'un billet de séjour sub no 423.

11o La Dame Alexandra Dylewa réside en Bulgarie depuis 1884; elle y est arrivée munie d'un passeport russe sub no 1775, ainsi que de deux certificats sub nos 173 et 219, constatant qu'elle a servi en qualité d'aidemédecin à l'Institut Impérial pour les accouchements et à l'Hôpital Elisabeth pour les enfants, à Saint-Pétersbourg. Elle possède actuellement un passeport n° 298, délivré le 6 juin 1889 par le Consulat de France à Plovdiv en échange de l'ancien passeport qu'elle y avait exhibé. 12o et 13° Jean Lazarévitch et Wladimir Bourtzew ne sont jamais

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