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1060. La loi du 30 mars s'en référait, sur le mode de paiement, aux dispositions de la loi du 8 mars 1810, abrogée depuis par l'art. 77 de la loi du 3 mai 1841.-Or, l'art. 76 de cette dernière loi, en désignant les articles antérieurs qui doivent être appliqués aux travaux de fortification urgents, ne mentionne ni le § 2 de l'art. 53, ni les art, 54 et 55. Cette application est cependant de toute nécessité; mais elle résulte, selon nous, de cette seule circonstance que la loi du 3 mai est la loi générale sur l'expropriation, et que rien ne s'oppose à ce que les dispositions du titre V de cette loi (sauf le § 1er de l'art. 53) soient appliquées aux travaux de fortification urgents.

[Lorsque le chiffre de l'indemnité provisoire a été augmenté par le jury, le propriétaire dépouillé de sa jouissance a droit aux intérêts de ce supplément d'indemnité, à compter du jour de la dépossession, et non pas seulement à partir de la décision du jury. Il s'agit d'un prix de vente dont l'intérêt est dû de plein droit, et ce principe, d'application générale, n'a été modifié par aucune disposition des lois de 1831 et 1841 (1). ]

1061. L'art. 76 de la loi du 3 mai 1841 déclare que le titre VI de cette loi sera applicable aux expropriations pour travaux de fortification urgents: or, ce titre traite spécialement des formalités des actes administratifs, et des diverses significations :\ (no 977); de la dispense des droits de timbre et d'enregistrement (no 953); de la rétrocession des terrains non employés aux travaux (voir ci-après); et de la faculté de faire valoir pendant un an, pour former le cens électoral, les contributions des immeubles cédés pour utilité publique. Cette dernière disposition est devenue sans intérêt et est implicitement abrogée par l'établissement du suffrage universel.

1062. L'expropriation pour cause d'utilité publique donne lieu à une indemnité pour tous ceux qui éprouvent quelque perte par suite de cette expropriation, et notamment en faveur des fermiers (n°o 356). La loi du 30 mars 1831 n'aurait pas rappelé cette règle, que l'on n'aurait guère pu douter qu'elle ne fût applicable dans l'espèce qui nous occupe; toutefois l'art. 14 porte Tout dommage causé au fermier ou exploitant par « cette dépossession définitive lui sera payé après règlement « amiable ou judiciaire. » Aujourd'hui, en cas de dissentiment, le règlement serait fait par le jury spécial, s'il en est convoqué

(4) Tribunal de Lyon, 47 déc. 1845 (Gaz. trib., 22 janv. 46).

un pour fixer l'indemnité du propriétaire : la demande du fermier serait alors jugée conjointement avec celle du propriétaire, à cause de la connexité. Mais si le fermier agit seul, sa réclamation devra être portée au conseil de préfecture, car le jury ne connaît que des indemnités relatives aux expropriations, et le fermier n'éprouve aucune expropriation (n° 158).

[ La destruction d'une propriété privée, ordonnée par l'autorité militaire pendant le combat et pour les nécessités de la défense, constitue un cas de guerre, mais non une expropriation, ni une dépossession ou démolition qui, exécutée en vertu d'une délibération du conseil de défense, puisse être assimilée à une expropriation (1). ]

