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LE PIN SYLVESTRE RACE D'AUVERGNE

Je n'ai pas l'intention de traiter, ni même d'effleurer cette intéressante question botanique des «< races » végétales; je me borne à rappeler en commençant que, en ce qui concerne le pin sylvestre, tous les forestiers sont unanimes à admettre un grand nombre de races distinctes, simples variétés botaniques, qui ont une importance capitale au point de vue pratique du reboisement parce que leurs exigences climatiques ou autres sont un peu spéciales, et surtout parce que leur port, très différent suivant les races, les rend plus ou moins propres à tel ou tel

usage.

Nul n'ignore que la race dite de Haguenau, avec ses branches étalées et ses cimes amples, n'a ni les mêmes exigences culturales ni la même valeur marchande que d'autres races à cime plus étriquée, à fût plus rectiligne, telles que les races de Riga et d'Auvergne. C'est cette simple constatation qui fait augmenter de plus en plus la demande de graine de pin d'Auvergne. Plusieurs grandes maisons de commerce, tant étrangères que françaises, ont établi des sécheries dans le centre de la France, suivant en cela de loin l'exemple donné il y a plus de 30 ans par l'administration des forêts quand elle a fondé la sécherie de Murat.

Les graines provenant d'Auvergne ont en général une remarquable valeur germinative; mais je voudrais prémunir l'Etat et le commerce contre un grave danger, celui de livrer à la consommation sous le nom de pin d'Auvergne des graines d'une autre race très différente du pin d'Auvergne type, et très inférieure à celle-ci.

Je rappelle tout d'abord que la vraie race d'Auvergne est exclusivement cantonnée sur les sols siliceux (schistes cristallins, gneiss ou granit). A d'autres sols correspondent d'autres races, même en Auvergne; et c'est sur ce point spécial que je désire attirer l'attention.

Ainsi, en Auvergne, le pin sylvestre qui a crû sur le basalte, roche riche en chaux, n'offre déjà plus le facies classique. Si on le compare au type, on trouve que la cime est plus étalée, que l'importance des branches semble plus grande, que le port général est moins fusiforme, que l'arrêt de l'allongement en hauteur semble venir plus tôt. Bref, malgré la richesse agricole incontestable des sols volcaniques, la végétation du pin sylvestre y est souvent un peu moins belle que sur les terres maigres et potassiques des roches cristallines siliceuses; peut-être est-ce

l'excès d'humidité des sols basaltiques qui contribue pour sa part à ce résultat.

Mais les pins crûs sur sol volcanique sont encore une belle et bonne race; on ne peut en dire autant de ceux qui ont poussé sur les calcaires secs et les dolomies rocheuses de la région des «< causses » de la Lozère. Là c'est toute autre chose.

On peut voir dans les cantons de Chanac, la Malène, le Massegros et la Çanourgue de vastes étendues de dolomies jurassiques criblées de trous, de grottes, d'avens, et formant, comme on l'a dit en termes pittoresques, le << pays de la soif », pays où toute eau pluviale est bue par les fissures du roc, où toute végétation, déjà déprimée par la sécheresse, est battue par des vents. violents.

Sur ces rocs arides pousse une race spéciale de pin sylvestre, race qui s'est pliée et adaptée aux dures exigences de la vie végétale sur un sol qui manque de profondeur, d'humus et de fraîcheur. Là on voit des pins de cent ans, guère plus gros que des buissons, agrippés par leurs racines aux fentes des rochers, vivant à peine, mais ne mourant pas ; survivant malgré tout aux multiples causes de mort qui les assaillent, sécheresses prolongées, vents violents, invasions de chenilles processionnaires, pâturage intensif, absence de sous-bois feuillu pour couvrir le sol. Que peut-on espérer trouver dans de pareilles conditions de vie, si ce n'est une race abâtardie et des arbres à cime basse étalée affectant assez souvent la forme de pommiers?

Il est évident que reboiser avec une race pareille et répandre ainsi au loin des pins-avortons serait une grave faute forestière. Elle a été commise malheureusment sur une très grande échelle, de 1877 à 1885, par le service forestier, et elle semble devoir être recommencée aujourd'hui le commerce. Je m'explique, et je cite des faits :

même

par

De 1878 à 1885, de vastes étendues de terrain granitique (plus de 1000 hectares) furent semées dans le périmètre de la Cèze (Gard) avec des graines provenant de la sécherie de Mende. Les peuplements ainsi créés, aujourd'hui âgés de plus de vingt ans, présentent la plus chétive apparence arbres rabougris, flèche terminale mal formée, cônes abondants et petits, aiguilles très courtes (etc.) Au milieu de ces gaulis se dresse çà et là un pied d'Auvergne, droit, vigoureux, élancé, avec sa pousse terminale allongée garnie d'aiguilles longues, vrai « type » du pin d'Auvergne. C'est la preuve que la qualité du sol n'est pas en jeu, et que la cause première du rabougrissement des autres pins doit être cherchée en eux-mêmes.

