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réciprocité aux sujets des États dont les législations l'assureraient pareillement aux auteurs danois.

En 1832, la Diète germanique adopta une résolution qui eut pour effet d'attribuer, dans tous les États de la Confédération, aux ouvrages publiés dans l'un d'eux, la même protection que celle qui était accordée par chaque législation spéciale aux ouvrages nationaux; mais ce décret, aussi bien que ceux des 9 novembre 1837 et 19 juin 1845, qui sont venus le compléter, notamment en élevant le minimum de la durée des droits d'auteur, restèrent limités, dans leurs effets, aux ouvrages publiés dans les États confédérés. Seulement, chacun des États restait libre d'accorder des droits plus étendus, soit à ses sujets, soit aux étrangers. Aussi, plusieurs d'entre eux inscrivirent-ils dans leurs législations particulières le principe de la réciprocité au profit des auteurs étrangers appartenant à des nations dont les législations leur garantiraient les mêmes droits chez elles.

C'est ainsi, qu'une disposition finale de la loi prussienne du 11 juin 1837, sur la propriété littéraire et artistique, la déclara applicable aux ouvrages publiés dans un État étranger, dans la mesure de la protection accordée par les lois de cet État aux ouvrages publiés en Prusse.-Des dispositions analogues se retrouvent, comme nous le disions, dans les législations de différents États de la Confédération, et, spécialement, dans une loi de la Bavière, du 15 avril 1840, dans une loi du royaume de Saxe, du 22 février 1844, et dans une loi de l'Autriche, du 19 octobre 1846.

Constatons, en outre : 1° que, dès 1833, la Grèce avait écrit une disposition du même genre dans ses codes; 2° qu'en 1838, sur un vote spécial du Parlement, la reine Victoria avait également étendu le bénéfice de la loi anglaise aux ouvrages publiés dans les pays étrangers dont la législation assurerait les mêmes avantages aux auteurs anglais; 3° que la Suède a fait

une offre pareille de réciprocité dans une loi de 1844; 4o que d'autres Etats, parmi lesquels nous signalerons les Pays-Bas, l'Espagne et le Portugal, sans créer des droits positifs au profit des étrangers, ont déclaré, soit dans des traités de commerce, soit dans leurs lois, être prêts à établir la réciprocité par des traités spéciaux, et, néanmoins, la contrefaçon était toujours aussi active. Pourquoi? Parce qu'il ne suffisait pas à un certain nombre d'États, d'interdire chez eux la reproduction et d'éteindre ainsi quelques foyers isolés de contrefaçon ; il fallait, en outre, empêcher l'introduction et la circulation des ouvrages contrefaits, afin d'arriver, en lui fermant tous les débouchés, à ruiner et étouffer la contrefaçon dans les pays même où elle trouverait encore un refuge. Or, ce grand résultat ne pouvait être obtenu que par des conventions diplomatiques.

C'est là le motif qui, à tort, selon nous, a empêché la France de répondre plus tôt à ces offres de réciprocité par voie de dispositions législatives. Sans doute, ces engagements, pris dans des lois qui manquent le plus souvent de sanction, n'ont pas la valeur de conventions qui lient les deux parties et créent un droit positif; on pouvait craindre également de compromettre l'avenir et les résultats des nombreuses négociations entamées, en se hâtant trop tôt de proclamer l'assimilation complète des auteurs étrangers aux auteurs français; mais nous ne voyons pas en quoi l'acceptation de ces offres de réciprocité aurait pu gêner l'intervention de la diplomatie, qui eût toujours conservé l'importante mission de compléter l'œuvre commencée par les législations. - Au reste, dans le projet de loi sur la propriété littéraire et artistique qui fut présenté aux Chambres en 1839 et discuté les années suivantes, le gouvernement français avait proposé un article garantissant les publications faites en pays étranger, à l'égard des Etats qui auraient assuré la même garantie aux ouvrages publiés pour la première fois en France. Mais, outre que cette disposition n'obtint pas l'approbation de

la Chambre des pairs, la loi entière échoua, et elle ne fut plus soumise aux Chambres.