1063. La loi du 30 mars 1831 s'occupe tout à la fois, et de l'expropriation des propriétés privées nécessaires aux travaux de fortification, et de l'occupation temporaire de ces mêmes terrains; mais la loi du 3 mai 1841 ne statue que sur les cas où il y a expropriation; par conséquent, les dispositions de la loi du 30 mars conservent toute leur force relativement à l'occupation temporaire des terrains. Nous devons toutefois faire remarquer que l'art. 14 de la loi du 30 mars porte : « Si, dans << le cours de la troisième année d'occupation provisoire, le pro« priétaire ou son ayant droit n'est pas remis en possession, ce << propriétaire pourra exiger et l'Etat sera tenu de payer l'in«demnité pour la cession de l'immeuble, qui deviendra dès « lors propriété publique. » Le but de cet article a été d'abord d'établir que l'occupation temporaire ne pourrait durer plus de trois ans. « Tous les inconvénients disparaissent, disait M. le maréchal Soult, ministre de la guerre, en présentant le projet à la Chambre des députés, si l'on songe que le propriétaire a le droit d'exiger que la valeur de sa propriété lui soit remboursée, lorsque la privation de jouissance se prolonge plus de trois ans » (Monit., 10 fév. 1831). Ainsi l'art. 14 ne donne pas au proprié taire le droit d'agir dans le cours de la troisième année, mais seulement s'il n'est pas remis en possession à l'expiration de la troisième année; de manière que ce n'est qu'au commencement de la quatrième qu'il peut user de la faculté que lui confère l'art. 14. Il importe de remarquer que cette faculté de convertir l'occupation temporaire en expropriation n'est accordée qu'au propriétaire. C'est, en effet, un acte d'aliénation qui ne peut

(1) Cass., 14 juill. 1846 (S.46.4.735).

avoir lieu sans sa volonté. L'exercice de ce droit pouvant faire naître les mêmes questions que celui d'exiger l'acquisition d'une propriété morcelée, on peut voir ce que nous avons dit no 853 et suivants.

Les indemnités dues pour l'immeuble occupé plus de trois ans sont aussi réglées par le jury spécial, et doivent être établies sur les mêmes bases que pour toute autre expropriation. Cependant l'art. 14 ajoute que « l'indemnité foncière sera réglée, non « sur l'état de la propriété à cette époque, mais sur son état au << moment de l'occupation, tel qu'il aura été constaté par le pro« cès-verbal descriptif. » Cela est très-juste, mais le législateur a cru nécessaire de l'exprimer.

Relativement à la marche à suivre pour arriver au règlement de cette indemnité, on peut consulter ce que nous avons dit n° 913 et suivants.

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SECTION III.-Des travaux de la marine impériale.

Travaux qui n'ont pas été déclarés urgents.

Travaux déclarés urgents.

De l'intervention du préfet maritime.

1064. L'art. 75 de la loi du 3 mai 1841 ayant placé sur la même ligne les travaux militaires non urgents et les travaux de la marine impériale, on peut, pour ces derniers travaux, voir ce que nous avons dit à l'occasion des premiers, nos 1018 et suivants.

1065. Nous ne pouvons partager une opinion émise dans un ouvrage, d'ailleurs fort estimable. On lit dans le Dictionnaire des travaux publics de M. Tarbé de Vauxclairs : « Il reste dans la loi de 1833 (et celle de 1841 n'y a apporté aucune modification) une lacune fâcheuse pour les travaux de la marine royale, en cas d'expropriation forcée. Les réserves mentionnées au § 1er de l'art. 66 sont textuellement applicables aux seuls travaux des fortifications, pour lesquels, en effet, la loi nouvelle se réfère en ce point à la loi du 30 mars 1831, qui ne concerne que les travaux du génie militaire; et, comme l'art. 65 porte que les formalités prescrites par les titres Ier et II de la loi de 1833 ne sont pas applicables aux travaux de la marine royale, et qu'aucune disposition ne porte qu'on leur appliquera la loi exceptionnelle de

1831, les travaux de la marine semblent devoir demeurer, à cet égard, sous la loi commune de 1810: or cette loi de 1810 est abrogée par l'art. 67 de la loi de 1833; il faudrait donc recourir à la loi de 1807, ce qui ne serait pas moins contraire à la volonté présumée du législateur. Que faut-il donc conclure de ce qui précède? C'est que l'on a eu l'intention d'étendre aux travaux de la marine royale les dispositions exceptionnelles de la loi de 1831; mais on a omis de le dire. Jusqu'à ce que cette omission soit réparée, ce sera un beau champ de controverse pour les avocats » (v° Expropriation, p. 265).

