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vous livrez la pensée nouvelle, l'idée créatrice au public et qu'il s'en empare, soyez certain que l'application ne se fera pas attendre, et que de tous côtés vous verrez apparaître des inventions et des produits similaires; et cela, parce que les lois de la nature sont les mêmes pour tous, et que les principes connus de physique, de chimie et de mécanique, vivifiés par la même idée, amèneront infailliblement des résultats analogues.

De là, l'impossibilité d'assurer à l'inventeur un droit absolu de propriété sur son invention; car, outre qu'il ne sera plus seul maître de son œuvre quand il en aura livré l'idée au public, chacun peut, sans son secours et sans connaître son invention, faire personnellement la même découverte, et arriver à un résultat identique. De là, dès lors, pour les législations qui veulent, tout à la fois, protéger et stimuler l'industrie, la nécessité de n'établir au profit des inventeurs qu'une propriété limitée dans sa durée et ses effets.

Mais il ne faut pas se méprendre sur la portée de ces dissemblances. Au fond, le droit est le même, et, pour nous, il constitue, dans les deux cas, une véritable propriété, la plus personnelle et la plus incontestable de toutes, puisqu'elle porte sur les produits mêmes de l'intelligence.

Sans doute, c'est là une propriété différant essentiellement de celle qui repose sur l'occupation; sans doute, elle sera plus difficile à constater et surtout à défendre, parce que, dans ce public auquel l'auteur ou l'inventeur confie son œuvre, il se trouvera toujours des forbans littéraires ou industriels, cherchant à se parer ou à s'enrichir des dépouilles d'autrui. Mais la difficulté qu'on éprouve à faire respecter son droit n'en altère pas

la nature, et si, par la publication d'une œuvre ou d'une invention, le public acquiert un droit de jouissance imprescriptible, le droit de propriété n'en reste pas moins au créateur. Lors donc que la loi en limite la durée, loin de créer un privilége au profit de l'auteur ou de l'inventeur, pour le temps de propriété exclusive qu'elle lui garantit, c'est, selon nous, une véritable expropriation qu'elle prononce pour tout le temps qu'elle lui enlève.

Seulement, cette dépossession peut être plus ou moins hâtive, plus ou moins complète, selon que le législateur, qui pèse les droits et les intérêts de tous, jugera que la priorité et l'individualité de l'œuvre ou de l'invention sont plus ou moins certaines, ou que l'intérêt général réclame une jouissance commune plus ou moins prompte.

C'est à ce double point de vue que nous comprenons la divergence des législations qui régissent la propriété industrielle et la propriété littéraire ou artistique, et cela suffit pour que nous ayons soin de les traiter séparément dans des chapitres distincts. Mais, en principe, et au point de vue théorique, ce droit est le même et se résume ainsi au public, la jouissance intellectuelle de l'idée émise; à l'auteur ou inventeur, la gloire de la création et les profits matériels de son application.

DE LA

PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE

ARTISTIQUE ET LITTÉRAIRE

PREMIÈRE PARTIE.

LÉGISLATION FRANÇAISE.

CHAPITRE I.

Brevets d'Invention.

PREMIÈRE SECTION.

Historique de la législation.

Sous l'ancienne monarchie, lorsque les inventeurs étaient assez heureux pour trouver de hautes protections, ou qu'ils parvenaient, à force de persévérance et d'argent, à triompher de l'opposition tracassière des maîtrises et de la cupidité de certains agents, ils obtenaient du pouvoir royal des lettres patentes leur concédant le droit exclusif d'exploiter leurs découvertes. - La durée de ces priviléges était déterminée par le titre même de concession. Souvent elle était illimitée.

Un édit du 24 décembre 1762 introduisit quelques dispositions réglementaires dans cette partie de la législation, livrée

jusque-là à l'arbitraire, et fixa notamment le maximum de la durée des priviléges à quinze années, sauf aux privilégiés à obtenir, s'il y avait lieu, une prolongation. Mais cet édit ne suffit pas pour détruire les abus; la plupart des priviléges, fruits du favoritisme ou de la concussion, n'étaient que des entraves à la liberté de l'industrie.

En 1789, l'un des premiers actes de l'Assemblée nationale. fut de décréter l'abolition des priviléges et la suppression des jurandes et maîtrises; mais dès le 30 décembre 1790, elle vota, sur le rapport de M. de Boufflers, une loi qui introduisit en France le système anglais des patentes, et dans laquelle l'Assemblée déclara maintenir ceux des anciens priviléges qui avaient été antérieurement concédés, dans les formes légales, pour de véritables inventions ou découvertes.

Cette loi, qui prit la date du 7 janvier 1791, jour de sa sanction, posa en principe la propriété des inventeurs sur leurs découvertes; mais, en réalité, elle ne leur accorda qu'une jouissance temporaire, dont le maximum de durée fut fixé à quinze années. Complétée par la loi réglementaire du 25 mai 1791, elle a régi la matière des brevet d'invention et d'importation jusqu'en 1844, sauf les quelques modifications de détail qui furent successivement introduites, savoir: -1° par la loi du 20 septembre 1792, qui interdit la délivrance des brevets pour des établissements de finances, et supprima ceux qui avaient été accordés ; 2o par l'arrêté du 8 octobre 1798 qui fixa le mode de publication des procédés brevetés à l'expiration des brevets; 3o par l'arrêté des consuls du 27 septembre 1800, portant que les certificats de brevets d'invention seraient signés par le ministre de l'intérieur; que les brevets seraient promulgués tous les trois mois au Bulletin des Lois, et que chaque expédition porterait la mention de non-garantie du gouvernement; 4o par le décret du 25 novembre 1806, abrogeant la disposition de la loi du 25 mai 1791, qui ne per

mettait pas d'exploiter les brevets par action; -5° par le décret du 25 janvier 1807, portant que les années de jouissance commenceraient à courir du jour de la signature des certificats de brevets par le ministre; mais, qu'en cas de difficultés entre deux brevetés pour le même objet, la priorité daterait du dépôt des pièces à la préfecture; 6o enfin, par le décret du

16 août 1810, permettant de donner aux brevets d'importation la même durée qu'aux brevets d'invention et de perfectionnement.

DEUXIÈME SECTION.

Précis de la législation en vigueur.

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Aujourd'hui, les droits des inventeurs sont régis par la loi du 5 juillet 1844, qui a été promulguée le 8 du même mois et mise en vigueur le 9 octobre suivant. Cette loi, bien que l'on ait évité d'y reproduire le mot de propriété, repose sur les mêmes bases que celle de 1791. C'est un contrat entre l'inventeur qui vend et livre son secret, c'est-à-dire sa propriété, et la société qui l'achète et lui garantit en échange, pendant un certain temps, la jouissance entière et exclusive de sa découverte.

§ 1er. Objets brevetables.- Une invention pour être brevetable doit être nouvelle, industrielle et licite. Sont considérées comme nouvelles : l'invention de nouveaux produits industriels; l'invention de nouveaux moyens ou l'application nouvelle de moyens connus, pour l'obtention d'un résultat ou d'un produit industriel. Ne sont pas susceptibles d'être brevetés, les remèdes et compositions pharmaceutiques, les plans et combinaisons de crédit ou de finance, et généralement tous objets qui seraient contraires aux lois.

§ 2. Brevets. Il y a trois sortes de brevets: 1° le brevet d'invention, qui est délivré à tout Français ou étranger qui le demande, soit pour un objet entièrement nouveau, soit pour un

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