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MÉMOIRES

Pour servir à l'histoire des communes du département.

CHABLIS.

HABLIS, autrefois Cableia, Chaplies, nom formé de deux mots celtiques, cab, habitation; leya, laya, bois, (sous-entendu près), habitations près des bois.

Province de Champagne, diocèse de Langres, coutume de Sens, bailliage de Villeneuve-le-Roi, élection de Tonnerre, franc-aleu.

IXE SIÈCLE.

Cette ville,qui faisait anciennement partie du pagus de Tonnerre, paraît pour la première fois dans l'histoire, au milieu du IXe siècle. Les moines de l'abbaye de St.-Martin de Tours fuyant, en 854, les ravages des Normands avec ce qu'ils avaient de plus précieux, vinrent se réfugier à Chablis, apportant avec eux le corps de leur patron Saint-Martin le grand apôtre des Gaules. Ce lieu, appelé Cella Capleiæ, dépendait alors du fisc et les revenus en étaient perçus au profit du Roi. Charles-le-Chauve, célébrant les fêtes de Noël à Auxerre l'an 867, en fit don à l'abbaye de St.-Martin de Tours avec toutes ses dépendances, tant dans le pagus de Tonnerre, que dans ceux d'Avallon et d'Autun: églises, maisons, biens ruraux et serfs des deux sexes y habitant etc. (1). Il est à présumer que cette cella, dédiée à St.-Loup, comme nous l'apprend la charte de Charlesle-Chauve, avait été, comme beaucoup d'autres monastères ruinés par les guerres, réunie au fisc par suite de la dispersion des moines qui l'habitaient, et que jusqu'alors elle n'avait pas encore été rendue à l'autorité religieuse.

La grande vénération que les Rois de France avaient pour St.-Martin, regardé à juste titre comme un des fondateurs de la civilisation chrétienne dans les Gaules, nous explique pourquoi Charles-le-Chauve fit don de Chablis aux religieux de l'abbaye fondée en son nom. Dans ce temps surtout, où les monastères n'étaient pas en aussi grand nombre qu'ils le

(1)... .Quamdam fisci nostri cellam nomine Capbleiam in pago Tornadrinsi super fluvium Sedane sitam in honore Sancti Lupi confessoris dedicatam..... Cella était une habitation de moines. (Ex Tabulis Sancti Martini Turonensis, aux archives de l'Yonne.)

furent plus tard, nos Rois regardaient leur propagation comme un des devoirs attachés à leur dignité, et c'était aussi un acte de bonne politique, car c'est aux colonies de moines qu'on doit la conservation des richesses intellectuelles et le défrichement d'une grande partie des campagnes restées désertes depuis les invasions des barbares à la chute de l'Empire romain.

Il est bien difficile de savoir quelle importance avait Chablis dans ces temps reculés. Il existait, sans aucun doute, au même lieu qu'aujour d'hui, et je suis porté à croire que la villa comisiacus, dont parle un précepte de Charles-le-Simple (1), comme faisant partie de la cella de Chablis, était également à l'endroit où subsiste encore l'église dédiée à St.-Cosme et bâtie au XIIe siècle à l'extrémité du faubourg St.-Pierre. Quoi qu'il en soit, les moines de St.-Martin, possesseurs de Chablis, y établirent un monastère, placèrent à sa tête un prévôt ayant pleine autorité et souveraine puissance, ne relevant que de l'église-mère de St.-Martin de Tours qui ne dépendait que du St.-Siège. Ils lui attribuèrent une partie des biens qu'ils possédaient à Chablis, se réservant la propriété du reste. Ce prévôt conserva jusqu'à la fin du XVIIIe siècle l'exercice de la haute justice à Chablis ; il en céda cependant une partie dans le XIVe siècle au sire de Noyers. Il est rare de voir dans l'histoire un pouvoir judiciaire féodal maintenir ses droits pendant tant de siécles sans presqu'aucune atteinte. L'affranchissement des communes qui détruisit ou mina tant de justices seigneuriales fut presque nul en ce sens à Chablis. Il est vrai que le gouvernement religieux, moins tyrannique que celui des nobles guerriers, dut laisser dès son établissement plus de liberté aux serfs et que leur affranchissement dut éprouver par conséquent moins d'obstacles.

Xe-XIIIe SIÈCLE.

Les comtes de Champagne, issus de la 2e race royale de France, devenus possesseurs du comté, succédèrent également aux Rois dans le devoir de protection que ceux-ci remplissaient envers l'abbaye St.-Martin en ce qui concernait la prévôté de Chablis. L'advouerie c'est-à-dire la charge de protéger le monastére de Saint Martin de Chablis contre les insultes des ennemis, ainsi que tout ce qui lui appartenait, aussi bien que les habitants qui demeuraient sur ses terres fut donc dévolue à ces barons pendant les Xe, XIe et XIIe siècles. Ils remplirent ce devoir qui était pour eux absolument obligatoire puisque Henri comte de Troyes en 1151 déclare formellement qu'il ne peut se décharger de cette fonction sur personne. Une autre preuve

(1) Anno 902 (Archives de Saint-Martin de Tours.)

que ce devoir leur était personnel se voit par la déclaration que fait Louis VIII, en 1220, en prenant Chablis sous sa garde que c'est à cause des guerres et sans nuire aux droits des comtes de Champagne (1). L'influence de cette avouerie devait surtout se faire sentir dans ces temps où le pouvoir royal, encore faible, luttant contre les suzerainetés féodales, avait peine à défendre le peuple des atteintes de despotisme auxquelles se livrait souvent la noblesse.

