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735. On paraît croire qu'en cas d'expropriation les créanciers et autres tiers intéressés sont mis doublement en demeure, d'abord par l'avertissement énoncé en l'art. 6 (art. 21, § 2), puis par les publications prescrites par le § 1o de l'art. 15, et l'on s'étonnera peut-être qu'en cas de traité amiable, cette double mise en demeure ne soit pas également exigée. Aussi, la commission de la Chambre des pairs avait-elle demandé et fait admettre que les traités amiables, pour jouir du bénéfice de la loi du 3 mai 1841, devraient intervenir postérieurement au dépôt des plans; mais la Chambre des députés repoussa ce système, ainsi que nous l'avons rappelé ci-dessus, no 726.

Il faut d'ailleurs remarquer que cette première mise en demeure n'est guère de nature à éveiller l'attention des créanciers et autres tiers intéressés. L'avertissement prescrit par l'art. 6 se borne à annoncer le dépôt d'un plan parcellaire dans la commune, sans rappeler les noms des propriétaires dont les immeubles y sont indiqués; d'ailleurs, à l'époque de cet avertissement, on ne sait pas encore d'une manière certaine quels immeubles devront être cédés pour l'exécution des travaux. Une publication aussi vague ne peut guère être utile aux créanciers hypothécaires; aussi n'est-ce pas dans leur intérêt qu'elle a été prescrite. Par suite, on a pu la supprimer sans leur causer aucun préjudice. Cependant, en fait, la plupart des traités amiables n'interviennent que postérieurement à l'annonce du dépôt du plan parcellaire.

736. Le prix de la vente n'a cependant été réglé qu'entre l'administration et le vendeur, et, dans les ventes ordinaires, pour empêcher le préjudice qui pourrait résulter pour les créanciers hypothécaires d'un concert frauduleux, on permet à ces créanciers de faire une surenchère du dixième du prix, et de requérir la mise de l'immeuble aux enchères (C. Nap., 2183 et 2184). Mais il n'est pas possible de mettre aux enchères un bien qui doit nécessairement entrer dans le domaine public. « Si des inscriptions ont été prises, disait en 1833 M, Martin (du Nord), rapporteur de la Chambre des députés, de quelque nature qu'elles soient, il faut établir quels droits peuvent en résulter pour les créanciers. Les principes ordinaires veulent que tout créancier qui n'a pas concouru à la fixation du prix de l'immeutble sur lequel il a une hypothèque inscrite puisse surenchérir; mais ici la nature mème des choses s'oppose à l'exercice d'un droit de cette nature. La surenchère entraîne nécessairement une adjudication nouvelle, et comme il serait absurde qu'un autre

que l'État devint propriétaire du terrain exproprié, la surenchère est impossible, et le droit de l'exercer doit, par une disposition formelle, être dénié aux créanciers. Cependant un droit, aussi utile que la surenchère, mais plus conforme à la nature des choses, doit être réservé aux créanciers inscrits; nous vous proposons de les autoriser à ne pas se contenter de la valeur conventionnelle qui serait attribuée à la propriété, et à exiger que, dans tous les cas, la fixation de l'indemnité soit faite d'après les règles posées par la loi » (Mon., 27 janv. 1833, p. 211). Cette proposition fut admise en 1833, maintenue en 1841, et l'art. 17 de la loi du 3 mai porte : « Les créanciers inscrits n'auront, « dans aucun cas, la faculté de surenchérir; mais ils pourront « exiger que l'indemnité soit réglée conformément au titre IV, « c'est-à-dire par le jury spécial. >>

Il est évident que ce n'est pas la surenchère du dixième que le législateur a voulu proscrire, mais la mise en adjudication qui aurait été la conséquence de cette surenchère, comme l'a fait observer M. Martin (du Nord). Le § 3 de l'art. 17 a donc toujours été entendu comme s'il portait : « Les créanciers inscrits « n'auront, dans aucun cas, la faculté de mettre l'immeuble « aux enchères et adjudication publiques, mais ils pourront exiger « que l'indemnité soit fixée conformément au titre IV. » L'expression de surenchère a été alors employée comme synonyme de mise aux enchères ou mise en adjudication, parce que, d'après la loi du 7 juillet 1833, cette mise aux enchères n'aurait pu résulter que d'une surenchère d'un dixième faite à la suite de la notification aux créanciers inscrits, prescrite par l'art. 23 de cette loi. Nous verrons ci-après que depuis la loi du 3 mai 1841, la mise aux enchères pourrait être requise dans une autre circonstance, en vertu de l'art. 2169, C. Nap., et nous croyons que l'on devra alors, par application du § 3 de l'art. 17, substituer à cette mise aux enchères le règlement de l'indemnité par le jury.

