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Voici le texte de l'exposé des motifs et du rapport de M. Reveil au Corps législatif :

EXPOSÉ DES MOTIFS.

Messieurs, La loi du 5 juillet 1844, sur les brevets d'invention, dispose dans son article 32 :

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.......

« Sera déchu de tous ses droits: 1°................... ; 2°................... ; 3° le breveté qui aura introduit en France des objets fabriqués en pays étranger et semblables à ceux qui sont garantis par son brevet. Sont exceptés des dispositions du précédent paragraphe les modèles de machines dont le ministre de l'agriculture et du commerce pourra autoriser l'introduction dans le cas prévu par l'article 29. »

L'article 29 est ainsi conçu :

L'auteur d'une invention ou découverte déjà brevetée à l'étranger pourra obtenir un brevet en France; mais la durée de ce brevet ne pourra excéder celle des brevets antérieurement pris à l'étranger.

De la combinaison littérale et rigoureuse de ces articles, l'administration avait tiré cette conséquence, que le ministre de l'agriculture et du commerce ne pouvait relever de la déchéance prononcée par le paragraphe 3, en autorisant l'introduction en France d'objets fabriqués à l'étranger, que dans les cas suivants : 1° lorsque l'objet introduit est un modèle de machine; ou 2o lorsque l'introducteur, déjà breveté à l'étranger, demande à produire ce modèle à l'appui de sa demande d'un brevet en France. — Il résultait de là que l'industriel exploitant, pour la fabrication du même objet, un brevet en France et un à l'étranger, ne pouvait jouir du béné– fice de l'exception mentionnée dans l'article 32; car cette exception était limitée au cas où l'auteur de l'invention faisait coïncider sa demande de brevet en France avec sa demande d'introduction du modèle de la machine brevetée à l'étranger. Toutefois, il est permis de penser que cette interprétation textuelle n'était pas parfaitement conforme à l'esprit de la loi. En effet, pour protéger le travail national, comme il se proposait de le faire, le législateur n'avait pas besoin d'imposer à l'administration des entraves aussi étroites. On pouyait, sans péril sérieux pour les intérêts en présence, admettre que l'introduction d'un objet fabriqué à l'étranger, et dont les similaires sont déjà brevetés en France, n'entraînait pas déchéance des droits acquis au breveté, pourvu que cette introduction, faite par lui, fût autorisée par le ministre de l'agriculture et du commerce, et qu'elle n'eût point un but mercantile. Telle était l'interprétation admise par deux arrêts, l'un de la Cour de Douai, du 11 juillet 1846, l'autre de la Cour de Paris, du 8 juin 1855. Les différentes manières d'entendre l'article 32 indiquaient déjà l'opportunité d'une révision de cet article, lorsqu'une circonstance spéciale est venue donner à cette mesure un caractère d'urgente nécessité. Les années 1856 et 1857 verront s'ouvrir,

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à Paris, un concours universel d'animaux reproducteurs, d'instruments et de produits agricoles. Pour que ce concours justifie les espérances qu'il inspire, il faut que l'accès en soit ouvert, autant que possible, aux machines, aux modèles, aux instruments et aux produits de tous les pays.Or, en présence des incertitudes qui viennent d'être signalées dans l'interprétation de la loi, les industriels qui voudraient introduire en France des objets fabriqués à l'étranger, et dont les similaires ont déjà été brevetés en France, sont arrêtés par la crainte de se voir privés des droits résultant pour eux de leur brevet. Il fallait mettre un terme à ces préoccupations plus ou moins fondées, et c'est un des avantages que réaliserait le projet de loi qui vous est soumis. Il donnerait au ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics le droit d'autoriser l'introduction: 1o des modèles de machines; 2o des objets destinés aux expositions publiques, alors même que ces objets seraient déjà brevetés en France et à l'étranger. Mais ce n'est pas seulement eu vue des expositions qu'il y aurait lieu de modifier l'article 32. On doit prévoir aussi le cas où des essais, de nature à faciliter les progrès de nos industries, pourraient être paralysés par une interprétation trop restrictive de la législation. — Le projet répond à cette préoccupation en accordant au ministre, pour les essais faits avec l'assentiment de l'administration, la même faculté que pour les expositions publiques. Dans ces limites, le projet que nous avons l'honneur de vous soumettre nous a paru devoir apaiser les craintes exprimées par les brevetés, sans toutefois porter la moindre atteinte aux intérêts du travail national, que la loi de 1844 a spécialement voulu protéger. Signé à la minute: Vuillefroy,

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Président de la section des travaux publics, de l'agriculture et du commerce.

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Rapport fait au nom de la Commission 1, par M. Reveil, député au Corps législatif, à la séance du 17 mai 1856.

Messieurs, l'année dernière, au moment où allait s'ouvrir l'Exposition universelle des produits de l'industrie, de l'agriculture et des beaux-arts, le gouvernement soumit à la sanction du Corps législatif une loi qui avait pour objet de protéger les découvertes des hommes utiles de tous les pays. Cette loi remplaçait par un certificat simple et gratuit les formes compliquées et coûteuses exigées pour la prise d'un brevet d'invention; elle stipulait en faveur de tout exposaut inventeur ou propriétaire légal d'un procédé, d'une machine, d'un dessin de fabrique admis à l'Exposition, et non encore déposé ou breveté; elle abritait cet exposant contre l'exception de déchéance que la jurisprudence autorise les contrefacteurs à tirer du

1 Cette Commission était composée de MM. Reveil, président; le baron Lespérut, secrétaire; Seydoux, d'Herlincourt, Quesné, Garnier et Paul Dupont.

