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dence, que s'expliquer.

la loi ne doit

pas rester muette, mais qu'elle doit

LE CONSUL CAMBACERES dit que le respect pour la qualité de père doit céder cependant à la vérité des choses. On ne peut mettre toujours l'équité du côté des pères et l'injustice du côté des enfans; il existe des pères sordides et injustes. Rien ne serait donc plus bizarre que de donner au père la jouissance des biens de son fils mineur, et de ne pas donner aux filles, à un certain âge, le droit de demander une dot. Au surplus, la disposition peut être conçue de manière à ne pas devenir nuisible.

M. TRONCHET dit que les rédacteurs du projet de Code civil ont trouvé en France deux systèmes établis. Dans les pays de droit écrit, la fille avait une action contre son père pour demander une dot : cette jurisprudence était une modification à l'extrême étendue que le droit écrit donne à la puissance paternelle; et voilà pourquoi la fille n'avait pas la même action contre sa mère. Dans les pays coutumiers, au contraire, on tenait pour maxime que ne dote qui ne veut,

Il fallait choisir entre ces deux systèmes.

Les rédacteurs se sont déterminés par le principe que la loi doit, autant qu'il est possible, ne pas déranger les habitudes des homines; en conséquence, ils ont préféré la règle du droit coutumier, lequel régit la majorité de la France. La preuve qu'ils ne se sont pas trompés à cet égard, c'est que peu de tribunaux ont réclamé contre la disposition. Que l'on compte ces tribunaux, qui sont tous des pays de droit écrit, et l'on sera convaincu que les rédacteurs se sont conformés aux habitudes de la majorité des Français.

Une autre considération encore a déterminé les rédacteurs : ils ont réfléchi que la dureté des pères envers leurs enfans est un cas rare, et, en quelque sorte, une exception à l'ordre naturel des choses; en conséquence, ils ont cru devoir s'arrêter davantage aux inconvéniens plus fréquens que produirait la jurisprudence des pays de droit écrit,

qu'aux inconvéniens rares que peut avoir l'usage des pays coutumiers. Il faut bien se garder d'armer les enfans contre leur père : l'action qu'on propose de leur donner deviendrait un moyen de le gêner, de l'embarrasser, de rompre ses spéculations. Quelquefois il ne voudra pas consentir à un mariage indiscret; et l'on forcera son consentement, en le plaçant dans l'alternative ou de le donner, ou d'exposer aux regards du public le bilan de ses affaires. Au reste, pour corriger les abus rares du refus des pères, on pourrait autoriser la famille à réclamer la dot au nom de la fille.

M. MALEVILLE soutient que la plus grande partie de la France vit sous l'empire du droit romain. Il régissait déjà la moitié de l'ancien territoire; il régit également presque tous les départemens réunis, la Savoie, le comté de Nice, la Belgique, sauf quelques statuts particuliers, et les quatre départemens nouveaux.

Au fond, les mariages sont favorables et préviennent la corruption des mœurs; aussi Domat dit-il : « La fille qui se

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marie doit être dotée par son père, s'il est vivant; car le « devoir du père de pourvoir à la conduite de ses enfans « renferme celui de doter sa fille. » L'obligation de doter n'était pas aussi directement imposée à la mère; elle y était cependant tenue subsidiairement, et lorsque le père était pauvre; ce qui prouve que c'était la faveur des mariages, et non l'objet d'affaiblir l'autorité paternelle, qui avait été le motif de la loi. Que du moins on ne détruise pas formellement la jurisprudence des pays de droit écrit.

M. RÉAL répond que le Code civil ne peut laisser subsister cette opposition des lois; et même, s'il ne détruisait formellement l'usage du pays de droit écrit, il serait possible qu'on tirât de son silence la conséquence que cet usage peut être adopté dans les pays coutumiers.

LE PREMIER CONSUL dit qu'il est avoué que le Code civil ne peut pas se taire sur la question; mais il voudrait qu'on discutât les motifs de la loi Julia. Il est difficile de concevoir

que la puissance paternelle, qui n'est instituée que pour l'intérêt des enfans, put tourner contre eux. D'ailleurs, c'est un principe constant que le père doit des alimens à tous ses enfans. Cette obligation va jusqu'à marier sa fille; car elle ne peut former d'établissement que par le mariage, tandis que les garçons s'établissent de beaucoup d'autres manières. C'est, sans doute, cette différence qui a porté la loi Julia à accorder aux filles une action qu'elle refuse aux garçons.

M. MALEVILLE dit que l'objet de la loi Julia est de favoriser les mariages.

M. TRONCHET Soutient qu'elle avait pour but de temperer la dureté de la puissance paternelle telle qu'elle existait chez les Romains. Il en donne pour preuve que cette loi n'accordait point d'action contre la mère pour l'obliger à fournir une dot.

LE PREMIER CONSUL adopte le terme moyen proposé par M. Tronchet, et qui consiste à faire présenter la réclamation par la famille.