737. Les créanciers font très-rarement usage de ce droit. Les propriétaires ne sont pas dans l'habitude de se contenter d'une indemnité inférieure à celle qui leur est légitimement due. On ne peut supposer d'ailleurs une connivence entre le vendeur et le préfet, pour dissimuler une partie du prix aux créanciers inscrits, et le payer ensuite, de la main à la main, au vendeur. De telles manœuvres sont même presque impossibles de la part des agents d'un concessionnaire, obligé de rendre un compte rigoureux de ses dépenses à ses associés. Les registres de la

société donneraient la preuve de la fraude, et une fraude qui pourrait être si facilement découverte n'exige aucune mesure particulière de répression.

738. Dans quel délai les créanciers inscrits sont-ils tenus de requérir le règlement de l'indemnité par le jury? L'art. 28 de la loi du 7 juillet 1833 avait textuellement prévu cette difficulté, et déclarait que c'était dans la quinzaine de la notification qui leur était faite de l'acceptation des offres par le propriétaire. Mais cette disposition ne se trouve plus dans l'art. 28 de la loi du 3 mai 1841, parce que l'on a supprimé les notifications aux créanciers inscrits. De là quelque incertitude sur le délai dans lequel les créanciers devront faire connaître leur intention. Lorsque le dernier projet de loi fut porté pour la seconde fois à la Chambre des pairs, la commission remarqua l'incertitude qui régnait à cet égard dans le projet. M. le comte Daru dit dans son second rapport: « Voilà les créanciers connus; il faut leur donner les moyens d'exercer leurs droits...., les mettre en demeure de réclamer, quand ils le jugeront convenable, le règlement de l'indemnité par le jury. Alors même que le propriétaire aurait traité amiablement, il faut qu'ils puissent s'opposer à l'exécution du contrat. C'est ce qui remplace pour eux le droit de surenchère qui leur est enlevé. Ce pouvoir leur est assuré par le dernier paragraphe de l'art. 17, qui porte : « Les créanciers.... pour«ront exiger que l'indemnité soit fixée conformément au « titre IV. » Maintenant, comment profiteront-ils du pouvoir que cet article leur confère? Comment seront-ils prévenus des faits qui se passent entre leur débiteur et l'administration? La loi ne stipule rien à cet égard lorsque les conventions interviennent avant le jugement d'expropriation; elle statue lorsque les conventions de ce genre sont au contraire postérieures au jugement. Dans le système de 1833, on exigeait des notifications individuelles faites à tous les créanciers inscrits. Vous avez avec raison, messieurs, remplacé ce mode d'avertissement, qui entraînait des formalités trop longues et trop coûteuses, par des avis collectifs et des publications faites dans des formes déterminées... » (Mon., 20 avril 1841, p. 1042).

'Il ne faut pas, selon nous, prendre à la lettre cette déclaration de M. le rapporteur, que la loi ne stipule rien sur ce point, lorsque les conventions interviennent avant le jugement d'expropriation, ce qui est le cas dont nous nous occupons en ce moment. S'il y avait eu réellement une lacune absolue sur ce point, la commission n'eût pas manqué de proposer un amendement des

tiné à réparer cet oubli; or, elle n'en a proposé aucun dans ce but. La commission a donc uniquement voulu dire que la loi, ce qui est réellement fâcheux, ne statuait pas en termes exprès sur cette question. Mais elle y statue indirectement par les dispositions combinées des art. 15, 16, 19 et 21. M. le comte Daru reconnait lui-même que l'on a remplacé les notifications directes aux créanciers par des avis collectifs. C'est donc au moyen de ces avis collectifs que l'administration met les créanciers inscrits en demeure de déclarer s'ils exigent que l'indemnité soit fixée par le jury, et l'art. 21 dit clairement que leur déclaration doit alors avoir lieu dans la huitaine qui suit les publications. A l'expiration de ce délai, l'administration doit connaître tous les obstacles qui s'opposent au paiement du prix.

