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taines conditions spécifiées dans l'article, et le Gouvernement de Sa Majesté est peiné d'avoir à dire que, bien que l'union du Royaume à l'Empire ait été maintenue, les conditions dont devait dépendre cette union n'ont pas été remplies par la Russie. L'Empereur Alexandre, en exécution des engagements contractés par le Traité de Vienne, a établi dans le Royaume de Pologne une représentation nationale et des institutions correspondant aux stipulations du Traité.

Il n'est pas nécessaire pour le moment que le Gouvernement de Sa Majesté fasse des observations sur la manière dont ces arrangements ont été mis à exécution depuis cette époque jusqu'à la révolution de 1830. Mais lorsque, par suite du succès des armes impériales, cette révolte eut été réprimée, les arrangements disparurent et un tout autre ordre de choses fut établi par l'autorité impériale. Le prince Gortschakoff soutient, comme l'ont fait avant lui tous ses prédécesseurs, que la suppression de cette révolte a affranchi la Russie de tous les engagements pris par elle dans le traité de Vienne, et a laissé au Czar la liberté de traiter le Royaume de Pologne comme pays conquis et de disposer des institutions du peuple selon son bon plaisir.

Mais le Gouvernement de Sa Majesté ne peut adhérer à une doctrine qui lui semble si contraire à la bonne foi, si destructive de l'obligation imposée les Traités, si fatale à tous les liens internationaux qui unissent ensemble la grande famille des États et des Puissances de l'Europe.

par

Si, en effet, l'Empereur de Russie avait possédé la Pologne comme faisant partie des provinces appartenant d'origine à sa couronne, s'il n'en eût dû l'acquisition qu'au succès seul de ses armes, et sans que nulle autre Puissance y eût attaché son adhésion, il aurait pu alors soutenir que cette conquête était équivalente à un droit, et, sans écouter les inspirations de la justice et de la générosité, il lui eût été permis de châtier la révolte temporaire d'une partie de ses sujets polonais en les dépouillant à jamais, eux tous et leurs descendants, des priviléges et des institutions que son prédécesseur avait jugé être essentiels au bonheur et à la prospérité du Royaume de Pologne; mais le Monarque russe est, vis-à-vis de ce royaume, dans une position tout à fait différente. Il le possède en vertu de la clause solennelle d'un Traité conclu par lui avec la Grande-Bretagne, l'Autriche, la France, la Prusse, le Portugal, l'Espagne et la Suède. La révolte des Polonais ne peut ni le délier des engagements contractés dans ces conditions, ni effacer les signatures par lesquelles ses plénipotentiaires ont conclu et lui-même a ratifié ces engage

ments.

La question était donc maintenant de savoir si les engagements que la Russie a contractés par le Traité de Vienne ont été et sont aujourd'hui fidèlement exécutés; le Gouvernement de Sa Majesté se croit, avec un profond regret, obligé de dire que c'est par la négative qu'il faut répondre à cette question. A l'égard de la révolte actuelle, le Gouvernement de Sa Majesté

s'abstient de qualifier le système d'action civile, politique et militaire, longtemps pratiqué par le Gouvernement russe dans l'intérieur de la Pologne, système dont les Polonais se plaignent si vivement, et qu'ils signalent comme étant la cause qui a occasionné et, selon eux, justifié leur insurrection.

Le Gouvernement de Sa Majesté préférerait faire allusion à la fin tant désirée de ces troubles déplorables. Quel sera, en définitive, le dénoûment de cette lutte? C'est ce qu'il n'appartient pas au Gouvernement de Sa Majesté de prédire. Mais, soit qu'en résultat l'insurrection s'étende davantage et qu'elle acquière des proportions dont on n'a point encore l'idée quant à présent, soit, comme cela est plus probable, que les armes impériales viennent à bout de triompher, il est clair, il est certain qu'aucun de ces résultats ne peut avoir lieu sans une épouvantable effusion de sang, un immense sacrifice d'hommes, un pillage général; il est évident que dût la Pologne être domptée et asservie, le souvenir des phases de la lutte continuera d'en faire l'ennemie invétérée de la Russie, et d'être une source de faiblesse ainsi que de dangers, au lieu d'être un élément de force et de sécurité.

