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Gortschakoff. Depuis ma dépêche du 18 du mois dernier (1), je suis, à diverses reprises, revenu avec vous sur ce sujet, en vous invitant à recommander au Gouvernement russe une politique réparatrice et à le pressentir sur les concessions qu'il serait disposé à faire à l'intérêt général.

Mes entretiens avec M. le baron de Budberg ne donnent malheureusement que bien peu d'espoir d'obtenir de la Russie des concessions de nature à calmer les esprits. L'intention de l'Empereur Alexandre serait, après avoir vaincu l'insurrection, de proclamer une amnistie dont les chefs seuls seraient exclus. Sa Majesté ne retirerait aucune des concessions qu'elle a faites aux Polonais, et elle se proposerait de leur accorder une certaine part dans la direction de leurs intérêts matériels, avantages qui seraient susceptibles d'une extension ultérieure.

Nous devons prendre acte de ces dispositions bienveillantes; mais il y a lieu d'appréhender qu'elles ne soient pas suffisantes pour apaiser les troubles actuels. En effet, lorsque les Polonais se sont soulevés, ils étaient déjà en possession des institutions que l'on promet de leur conserver. Le maintien de ces institutions, avec la perspective même d'une participation plus étendue aux affaires du pays, dans l'ordre des intérêts matériels, est très-loin de répondre aux nécessités présentes, et je ne saurais vous cacher combien nous regretterions que la cour de Russie n'apportât pas un remède plus efficace à un mal aussi profond.

Signé DROUYN DE Lhuys.

P.-S. J'apprends à l'instant que le prince Gortschakoff a répondu à la dépêche de lord Russell du 2 mars. Cette réponse a été verbale. Le cabinet de Saint-Pétersbourg réfute les assertions du principal secrétaire d'État et repousse les conseils qui sont donnés à la Russie au nom du Gouvernement anglais.

No 5.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

à M. le Baron GROS, à Londres.

Paris, le 24 mars 1863.

Monsieur le Baron, j'ai eu hier avec lord Cowley un nouvel entretien au sujet des événements de Pologne. Lorsque M. l'ambassadeur d'Angleterre m'avait parlé du désir du cabinet de Londres de s'entendre avec nous sur ce

(1) Voir le dernier Recueil des documents du ministère des Affaires étrangères.

qu'il pouvait convenir de faire pour remplir les devoirs qui incombent aux Puissances, je m'étais attaché à faire ressortir l'intérêt que nous avons, si nous voulons rendre notre action véritablement efficace, à obtenir le concours de l'Autriche, et je vous ai exposé, en substance, les considérations que j'avais fait valoir. Lord Cowley a reconnu avec moi toute l'importance qu'il y a lieu d'attacher à la participation du cabinet autrichien. Le Gouvernement anglais incline à penser qu'il conviendrait de proposer d'abord à Vienne de simples représentations que les trois Puissances adresseraient au cabinet de Saint Pétersbourg. Je n'a point repoussé l'idée qui m'était suggérée.

Il serait aisé, au surplus, de trouver les éléments d'une communication également acceptable pour les trois Puissances. Les observations qui se présentent d'elles-mêmes, si l'on envisage la question polonaise du point de vue européen, en feraient le sujet. Nous pourrions constater que l'insurrection actuelle vient une fois de plus démontrer la gravité de la situation créée au Royaume de Pologne. Ces convulsions périodiques sont le symptôme d'un mal invétéré et tiennent évidemment à des causes permanentes. Les conséquences en sont d'ailleurs fâcheuses pour l'Europe comme pour les contrées elles-mêmes qui ont à souffrir plus directement de ces conflits. Lorsqu'ils éclatent, ils ont inévitablement pour effet d'agiter partout l'opinion, d'inquiéter les cabinets, de troubler leurs rapports et de faire naître de regrettables complications. En signalant cet état de choses au Gouvernement russe, les trois Cours appelleraient son attention sur l'opportunité d'aviser aux moyens d'y mettre un terme et de replacer la Pologne dans les conditions d'une paix durable.