739. Tout créancier hypothécaire ou privilégié qui se fait connaître à l'administration empêche par là que l'indemnité ne puisse être payée au préjudice de ses droits. S'il craint en outre que le règlement de cette indemnité ne soit fait d'une manière préjudiciable à ses intérêts, il peut demander que l'indemnité soit réglée par le jury: c'est un droit que l'art. 17, § 3, de la loi du 3 mai lui reconnaît formellement; mais il faut qu'il énonce cette intention dans sa notification.

Les créanciers qui ne sont pas intervenus dans le délai de huitaine ne sont pas complétement déchus de leurs droits, Jusqu'à l'époque du paiement, ils peuvent former opposition sur le prix, ce qui oblige l'administration à en opérer la consignation. Quand cette consignation a eu lieu, le montant de l'indemnité est ultérieurement distribué entre tous les ayants droit, selon les règles du droit commun (art. 54), sans distinction entre les créanciers qui se sont fait connaître à l'administration dans le délai de huitaine après les publications, et ceux qui n'ont pas rempli ces formalités.

740. Sous l'empire de la loi du 7 juillet 1833, la purge des hypothèques entraînait des lenteurs et des dépenses assez considérables, parce qu'il fallait prendre un état des inscriptions existant sur le vendeur et sur les précédents propriétaires, et notifier un extrait du contrat à tous les créanciers inscrits. Ces formalités étaient d'ailleurs à peu près sans utilité, parce qu'il est excessivement rare qu'un créancier prétende à une indemnité plus élevée que celle qui a été fixée entre fe propriétaire et l'administration. Cependant un avis du comité des finances du Conseil d'État, du 10 mars 1837, portait : « qu'aux termes de la loi du 7 juillet 1833, l'administration ne pouvait se dispenser

d'accomplir les formalités établies par cette loi pour la purge des hypothèques, et que, par suite, tout paiement de ces indemnités qui ne serait pas justifié par l'accomplissement de toutes les dispositions prescrites constituerait une violation de la loi. >>

Pour éviter les retards et les frais que nécessitaient les diverses formalités exigées par la loi de 1833, à peu près sans utilité pour personne, le Gouvernement a proposé et fait adopter en 1841 la disposition suivante, qui forme le § 2 de l'art. 19: « Ce« pendant l'administration peut, sauf les droits des tiers et sans « accomplir les formalités ci-dessus tracées, payer le prix des « acquisitions dont la valeur ne s'élèverait pas au-dessus de « 500 francs. »

Ainsi, pour les indemnités supérieures à 500 fr., les formalités nécessaires à la purge des hypothèques doivent toujours avoir lieu. «Si l'opinion contraire était admise, a dit M. Barthe, premier président de la Cour des comptes, je demanderais qu'on retranchât la restriction à 500 fr., qui ne serait plus qu'une dérision, puisque, dans tous les cas, l'administration pourrait se dispenser de ces formalités (Mon., 7 mai 1840, p. 940).

Du reste, le législateur n'a pas dit que l'administration ne remplirait jamais les formalités hypothécaires pour les indemnités qui n'excéderaient pas 500 fr. Il s'est borné à repousser le système admis en 1837 par le comité des finances du Conseil d'État, en laissant à l'administration la faculté de se dispenser de la purge quand elle jugera que ce parti est préférable. L'administration peut d'ailleurs remplir une partie des formalités hypothécaires et négliger les autres. Elle peut, par exemple, demander un certificat indiquant les hypothèques qui existent, et ne pas faire les publications, affiches et insertions nécessaires pour mettre en demeure les créanciers qui ne sont pas encore incrits.

741. Deux motifs, comme nous venons de le dire, avaient porté l'administration à solliciter la faculté de se dispenser des formalités de purge pour les indemnités peu élevées; l'obligation de prendre l'état des inscriptions existant sur le vendeur et sur les précédents propriétaires, puis celle de notifier un extrait du contrat à tous les créanciers inscrits. Par suite de modifications introduites dans la loi du 3 mai 1841, l'administration est maintenant dispensée, tant en cas d'expropriation qu'en cas de traité amiable, des notifications aux créanciers inscrits, et on croyait qu'elle était aussi dispensée de demander l'état détaillé des inscriptions prises ou renouvelées par tous ses créanciers.

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