Voyons maintenant quels ont été les résultats obtenus par la diplomatie. Les voici, en laissant en dehors les résolutions de la Diète germanique, ainsi que les conventions particulières intervenues entre plusieurs États de la confédération. Le premier traité qui ait été conclu pour la garantie de la propriété littéraire et artistique d'État à État est celui qui a été signé le 22 mai 1840 entre l'Autriche et la Sardaigne, et auquel ont adhéré depuis les États pontificaux, les duchés de Lucques et de Modène, le canton du Tessin et la Toscane. - Le traité de commerce qui fut conclu le 25 juillet 1840, entre la France et les Pays-Bas (Hollande), proclama en termes exprès la garantie réciproque de la propriété littéraire; mais il laissa à une convention spéciale le soin de déterminer les conditions d'application et d'exécution de ce principe dans les deux royaumes. Ce n'est que le 29 mars 1855 que cette convention a été signée. - Le 28 août 1843 intervint, entre la France et la Sardaigne, un traité spécial, qui a été complété depuis par ceux des 22 avril 1846 et 5 novembre 1850.- Viennent ensuite deux traités conclus entre l'Angleterre et la Prusse, le 13 mai 1846, et l'Angleterre et le Hanovre, le 7 octobre 1847; - enfin, ceux conclus entre la France et vingt États différents, savoir le Portugal, le 12 avril 1851; le Hanovre, le 20 octobre 1851 ; l'Angleterre, le 3 novembre 1851; le duché de Brunswick, le 8 août 1852; la Belgique, le 22 août 1852, avec article additionnel du 27 août 1854; le grand-duché de Hesse-Darmstadt, le 18 septembre 1852; le landgraviat de Hesse-Hombourg, le 18 octobre 1852; la Toscane, le 15 février 1853; la principauté de Reuss (branche aînée), le 24 février 1853; la principauté de Reuss (branche cadette), le 30 mars 1853; le duché de Nassau, le 2 mai 1853; l'électorat de Hesse-Cassel, le 7 mai 1853; le grand-duché de Saxe-Weimar, le 17 mai 1853;

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le grand-duché d'Oldenbourg, le 1er juillet 1855; l'Espagne, le 15 novembre 1853; la principauté de Schwarzbourg-Sondershausen, le 7 décembre 1853; la principauté de SchwarzbourgRudolstadt, le 16 décembre 1853; la principauté de Waldeck et Pyrmont, le 4 février 1854; le grand-duché de Bade, le 3 avril 1854; les Pays-Bas, le 29 mars 1855.

Il résulte de cet aperçu historique, que quatorze États, environ, avaient fait dans leurs législations particulières des offres plus ou moins efficaces de réciprocité, et que la France, qui avait depuis si longtemps entamé des négociations actives avec tous les États de l'Europe, n'avait encore que quatre traités définitifs et exécutoires, lorsque, sur le rapport du garde des sceaux, le Président de la République rendit, à la date du 28 mars 1852, un décret qui, sans imposer aucune condition de réciprocité, assimila complétement les œuvres de littérature et de beaux-arts publiées en pays étranger à celles publiées en France. Aux termes de ce décret, en effet, ce n'est pas seulement la contrefaçon sur le territoire français qui est interdite comme constituant un délit, mais également le débit et l'exportation d'ouvrages étrangers contrefaits, et ces délits sont déclarés passibles des peines portées par les articles 425 et suiv. du Code pénal, contre la reproduction, l'introduction et le débit d'ouvrages français contrefaits. La seule condition imposée aux auteurs qui voudront exercer en France des poursuites, à raison d'ouvrages publiés en pays étranger, c'est d'accomplir les conditions exigées relativement aux ouvrages publiés en France, et notamment de faire le dépôt prescrit par nos lois, c'est-à-dire, de deux exemplaires des ouvrages imprimés sans estampes, de trois pour ceux imprimés avec estampes, de trois également pour la musique avec ou sans paroles, et de quatre pour les gravures, lithographies et photographies. Il nous paraît, d'ailleurs, ressortir des termes généraux de ce décret, qu'il doit profiter aussi bien aux œuvres de

littérature et d'art, publiées avant sa promulgation, qu'à celles dont la publication serait postérieure, et c'est en effet ce qu'a jugé un arrêt de la Cour de Paris, du 8 octobre 1853, qui a décidé en même temps qu'un nouveau tirage fait avec d'anciens clichés constituait une édition nouvelle, et, par cela même, prohibée. Toutefois, comme auparavant la reproduction des œuvres étrangères était licite, le plaignant aurait non-seulement à justifier de ses droits de propriété, mais encore à établir que la contrefaçon est postérieure au décret.

Quoi qu'il en soit, ce décret a une double importance. D'une part, en effet, il était impossible d'adopter en faveur des étrangers une mesure plus large et plus radicale, et le résultat a prouvé qu'elle était aussi opportune que juste et utile; car, loin de nuire, comme on le craignait, aux efforts de la diplomatie, elle a paru lui donner une force nouvelle et håter la conclusion de conventions qui étaient en négociation depuis tant d'années.

D'autre part, il a eu, en outre, pour effet légal, de donner aux Français le droit de réclamer le bénéfice de la réciprocité devant les tribunaux des pays qui l'ont offerte dans leurs législations, mais à la charge par eux, bien entendu, de se conformer à ces législations, et notamment de faire des dépôts réguliers, ainsi que de justifier de la cession d'une ou plusieurs éditions à un éditeur régnicole, dans les pays où ces différentes conditions sont exigées. Dans ceux, au contraire, où le dépôt préalable n'est pas nécessaire et où l'auteur est admis à agir directement, les Français qui auraient à se plaindre d'une contrefaçon devront uniquement justifier de leur droit de propriété, d'abord par le récépissé même ou par un duplicata du certificat de dépôt en France, et en second lieu, s'ils sont héritiers ou cessionnaires, par des pièces authentiques établissant leurs droits et qualités, le tout dûment légalisé par les autorités locales et par les ambassades ou chancelleries du pays

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