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prière et l'étude, il s'unit à Dieu d'une manière si intime, qu'il paraissait ne jamais perdre de vue sa présence. On admirait sa ferveur et sa ponctualité dans les moindres pratiques; il les ennoblissait par l'excellence et la pureté des motifs, et s'en faisait des moyens de parvenir à la perfection. I jeta dès lors les fondements de ces vertus qui formèrent depuis son caractère distinctif, de l'humilité, de la haine de lui-même, du mépris du monde, de la charité pour les pauvres, de l'amour de Dieu, et du désir de procurer sa gloire. Les plus bas emplois étaient ceux qu'il chérissait davantage; rien ne paraissait plus de son goùt que de servir à table et de balayer la maison. Il était au comble de la joie lorsqu'il avait l'occasion de faire les lits dans les hôpitaux et de panser les plaies des malades; et cela, il le faisait avec un épanchement de cœur qui montrait qu'il ne voyait que Jésus-Christ dans la personne des pauvres. Autant il avait de douceur pour les autres, autant il avait de dureté pour lui-même; ce qui faisait dire à ses compagnons qu'il était son propre persécu teur. Il n'accordait aucune satisfaction à ses sens; il les mortifiait au contraire dans tout ce qui eût été capable de les flatter. L'esprit de prière accompagnait toutes ses actions. Le feu qui le brûlait intérieurement rejaillissait jusque sur son visage. On le voyait souvent aux pieds des autels immobile et dans une espèce de ravissement. Il parlait de Dieu avec tant d'onction, qu'il le faisait aimer de tous ceux qui l'entendaient; ses discours ranimaient aussi la ferveur des plus tièdes.

Il fit ses vœux en 1618, après deux ans de noviciat. Ses supérieurs l'envoyèrent à Cahors pour qu'il y achevât sa rhétorique. L'année suivante, il alla à Tournon pour y faire

cours de philosophie. Persuadé que le propre des sciences en général est de dissiper l'esprit et de dessécher le cœur, il se précautionna contre cet écueil par de fré quentes visites au saint Sacrement, par de pieuses lectures et par la pratique du recueillement continuel; il avait soin aussi de s'unir souvent à Dieu par des aspirations dévotes.

Outre cela, il avait des temps marqués pour rentrer en luimême et pour examiner son intérieur. Sa fidélité à tous ses devoirs était si grande, que ses supérieurs ne le trouvaient jamais en faute, et on le désignait ordinairement sous le nom de l'Ange du collége.

Désirant avec ardeur de se former au ministère évangélique, et surtout l'instruction du peuple, il se chargea, du consentement de ses supérieurs, du soin d'apprendre les vérités du salut aux domestiques de la maison et aux pauvres de Tournon, qui à certains jours venaient recevoir les aumônes du collége. Les dimanches et les fêtes, il allait prêcher dans les villages qui sont autour de la ville. Il rassemblait les enfants avec une clochette, puis il leur expliquait les premiers principes de la doctrine chrétienne. Après ces premiers essais de son zèle, il entreprit la sanctification du bourg d'Andace; il en eut bientôt renouvelé la face. L'ivro- . gnerie, les jurements et l'impureté disparurent; le fréquent usage de la communion fut rétabli. Il y instituà a confrérie du saint Sacrement, et dressa lui-même les règlements de cette sainte pratique, qui depuis s'est répandue partout, mais dont il doit être regardé comme l'instituteur. Il n'avait alors que vingt-deux ou vingt-trois ans. Par son zèle et sa prudence, il vint à bout de régler les familles, d'accommoder les différends, de réformer les divers abus. Telle était l'autorité que lui donnait sa sainteté.

Son cours de philosophie étant fini en 1621, il fut chargé d'aller enseigner les humanités à Billom, puis à Auch, et enfin au Puy. Dans cet emploi il n'épargna aucune peine pour inspirer à ses écoliers l'application à l'étude et l'amour de la vertu. Il les aimait comme une mère aime ses enfants, et eux de leur côté l'écoutaient et le vénéraient eomme un saint. Dans leurs maladies, il leur procurait tous les secours quit lépendaient de lui, et il obtint par ses prières la guérison de l'un d'entre eux dont la vie était désespérée; mais il était surtout extrêmement sensible à leurs infirmités spirituelles. Ayant appris qu'un de ses écoliers avait commis un péché

grave, il en fut si vivement consterné, qu'il versa un torrent alarmes; il se recueillit ensuite quelque temps, et il leur ft à tous un discours si pathétique sur la sévérité des jugements de Dieu, qu'ils en farent saisis d'effroi, et plusieurs ont avoué depuis qu'ils éprouvaient encore les mêmes sentiments lorsqu'ils se rappelaient ce qu'il leur avait dit en cette occasion. Il se fit toujours un devoir capital de les édifier par sa conduite. Un profond recueillement, un extérieur humble et modeste, un certain air de pénitence peint sur son visage, inspirait l'amour de la vertu aux âmes les plus insensibles, et l'on reconnaissait partout les jeunes gens qui avaient été formés par ses mains. Pour intéresser le ciel au succès de ses travaux, i' passait toujours quelque temps aux pieds des autels avant que d'aller faire sa classe; il implorait aussi l'assistance des Anges tutélaires de ses disciples, afin que, par leur secours, ses peines et ses soins ne fussent pas inutiles. Tant de vertus avaient principalement leur principe dans l'union continuelle que Régis avait avec Dieu.