Or, après enquête et vérification, on a constaté que les graines d'où

provenaient ces peuplements rabougris provenaient de fournitures de cônes venues du « causse de Sauveterre », à 15 kil. ouest de Mende. Les récolteurs de cônes trouvaient plus aisé et plus profitable de cueillir les pommes de pin sur les arbres branchus rabougris et bas du causse, plutôt que d'avoir à escalader les cimes élancées et étriquées des pins des forêts granitiques du haut Gévaudan. Renseignements pris, il paraît qu'un cueilleur peut récolter dans le même temps presque deux fois plus de cônes sur les arbres bas et isolés du causse que sur les cimes élevées des arbres fusiformes des forêts du pays siliceux.

Il faut voir dans ce fait seul la raison économique de la prépondérance relative des cônes du causse sur ceux de la montagne dans les fournitures de l'ancienne sécherie domaniale de Mende. Ces faits furent signalés en leur temps, des ordres furent donnés ; et dans les dernières an nées de son existence la sécherie de Mende ne livra plus que d'excellentes graines de la vraie race d'Auvergne, à l'exclusion absolue de la race des Causses.

Mais aujourd'hui les mêmes raisons de cueillette économique ont fait revivre les vieux errements. Dans une tournée en Lozère j'ai pu constater que la région des sols dolomitiques du Causse de Sauveterre est de nouveau le centre d'un actif commerce d'exportatión de cônes qui sont embarqués en chemin de fer et expédiés au loin vers les sécheries.

J'estime qu'il convient de mettre en garde le commerce des graines forestières, et je résume ma trop longue communication en disant :

1° Que les pins sylvestres nés sur sol calcaire ou dolomitique constituent une race bien distincte et peu intéressante au point de vue des produits, race qu'on devrait désigner sous le nom de race des Causses;

2o Que les meilleurs et les plus beaux échantillons de la vraie race d'Auvergne croissent sur les sols siliceux de schiste, gneiss ou granite; 3° Que répandre dans le public la graine de pin des Causses sous le nom de pin d'Auvergne constitue une erreur et une faute.

G. FABRE.

BUDGET DE L'EXERCICE 1904

SERVICE DES EAUX ET FORÊTS

CHAMBRE DES DÉPUTÉS

Séance du 10 novembre 1903

4 PARTIE. FRAIS DE RÉGIE, DE PERCEPTION ET D'EXPLOITATION

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DES IMPÔTS ET REVENUS PUBLICS

M. le président. - << Chap. 47.

dans les départements, 2,505,000 fr. »

Personnel des agents des eaux et forêts

Il y a, sur ce chapitre, un amendement de MM. Gellé, Georges Cochery, Achille Adam, Babaud-Lacroze, G. de Beauregard, Bellier, Joseph Brisson, Cadenat, Camuzet, Catalogne, Charruyer, Coache, Compayré, Darblay, Alban David, Henri David, Disleau, Dufour, Engerand, Fabre, le baron Gérard, Gauvin, Godet, Gouzy, Jumel, de Laurens-Castelet, Lesage, Mill, Pajot, Péret, Pichery, Rabier, Ragot, Raiberti, de Saint-Martin, Savary de Beauregard, Suchetet, Vazeille et Videau. Cet amendement tend à augmenter le crédit de 100 fr.

M. Suchetet. J'ai demandé la parole sur le chapitre, monsieur le président.

M. le président.
M. Suchetet.

Vous l'aurez après que l'amendement aura été discuté. Je prie M. Cochery de me céder son tour de parole et je demande la parole sur l'amendement.

--

M. le président.
M. Suchetet.

-

Alors la parole est à M. Suchetet. (Mouvements divers.) Messieurs, ne murmurez pas, l'heure est trop avancée pour entamer une longue discussion, aussi je serai aussi bref que possible. A la suite du vote par le Parlement de la loi du 30 juin 1903 autorisant M. le Président de la République à ratifier et, s'il y a lieu, à faire exécuter la convention internationale pour la protection des oiseaux utiles à l'agriculture, M.le ministre de l'Agriculture a pris des dispositions pour faire exécuter cette convention, et a envoyé à ce sujet des instructions très sévères à MM. les préfets. M. le comte de Lanjuinais. Il ne pouvait pas faire autrement !