Le Gouvernement de Sa Majesté conjure donc le Gouvernement russe de donner sa plus sérieuse attention à toutes les considérations ci-dessus exposées. De plus, le Gouvernement de Sa Majesté prie le Gouvernement impérial de considérer qu'outre les obligations imposées par les traités, la Russie, comme membre de la grande famille des États européens, a des devoirs de bonne relation à remplir envers les autres nations. La situation qui depuis longtemps existe en Pologne est une source de périls non-seulement pour la Russie, mais encore pour la paix générale de l'Europe.

Les troubles qui éclatent perpétuellement parmi les sujets polonais de Sa Majesté Impériale agitent nécessairement l'opinion et d'une manière grave dans les autres pays de l'Europe; ils tendent à exciter une vive inquiétude dans l'esprit de leurs Gouvernements, et pourraient, le cas échéant, enfanter des complications de la nature la plus sérieuse. Le Gouvernement de Sa Majesté espère donc vivement que le Gouvernement russe s'arrangera de telle sorte que la paix puisse être rendue aux Polonais et fondée sur des bases durables. Votre Seigneurie donnera lecture de cette dépêche au prince Gortschakoff, et vous lui en laisserez une copie.

Signé RUSSELL.

N° 10.

Le Comte DE RECHBERG

à M. DE THUN, Chargé d'affaires d'Autriche à Saint-Pétersbourg.

Vienne, le 12 avril 1863.

Depuis la défaite et la dispersion des bandes armées les plus importantes par leur nombre et leur organisation, l'insurrection en Pologne peut être considérée comme réduite à des proportions moins sérieuses.

Ce fait, qui dégage le Gouvernement russe de ce qu'il devait jusqu'ici à des considérations de dignité et d'honneur militaire, nous permet d'appeler aujourd'hui son attention sur l'influence fâcheuse que les troubles de la Pologne exercent sur nos propres provinces.

En effet, il est impossible que la Galicie ne se ressente pas d'événements aussi déplorables que ceux qui viennent de se passer dans le voisinage immédiat de ses frontières. De graves embarras sont ainsi suscités au Gouvernement impérial, qui doit donc attacher un prix tout particulier à en voir prévenir le retour.

Le cabinet de Saint-Pétersbourg comprendra sans doute lui-même les dangers des convulsions périodiques qui agitent la Pologne, et il reconnaîtra l'opportunité d'aviser au moyen d'y mettre un terme, en replaçant les provinces polonaises soumises à la Russie dans les conditions d'une paix durable.

On éviterait de la sorte des conséquences fâcheuses pour l'Europe entière et pour les contrées qui souffrent plus directement de conflits qui, comme les derniers que nous venons de voir éclater, ont inévitablement l'effet d'agiter l'opinion d'une manière inquiétante pour les cabinets et capable de faire naître de regrettables complications.

Veuillez, Monsieur le Comte, présenter sous la forme la plus amicale ces observations à M. le vice-chancelier et nous informer de l'accueil qu'elles auront rencontré.

N° 11.

Signé RECHBERG.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

à M. le Duc DE MONTEBELLO, à Saint-Pétersbourg.

Paris, le 16 avril 1863.

Monsieur le Duc, l'amnistie qui vient d'être promulguée par S. M. l'Empereur Alexandre et les promesses dont elle est accompagnée ont fourni à M. le

baron de Budberg l'occasion de revenir avec moi, il y a quelques jours, sur les dispositions de la Cour de Russie envers la Pologne. M. de Budberg a reproduit les explications qu'il m'avait déjà données à ce sujet et sur lesquelles, de mon côté, je vous ai exprimé mon opinion. M. l'ambassadeur de Russie a en même temps amené l'entretien sur la démarche concertée entre la France, l'Angleterre et l'Autriche.

A ce moment, les communications simultanées n'étaient pas encore parvenues à Saint-Pétersbourg. J'ai cru pressentir la pensée de mon interlocuteur, et je lui ai dit que les résolutions annoncées par le Gouvernement russe, tout en méritant assurément l'approbation, ne pouvaient nous empêcher de donner suite aux instructions qui vous étaient adressées. Lorsque nous avons arrêté les termes de notre communication, nous n'ignorions point les intentions que le manifeste du 12 avril a rendues publiques. Le cabinet de Saint-Pétersbourg avait bien voulu nous les faire connaître antérieurement. Ses assurances avaient pour nous toute la valeur d'une certitude. Nous n'en avions pas moins jugé nécessaire de présenter à la Cour de Russie nos observations. L'état des choses n'a pas changé pour le Gouvernement de l'Empereur; et les communications qui nous ont paru opportunes avant cet incident n'ont malheureusement pas cessé de l'être.