Pour s'entretenir dans l'esprit de ferveur, il ajoutait plusieurs pratiques de dévotion à celles qui lui étaient prescrites par sa règle. Il demandait souvent à son supérieur la permission de communier extraordinairement, et lorsqu'il l'avait obtenue, il faisait éclater sa joie par de vifs transports qui marquaient combien il désirait cette divine nourriture. Il se disposait toujours à la recevoir par des austérités secrètes et par des humiliations publiques. La nuit qui précédait sa communion, il en passait dans l'église une partie devant Jésus-Christ. Les dimanches et les fêtes, il instruisait les pauvres avec une onction qui lui faisait produire des fruits merveilleux; il savait aussi mêler dans les conversations les plus familières des choses qui portaient efficacement à la vertu.

Après avoir enseigné sept ans les humanités, tant à Billom qu'à Auch et au Puy, il commença ses études de théologie à Toulouse en 1628; il fit de rapides progrès, parce qu'il joignit un esprit excellent à un travail assidu. La crainte de

s'attirer des applaudissements le portait à chercher l'occasion de se rendre méprisable par des manières simples, et en contrefaisant l'ignorant. Lorsque les vacances étaient venues, il ne s'occupait point, comme les autres, à des plaisirs innocents; il se retirait seul dans des lieux écartés pour y converser avec Dieu pendant presque tout le jour. Chaque nuit, après avoir reposé quelque temps, il se levait, sortait secrètement de sa chambre, et allait prier dans la chapelle de la maison. Un de ses compagnons s'en étant aperçu, en avertit le supérieur, qui lui dit : « Ne troublez point les douces communications de cet ange avec son Dieu. Ce jeune homme est un saint, et je serai bien trompé si l'on ne célèbre pas quelque jour sa fête dans l'Église. »

Au commencement de l'année 1630, Régis eut ordre de se préparer à la prêtrise. Il s'éleva dans son cœur un combat occasionné par ses vertus. D'un côté, son humilité le rem→ plissait d'une sainte frayeur; de l'autre, le zèle du salut des âmes lui faisait désirer l'honneur d'être associé au nombre des ministres de Jésus-Christ. Ces divers sentiments l'inquié térent quelques jours; mais l'ordre réitéré de ses supérieurs, dans la volonté desquels il reconnaissait celle de Dieu, fit cesser ses agitations, et lui rendit le calme. Il se prépara donc à la réception des ordres sacrés par la retraite, le jeûne, la prière et un ardent désir de ne vivre que pour Dieu. L'obéissance ayant banni la crainte que son humilité lui avait inspirée, il soupirait après le bonheur d'approcher des saints autels, et il promit à son supérieur de dire trente messes pour lui parce qu'il avait fait avancer le jour de son ordination. Lorsqu'il eut reçu la prêtrise, il prit du temps pour se préparer, par la prière et la pénitence, à l'oblation du sainf Sacrifice. Il célébra sa première messe avec une si grande ferveur, qu'il ne fit que fondre en larmes pendant les sacrés Mystères. Ceux qui y assistaient ne purent eux-mêmes s'empêcher de pleurer; ils s'imaginaient voir un ange à l'autel, tant ils étaient frappés de la medestie et du feu divin qui brillait sur son visage.

La même année, la peste fit sentir ses ravages dans la ville de Toulouse. Régis regarda ce fléau comme une occasion que Dieu lui présentait d'exercer la charité. Il demanda à ses supérieurs la permission de se consacrer au service des pestiférés; ce qu'il obtint enfin après plusieurs instances réitérées.

L'année suivante, il fit une troisième année de noviciat, comme cela se pratiquait chez les jésuites au sortir du cours d'études; mais pendant qu'il travaillait dans la retraite à sa sanctification, il fut obligé d'aller à Foncouverte pour y régler quelques affaires de famille. En arrivant dans sa patrie, son premier soin fut de visiter les pauvres et les malades. Voici le genre de vie qu'il y mena. Le matin, il faisait le catéchisme aux enfants, et il prêchait au peuple deux fois par jour. Il recueillait les aumônes des riches, qu'il distribuait ensuite à ceux qui étaient dans le besoin. Dans les rues, il était toujours environné d'une troupe d'enfants et de pauvres. Il rendait à ces derniers les services les plus humiliants, ce qui attira une fois les insultes des soldats qui étaient en garnison à Foncouverte. Ses proches et ses amis iui firent à ce sujet de sévères réprimandes; mais Régis leur répondit que c'était par les humiliations de la croix qu'on devenait véritablement un ministre de l'Évangile, puisque Dieu s'était servi de ce moyen pour l'établir. Le mépris que l'on avait d'abord conçu pour sa personne se changea en admiration. Pour peu qu'on eût de discernement, on découvrait dans tout ce qu'il faisait cette sagesse divine qui n'a rien de commun avec la fausse sagesse du monde, et qui comble de joie ceux qui la possèdent, même quand sa simplicité est l'objet des railleries des hommes. Il vivait au milieu de ses proches dans un parfait détachement de toutes les choses sensibles, et il n'avait aucune ressemblance avec ces religieux qui, fante d'avoir l'esprit de leur vocation, cherchent des consolations terrestres dans le sein de leur famille.

Sa présence n'étant plus nécessaire à Foncouverte, il en partit pour se rendre au collège de Pamiers. On l'y envoyait pour y prendre la place d'un régent qui était tombé malade.

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