M. Suchetet. Ne parlez pas si vite, mon cher collègue, vous verrez au cours de la discussion qu'il pouvait agir autrement.

Aux termes de cette convention, certains oiseaux qui figurent dans la liste et qui sont considérés comme utiles à l'agriculture doivent jouir d'une protection absolue; quant aux pièges, aux filets, aux engins divers destinés à capturer en masse les oiseaux, ils sont et demeurent prohibés.

A la suite de ces instructions, les préfets, au moins M. le préfet de la SeineInférieure et les préfets de biens d'autres départements, je crois...

A droite. Le Maine-et-Loire ! l'Indre ! les Deux-Sèvres ! le Calvados! la Somme !

M. Suchetet... ont pris des arrêtés interdisant la chasse à l'étourneau en

tout temps, même au fusil, et la chasse à l'alouette; tout au moins on n'a autorisé cette chasse qu'au miroir.

M. le comte de Lanjuinais. — C'est très suffisant.

M. Suchetet.Cesinstructions,qui n'ont été tempérées par aucune clause, portent un préjudice notable aux populations du littoral de la Seine-Inférieure, du Calvados, de la Somme et d'autres départements.

En effet, aux mois d'octobre et de novembre, quand arrive la mauvaise saison, que le chômage se fait sentir, un grand nombre d'ouvriers s'adonnent à la capture de l'étourneau et de l'alouette, au moyen de filets pour l'étourneau et de lacets, appelés laçons, pour l'alouette. C'est même là une très grande ressource pour les familles des ouvriers et des prolétaires. Applaudissements à droite.)

M. le comte de Lanjuinais. C'est l'organisation du braconnage!

M. Fernand Engerand..

perdrix avec ces filets!

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En aucune façon ! on ne peut pas prendre des

A gauche. C'est possible; mais on prend beaucoup d'autres petits oiseaux. M. Suchetet. Ainsi l'arrêté qui a été pris par M. le préfet de la SeineInférieure a porté la désolation dans beaucoup de familles. Des ouvriers se trouvent privés de leur gagne-pain habituel ; c'est le désarroi parmi eux, Cependant de tout temps, et même avant la Révolution, paraît-il - je ne remonterai pas cependant aussi loin des tolérances avaient été accordées pour la capture des oiseaux dont je parle. En 1885, le ministre de la Justice répondait dans un sens favorable aux instructions demandées par le procureur général concernant les chasses en question. Des poursuites commencées pour ce fait contre des individus furent abandonnées.

Dans le journal du département (Rouen, 23 août 1893), on lit que les agents verbalisateurs en matière de chasse sont avisés que l'emploi de filets, lacets et appeaux est autorisé pour la chasse à l'étourneau ainsi que l'emploi des lacets de crin à un seul crin pour la capture de l'alouette lulu. En outre, le Journal de Fécamp dit que, dans sa session d'avril 1891, le conseil général de la SeineInférieure, après enquêtes très sérieuses, considérant le préjudice très grave que cause aux populations du littoral l'interdiction de la chasse aux alouettes et à l'étourneau, avait décidé que la chasse de ces oiseaux faite au filet et au lacet serait tolérée comme elle l'a toujours été le long du littoral de la mer.

Je n'ai pu vérifier cette assertion, qui doit cependant être fondée. Mais je puis dire qu'en 1882, à la session d'avril, après avoir classé l'alouette comme oiseau de passage, on avait émis un vœu favorable à une proposition déposée en faveur des communes du littoral intéressées à la chasse de cet oiseau, vœu qui a été renouvelé cette année à la session d'août sur la demande de M. Raoul Ancel.

Je rappellerai aussi que, le 17 novembre 1885, notre éminent président, M. Bourgeois, alors ministre de l'Intérieur, annonçait qu'il allait inviter les préfets à introduire dans leurs arrêtés une disposition autorisant la capture desdits oiseaux « sans aucune restriction », et M. le préfet de la Seine-Inférieure faisait bientôt après, en septembre 1896, publier un arrêté spécial autorisant du 15 octobre au 15 novembre la destruction de l'alouette au moyen de filets dits « nattes >>.

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