Telles sont, Monsieur le Baron, les idées principales sur lesquelles devrait porter, à mon sens, la démarche que la France, l'Autriche et la Grande-Bretagne seraient appelées à accomplir de concert. Je les ai indiquées à lord Cowley. Vous remarquerez que je me suis abstenu de rappeler les Traités de 1815, et que je ne propose pas d'insister dans la note que nous ferions parvenir à la Cour de Russie sur un retour à l'exécution des actes du Congrès de Vienne. Le Gouvernement de Sa Majesté Britannique, par sa dépêche du 2 mars, a abordé ce sujet à Saint-Pétersbourg. L'accueil fait à sa communication ne saurait nous laisser de doutes sur les objections qui nous seraient opposées. Le cabinet russe ne manquerait pas de s'en référer à l'argumentation que M. le prince Gortschakoff a développée dans sa réponse à lord Napier. D'autre part, nous connaissons également les dispositions du cabinet de Vienne sur ce point; nous savons qu'il a décliné les ouvertures faites par le Gouvernement anglais aux Puissances signataires des Traités de 1815, et sa position lui rend difficile, en effet, de s'associer à une démarche qui serait expressément motivée sur ces stipulations.

Signé DROUYN De Lhuys.

N° 6.

CIRCULAIRE AUX AGENTS DIPLOMATIQUES DE L'EMPEREUR.

Paris, le 24 mars 1863.

M..... on a beaucoup parlé du voyage que vient de faire le prince de Metternich. M. l'ambassadeur d'Autriche s'est, en effet, rendu à Vienne sur l'appel spontané de son Souverain. Les événements de Pologne, qui intéressent si immédiatement l'Autriche, ont produit en Europe une émotion générale; et l'on comprend que le cabinet de Vienne ait voulu faire connaître plus intimement à son représentant à Paris, en conférant directement avec lui, la pensée qui dirige sa politique, en même temps qu'il pouvait désirer recueillir, de la bouche même de son ambassadeur, les impressions du Gouvernement de l'Empereur. M. le prince de Metternich est de retour, et ses premières paroles répondent à ce que nous pouvions attendre de la sagesse de sa Cour et de ses dispositions amicales. Le Gouvernement autrichien maintient l'attitude qu'il a prise et à laquelle nous avons sincèrement applaudi. Décidé à ne pas dévier de la ligne de conduite qu'il a adoptée et qui distingue cette attitude de celle de la Russie et de la Prusse, sa position particulière à l'égard de la Pologne lui impose cependant une circonspection dont il est certainement du droit d'un gouvernement prévoyant de ne pas se départir, et, sans devancer les événements, il s'en remet à eux du soin de lui inspirer ses résolutions ultérieures.

Signé DROUYN DE LHUYS.

N° 7.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

à M. le Duc DE GRAMONT, à Vienne.

Paris, le 8 avril 1863.

Monsieur le Duc, M. le prince de Metternich m'avait remis le projet de dépêche que le cabinet de Vienne se propose d'adresser au Chargé d'affaires d'Autriche à Saint-Pétersbourg. Vous avez très-justement apprécié les observations que ce document devait nous suggérer. Tout en reproduisant les idées que nous avons indiquées d'une manière générale, il ne répondait pas en

tièrement à notre attente. Nous lui reprochions surtout de paraître destiné à servir simplement de thème à des observations verbales; mais M. le comte de Rechberg ayant reconnu la convenance d'en faire l'objet d'une communication officielle, notre principale objection se trouve écartée.

Je vous envoie la dépêche du Gouvernement de l'Empereur. Je vous prie d'en donner connaissance à M. le comte de Rechberg. Notre intention est de l'adresser à Saint-Pétersbourg par un courrier que j'expédierai le 10 de ce

mois.

Signé DROUYN De Lhuys.

No 8.

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

A M. le Duc DE MONTEBELLO, Ambassadeur de France à Saint-
Pétersbourg.

Paris, le 10 avril 1863.