Le législateur a-t-il réellement voulu appliquer aux travaux de la marine impériale la loi exceptionnelle de 1831 ? Nous ne le croyons pas. Il n'a pas été dit un mot dans la discussion qui permette de supposer cette intention aux rédacteurs de la loi, ni aux membres des deux Chambres, et certes le texte de l'art. 76 n'autorise nullement, on le reconnaît, cette application. Il n'y a d'ailleurs en cela rien de regrettable pour le ministère de la marine, car un des hauts fonctionnaires de l'administration, très-versé assurément dans cette partie de notre législation, n'a pas voulu appliquer aux routes stratégiques cette législation exceptionnelle de 1831, malgré la faculté que lui en donnait la loi du 27 juin 1833. Il a déclaré que la loi du 7 juillet 1833, avec les modifications établies par l'art. 65, offrait plus de célérité et d'avantages pour l'administration (Cir. dir. gén. ponts et ch.): or, les mêmes avantages existent pour la marine impériale, d'après le § 1o de l'art. 75 de la loi du 3 mai 1841, qui n'applique pas aux travaux de la marine la loi de 1810, ni celle de 1807, comme on le suppose dans l'article que nous combattons, mais les laisse sous l'empire de la loi du 3 mai 1841, en les dispensant toutefois des formalités des titres Ier et II de cette loi, comme les travaux militaires non urgents.

1066. La Cour de cassation a jugé, le 22 décembre 1834, que, si dans les art. 10, 13 et 57, de la loi du 7 juillet 1833, là dénomination de préfet doit s'entendre du préfet civil dans le plus grand nombre des cas d'expropriation pour cause d'utilité publi que, cependant le préfet maritime avait manifestement qualité pour tenter des conventions amiables, dont l'effet serait de prévenir l'expropriation, et, à défaut de ces conventions, de mettre en action le ministère du procureur impérial, lorsqu'il s'agit d'expropriations pour travaux utiles au service de la marine, et que l'intervention légale du procureur impérial, magistrat incontestablement civil, suffisait en pareille occasion pour fonder

la compétence du tribunal, et pour absoudre son jugement de tout reproche d'incompétence ou d'excès de pouvoir (1). Le demandeur en cassation soutenait que l'expropriation avait été illégalement provoquée par le préfet maritime, qui, d'après nos lois, disait-il, n'est qu'un chef, un administrateur militaire, non investi d'aucuns droits ni attributions contre la propriété des citoyens. Mais en essayant des arrangements amiables, et, à défaut, en transmettant au procureur impérial les pièces nécessaires pour requérir l'expropriation, le préfet maritime ne faisait point un acte d'administration publique : il gérait les affaires du ministère de la marine; on ne pouvait lui refuser des droits qu'ont même les concessionnaires de travaux publics.

CHAPITRE XX.

DE L'APPLICATION DE LA LOI DU 3 MAI 1841

AUX LÉGISLATIONS SPÉCIALES.

1067. La loi du 3 mai 1841 régit tous les cas d'expropriation.

1067. La loi du 3 mai 1841, étant destinée à remplacer celle du 7 juillet 1833, qui elle-même avait succédé à celle du 8 mars 1810, l'art. 77 de la loi nouvelle déclare que les deux autres sont abrogées. L'art. 67 de la loi du 7 juillet 1833 portait : « Les dispositions de la présente loi seront appliquées dans tous les cas où les lois se réfèrent à celle du 8 mars 1810. >> Cette disposition avait été introduite dans la loi de 1833 sans que l'on exposât les motifs de cette addition, et elle a été retranchée de la loi de 1841 sans qu'il ait été donné aucune explication à l'appui de cette suppression. Nous croyons que cela tient à ce que tout le monde a reconnu que les lois nouvelles remplacent nécessairement celles qu'elles abrogent, et que, par suite, les dispositions de la loi nouvelle doivent être appliquées dans tous les cas où des lois se référaient à la loi abrogée. Il n'y avait pas plus

(4) Dall. 35.4.442; S. 35.1.172.

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