Il y a trois mois, les Polonais étaient en possession des institutions que le Gouvernement russe s'engage à leur maintenir. Ainsi qu'aujourd'hui, elles leur étaient représentées comme renfermant les germes de développements futurs. Ces promesses n'ont pas suffi pour prévenir l'insurrection, et l'on s'explique que les Polonais soient peu portés à rattacher des espérances sérieuses à des institutions sous le régime desquelles la mesure du recrutement a pu être adoptée.

M. l'ambassadeur de Russie m'a objecté que notre communication, d'après ce qu'il en savait, ne paraissait pas préciser ce que nous désirons pour la Pologne; que nous nous bornions à invoquer les lois de l'humanité et les intérêts européens; enfin, que les traités de 1815 pouvaient offrir un point de départ pour la discussion, mais que les vues générales dans lesquelles nous nous renfermions n'indiquaient aucune solution déterminée.

J'ai répondu en exposant à M. le baron de Budberg les raisons de diverse nature auxquelles nous avons obéi. Nous avons été guidés par un sentiment de déférence pour le cabinet de Saint-Pétersbourg comme par les convenances de notre propre position. Nous avons pensé que plus notre langage accorderait de latitude à l'initiative de la Russie, mieux il témoignerait de nos égards pour cette Puissance. L'accueil fait à la dépêche du Gouvernement anglais du 2 mars, basée sur les traités de 1815, ne nous encourageait pas à nous placer sur ce terrain. Le cabinet de Londres a pu y revenir dans sa nouvelle communication pour ne pas paraître adhérer par son silence aux fins de nonrecevoir qui lui avaient été opposées; nous n'avions pas les mêmes motifs de nous engager dans cet ordre d'idées.

Nous nous sommes donc abstenus d'invoquer les stipulations de 1815. Mais le cabinet de Saint-Pétersbourg serait-il fondé à nous blâmer aujourd'hui de n'avoir pas imité ce que, dans le commencement du mois dernier, il reprochait au Gouvernement anglais d'avoir fait ?

Ne voulant donc ni rouvrir un débat que la Russie n'avait pas accepté, ni prendre sur nous de lui tracer un plan de conduite explicitement formulė, nous nous sommes bornés à signaler les souffrances invétérées de la Pologne, en constatant l'urgence de mesures propres y mettre définitivement un terme, et à écarter les dangers qui en résultent pour l'Europe.

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M. le baron de Budberg m'a déclaré que la Russie reconnaissait comme nous l'existence du mal. Nous ne pouvons que nous en féliciter sincèrement, Monsieur le Duc, car la reconnaissance du mal est le premier pas vers la recherche du remède; mais c'est surtout à ce but que doivent tendre tous les efforts du cabinet de Saint-Pétersbourg. Les communications des trois Cours ont pour principal objet de l'y convier. Nous voulons espérer que leurs vœux n'auront pas été inutiles et que la Russie puisera ses résolutions dans ces principes immuables de justice et d'équité qui sont aujourd'hui la loi commune des gouvernements.

Signé DROUYN DE Lhuys.

N° 12.

CIRCULAIRE AUX AGENTS DIPLOMATIQUES DE L'EMpereur.

Paris, le 17 avril 1863.

Monsieur,... . . . . . . .les événements de Pologne ont éveillé en Europe des préoccupations communes à tous les Cabinets. Soit en effet que l'on envisage du point de vue de l'humanité ou de celui des intérêts politiques la lutte qui a éclaté, elle devait fixer la sollicitude des Puissances. Ces perturbations, qui se renouvellent périodiquement, attestent la permanence de difficultés que le temps n'a pas aplanies, et démontrent, une fois de plus, les dangers qu'elles renferment.

Également pénétrées de ces considérations, les Cours de France, d'Angleterre et d'Autriche ont ouvert des pourparlers, en vue de faire parvenir de concert au cabinet de Saint-Pétersbourg les réflexions que suggère cet état de choses, et elles sont tombées d'accord pour adresser à leurs représentants auprès de S. M. l'Empereur Alexandre des dépêches qu'ils ont remises simultanément au Gouvernement russe. Je vous envoie copie de notre communication; celles de l'Angleterre et de l'Autriche sont conçues dans le même sens. En rédigeant ce document, notre but a été de nous rendre, autant que pos

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