Monsieur le Duc, l'insurrection dont le Royaume de Pologne est en ce moment le théâtre a éveillé en Europe de vives préoccupations au milieu d'un repos qu'aucun événement prochain ne semblait devoir altérer. La déplorable effusion de sang dont cette lutte est l'occasion et les douloureux incidents qui la signalent excitent en même temps une émotion aussi générale que profonde.

Le Gouvernement de Sa Majesté obéit donc à un devoir en exprimant à la Cour de Russie les réflexions que cet état de choses est de nature à suggérer, et en appelant sa sollicitude sur les inconvénients et les dangers qu'il entraîne.

Ce qui caractérise les agitations de la Pologne, Monsieur le Duc, ce qui en fait la gravité exceptionnelle, c'est qu'elles ne sont pas le résultat d'une crise passagère. Des effets qui se reproduisent presque invariablement à chaque génération ne sauraient être attribués à des causes purement accidentelles. Ces convulsions devenues périodiques sont le symptôme d'un mal invétéré; elles attestent l'impuissance des combinaisons imaginées jusqu'ici pour réconcilier la Pologne avec la situation qui lui a été faite.

D'autre part, ces perturbations trop fréquentes sont, toutes les fois qu'elles éclatent, un sujet d'inquiétudes et d'alarmes. La Pologne, qui occupe sur le continent une position centrale, ne saurait être agitée sans que les divers États placés dans le voisinage de ses frontières souffrent d'un ébranlement dont le contre-coup se fait sentir à l'Europe entière. C'est ce qui est arrivé à toutes les époques où les Polonais ont pris les armes. Ces conflits, comme on peut en juger par celui dont nous sommes en ce moment témoins, n'ont pas

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seulement pour conséquence d'exciter les esprits d'une manière inquiétante ; en se prolongeant ils pourraient troubler les rapports des cabinets et provoquer les plus regrettables complications. Il est d'un intérêt commun à toutes les Puissances de voir définitivement écarter des périls sans cesse renaissants.

Nous aimons à espérer, Monsieur le Duc, que la Cour de Russie accueillera, dans le sentiment qui nous les a dictées, des considérations aussi dignes de son attention. Elle se montrera animée, nous en avons la confiance, des dispositions libérales dont le règne de S. M. l'Empereur Alexandre a déjà donné de si éclatants témoignages; et elle reconnaîtra, dans sa sagesse, l'opportunité d'aviser aux moyens de placer la Pologne dans les conditions d'une paix durable.

Vous voudrez bien remettre une copie de cette dépêche à Son Exc. M. le prince Gortschakoff.

No 9.

Signé DROUYN De Lhuys.

Le Comte RUSSELL

à Lord NAPIER, ambassadeur d'Angleterre à Saint-Pétersbourg.

Foreign Office, 10 avril.

Milord, le Gouvernement de Sa Majesté pense qu'il lui incombe de manifester une fois de plus au Gouvernement de S. M. l'Empereur de Russie l'intérêt profond qu'il prend avec le reste de l'Europe au bien-être de la Pologne. La sympathie généralement ressentie pour la nation polonaise peut donner au Gouvernement de Sa Majesté le droit de faire en faveur de la Pologne un appel aux sentiments bienveillants et généreux de S. M. le Czar, qui récemment a manifesté par diverses mesures importantes de réforme un désir éclairé de provoquer le bien-être parmi toutes les classes de ses sujets. Mais quant au Royaume de Pologne, le Gouvernement de Sa Majesté sent que le Gouvernement de la Grande-Bretagne a un droit tout particulier à faire connaître ses opinions à Sa Majesté Impériale, parce que la Grande-Bretagne ayant en commun avec l'Autriche, la France, le Portugal, la Prusse, l'Espagne et la Suède, été partie au Traité de 1815, le Gouvernement de Sa Majesté est autorisé à intervenir dans tout ce qui lui paraît être une infraction aux stipulations de ce traité.

Pour le premier article, le grand-duché de Varsovie était érigé en Royaume de Pologne pour être irrévocablement attaché à l'Empire de Russie sous cer

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