M. MALEVILLE rappelle que la novelle 115 autorise les père et mère à desheriter leur fille, si elle a refusé de se marier, et qu'elle vive dans le libertinage; mais cette novelle ajoute : Si verò usque ad viginti quinque annorum ætatem pervenerit filia, et parentes distulerint eam marito copulare, et forsitan ex hoc contigerit in suum corpus eam peccare, aut sine consensu parentum marito se, libero tamen, conjungere, hoc ad ingratitudinem filiæ noluimus imputari; quia non suá culpá, sed parentum, id commisisse cognoscitur.

M. TRONCHET propose les amendemens suivans :

1°. Qu'un conseil de famille décide s'il y a lieu à l'action; 2o. Qu'il la dirige : il est inconvenant d'autoriser une fille à actionner directement son père.

LE CONSUL CAMBACERES dit qu'on ne peut se dispenser de décider la question, afin de rendre la legislation uniforme ; mais la disposition pourrait être moins absolue que dans le projet. Après avoir dit que le père doit nourrir, entretenir et

élever ses enfans, il suffirait d'ajouter : « Ses obligations peu« vent s'étendre jusqu'à leur procurer un établissement si ses « facultés le permettent, si le conseil de famille le juge né« cessaire et possible, etc. »

M. TRONCHET ajoute un nouvel amendement à ceux qu'il a présentés. Il propose de n'ouvrir l'action que lorsque la fille aura atteint l'âge de vingt-cinq ans.

Les considérations qui portent le père à différer jusque là ne doivent être ni dévoilées ni jugées.

M. CRETET demande s'il y a beaucoup d'exemples qu'on ait fait usage de l'action dans les pays de droit écrit, et surtout qu'elle ait eu une issue heureuse. En effet, cette action ouvre une guerre entre le père et la fille : le père peut donc dissimuler et déguiser sa fortune. L'expérience prouve-t-elle qu'on soit parvenu à surmonter ces difficultés, et à obliger le père à fournir réellement une dot?

de

LE CONSUL CAMBACÉRÈS dit que rarement on a fait usage l'action; mais quand elle a été intentée, et qu'on a reconnu des facultés au père, on a fixé la dot à la moitié de celle qu'il eût donnée volontairement,

M. LACUÉE dit qu'avec les amendemens proposés, la loi ne peut avoir aucun inconvénient; peu de filles seront réduites à actionner leur père; car la crainte seule d'un procès toujours fàcheux déterminera à l'avenir comme il détermine à présent les pères à les marier.

M. PORTALIS examine comment la loi qui ouvre l'action a été établie. Cette action fut inconnue tant que Rome conserva ses mœurs républicaines. Les empereurs entreprirent de les changer; et, dans cette vue, ils tentèrent d'affaiblir la puissance paternelle, qui était étroitement liée aux anciennes mœurs des Romains: la loi n'a pas eu d'autres motifs. Les filles en ont rarement usé; mais quand l'action était présentée, le père ne pouvait se dispenser de fournir son bilan, afin qu'on déterminat dotem congruam; alors aussi on discutait tout à la fois et ses facultés, et les avantages du mariage que

la fille voulait contracter: tout était remis à l'arbitraire du

juge.

En France, la législation s'est partagée : celle des pays de droit écrit a admis l'action en dot; celle des pays coutumiers l'a rejetée. Qu'arrivera-t-il, si, forcé d'uniformiser la législation, on étend aux pays coutumiers la jurisprudence des pays de droit écrit ? Il y aura une commotion qui ne sera pas en faveur des pères, surtout dans le relâchement actuel des mœurs. Les rédacteurs du projet ne pouvant se taire sur la question, se sont déterminés par les considérations suivantes. Ils ont examiné s'il y aurait plus de pères qui abuseraient de la liberté de ne pas doter, qu'il n'y aurait d'enfans qui abuseraient du droit d'exiger une dot. En général, on n'abuse pas d'un droit qui est établi depuis long-temps; une longue habitude en a réglé l'usage et séparé les inconvéniens. Mais on doit craindre l'abus d'un droit nouveau, principalement lorsqu'on l'établit chez une nation dont les habitudes sont formées. Au reste, les pères barbares ne sont pas la masse des pères; il est plus ordinaire qu'ils aiment leurs enfans, qu'il ne l'est qu'ils en soient aimés. Cette différence vient de ce qu'une sorte d'esprit de propriété ajoute encore à l'amour que la nature a placé dans le cœur des pères.

M. MALEVILLE observe que la loi Julia exprime le motif sur lequel elle est fondée : c'est l'intérêt de favoriser les mariages. Montesquieu, qui en a parlé fort au long, ne lui en donne pas d'autres, et on peut s'en rapporter à sa perspicacité.

M. PORTALIS dit qu'à la vérité la loi Julia ne paraît faite que pour diminuer les célibataires et favoriser les mariages; mais ce motif n'est qu'apparent; son motif réel était d'affaiblir la puissance paternelle. Peu importe au surplus l'origine de cette loi; tout se réduit à ceci : il faut choisir entre deux usages opposés. Si celui du droit écrit existait partout, on n'aurait pas à en craindre l'abus; mais il est dangereux de l'introduire, lorsque la puissance paternelle et la sévérité des mœurs sont affaiblies.

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