A cette charge de l'avouerie étaient attachées plusieurs prérogatives. Les habitants de Chablis devaient serment de fidélité au comte, celle due au prévôt toutefois réservée. Ils devaient accompagner le comte pour les affaires de la ville, sous peine de 60 sous d'amende, à moins d'excuse légitime, ou qu'il voulût les mener si loin qu'ils ne pussent revenir le même jour à Chablis. Il avait aussi droit de gîte.

Dans un réglement du XIIIe siècle, des droits de l'abbaye SaintMartin et de son prévôt de Chablis avec le comte de Champagne et le seigneur de Noyers son vicaire, les droits de cette charge sont plus détaillés que précédemment ainsi que ceux du prévôt; je crois bien faire d'en rapporter quelques articles qui feront connaître aussi comment se distribuait en ce temps la justice.

«La villa de Chablis appartient à Saint-Martin de Tours avec >> tout son territoire, ses revenus et ses églises. Tous les habi>> tants quels qu'ils soient sont justiciables du prévôt contre tous. >> Les laïcs, sans distinction des seigneurs auxquels ils appartien» nent, doivent féauté au comte de Champagne ou à son lieute»> nant; sauf la fidélité due à Saint Martin. Le Seigneur de Noyers » est viguier de Chablis. Il ne peut établir de viguier à sa place » qu'après avoir prêté serment de fidélité au prévôt qu'il gardera >> son corps et ses membres selon son pouvoir. Personne autre que » le prévôt n'a droit de remanentia (réclamer ses hommes) à Chablis » s'ils quittent la ville. Celui qui après un an de séjour à Chablis » se sera marié et se sera déclaré homme de Saint-Martin, celui-là » sera libre à l'égard de son ancien maître; ou bien celui qui » aura été absent de la ville pendant un an pourra se donner li>> brement à Saint Martin en y revenant ̧»、

Le Prévôt, dans bien des cas, se réserva l'exercice de la justice à l'égard surtout des hommes de Saint-Martin. Le viguier n'avait de droits que par son autorité. Il recevait les plaintes des hommes libres qui ne dépendaient pas du prévôt. Il mettait ses ordres à exécution et ne pouvait arrêter un habitant de Chablis sans sa permission. Si un homme

(1) Ex tabulis abbatiæ Sancti-Martini. (Archives de l'Yonne.)

de Saint-Martin avait commis un délit, le mayeur de Saint-Martin (1) l'arrêtait et le tenait en prison pendant une semaine à Chablis, sans pouvoir le conduire ailleurs; et si l'individu arrêté ne dépendait pas de Saint-Martin, le voyer ou viguier en avait la garde une semaine et le livrait ensuite au Prévôt

Le Roi, le comte de Champagne et le chapitre Saint-Martin de Tours avaient droit de gîte à Chablis, et tous les habitants devaient y contribuer selon leurs moyens, les serfs exceptés.

Tous les habitants, de quelque condition qu'ils fussent, étaient en la garde du comte de Champagne, et si quelqu'un leur causait dommage c'était à lui qu'il devait s'amender. Le Seigneur de Noyers n'avait aucun droit de justice dans le castrum de Chablis qu'on nommait le clastrum, ni sur les murailles, portes ou fossés, ni sur le ban de la rivière du Prévôt, ni sur la forêt de Beaumont appartenant au Prévôt, ni sur le territoire de Clamentele. Le droit de ban-vin et de vendanges, de crierie et de mesures appartenait au Prévôt.

On voit à travers tous ces détails de droits particuliers sortir un fait constant, c'est que le Prévôt conserve la haute justice sur tous les habitants de Chablis ; droit qui lui appartenait en vertu des chartes de nos Rois; et que le viguier ou voyer, qui représente ici l'advoué des siècles antérieurs, n'a qu'une espèce de juridiction inférieure subordonnée à celle du Prévôt. Il y avait cependant des émoluments attachés à cette charge car les comtes de Champagne l'inféodaient aux Seigneurs de Montréal et plus tard à ceux de Noyers.

Un autre réglement des droits du comte de Champagne à Chablis avec le Seigneur de Noyers son voyer, passé dans le même temps que le précédent nous apprend que les habitants de Chablis, quels qu'ils fussent, même les chevaliers et leurs fils qui étaient en âge, devaient prêter au comte serment de fidélité en cette forme: Je jure d'étre féal du comte et de le défendre en son honneur et son corps selon mon pouvoir, avec l'aide de Dieu, sauf la fidélité due à Saint-Martin.

Ils devaient, comme nous l'avons vu plus haut, l'accompagner pour les affaires de la ville pourvu toutefois qu'ils pussent rentrer dans le jour à Chablis.

Le comte possédait en commun avec le prévôt les fossés qui étaient à l'entour du castrum et ceux du bourg; les murs du château et la forteresse ainsi que la justice et les amendes en ce lieu.

(1) Ce mayeur était nommé par le chapitre Saint-Martin de Tours sur la présentation du Prévôt.

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