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fait même de publicité résultant de l'Exposition. Cette loi ne stipulait pas en faveur des exposants déjà brevetés, parce que le gouvernement les avait considérés comme suffisamment protégés par la loi du 5 juillet 1844, art. 32, dernier paragraphe. - Cet article est ainsi conçu : ·

< Sera déchu de tous ses droits: 1o...... ; 2o...... ; 3o le breveté qui aura introduit en France des objets fabriqués en pays étranger et semblables à ceux qui sont garantis par son brevet. Sont exceptés des dispositions

du précédent paragraphe les modèles de machines dont le ministre de l'agriculture et du commerce pourra autoriser l'introduction dans le cas prévu par l'article 29. »

L'article 29 est ainsi conçu :

<< L'auteur d'une invention ou découverte déjà brevetée à l'étranger pourra obtenir un brevet en France; mais la durée de ce brevet ne pourra excéder celle des brevets antérieurement pris à l'étranger. »

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Cependant des doutes s'élevèrent sur l'étendue du droit que cette exception conférait au ministre ; un arrêt de la Cour de Douai, un autre de la Cour de Paris, un arrêt de la Cour de cassation, ne suffirent pas pour les faire cesser. - Ces doutes se manifestent de nouveau aujourd'hui; et, en présence du concours universel d'animaux reproducteurs, d'instruments d'agriculture et de produits agricoles qui se prépare, le gouvernement veut fixer l'esprit de la loi par une disposition plus précise. C'est là un sentiment de loyale hospitalité qui contribuera à augmenter l'éclat de l'Exposition et ajoutera à son utilité en garantissant, par une protection certaine, la propriété des inventions étrangères qu'il nous importe de connaître, car le génie de l'industrie française ne saurait tout prévoir, tout découvrir, tout inventer. — Dans ce but, le gouvernement propose de modifier ainsi le dernier paragraphe de l'article 52:

« Néanmoins, le ministre de l'agriculture, du commerce et des travaux publics pourra y autoriser l'introduction: 1o des modèles de machines ; 2o des objets fabriqués à l'étranger, destinés à des expositions publiques ou à des essais faits avec l'assentiment du gouvernement. >>

S'il ne se fût agi, dans cette modification, que d'autoriser l'introduction des machines et des objets fabriqués à l'étranger destinés à des expositions publiques, nulle objection ne se fût produite dans la discussion qui a précédé le rapport. Il n'en est pas ainsi : la dernière disposition autorise l'introduction des objets fabriqués à l'étranger, destinés à des essais faits avec l'assentiment du gouvernement. Cette rédaction a appelé des observations; elle a paru trop large: on lui reproche de n'être pas assez indicative quant à la nature et au nombre des objets, quant aux circonstances dans lesquelles l'introduction pourra être autorisée; de ne pas être explicite quant aux personnes autorisées. Sur ce dernier point on ajoute: Le ministre autorisera-t-il l'essai par le breveté seulement, et pour son compte? ou bien le ministre autorisera-t-il l'essai au profit de tiers, en faveur d'un seul manufacturier, ou en faveur de plusieurs? L'autorisation, restreinte

à un seul, serait un privilége qui préjudicierait à tous; l'autorisation accordée à plusieurs ou à tous deviendrait une lésion pour le travail national. L'objection ajoute, nous devons le dire, que ces craintes d'une application étendue jusqu'à l'abus sont détruites, pour l'époque actuelle, par la confiance qu'inspirent et les actes du gouvernement et la déclaration solennelle faite naguère, en son nom, de ses principes en matière de protection du travail national contre une concurrence étrangère envahissante. Mais les lois permanentes doivent non-seulement pourvoir au présent, elles doivent aussi prévoir et les besoins de l'avenir et les inconvénients qui naîtraient d'elles.

On répond à ces observations: Il est vrai que la loi doit prévoir; mais ce principe des législateurs de tous les temps a-t-il fait qu'il existe une loi, même parmi les plus sages, qui ne puisse être exagérée dans l'application et poussée jusqu'à l'abus? Il nous a semblé que nous devons examiner et adopter le bien que propose la loi, saus nous laisser trop dominer par la crainte d'une application imprudente dans l'avenir. D'ailleurs, vous le savez, messieurs, une loi générale s'élabore sur les brevets d'invention; elle sera prochainement soumise à votre discussion; et alors la disposition qui nous occupe, et que, pour cette raison, nous considérons comme temporaire, sera plus utilement appréciée au point de vue de l'harmonie de la loi générale.

Selon nous, le dernier paragraphe de l'article modifié, tout en paraissant généraliser la faculté d'autorisation, n'a pour objet que de l'étendre à l'intervalle des concours, mais toujours exceptionnellement. Et, en effet, pourquoi différer jusqu'à l'exposition de 1857, par exemple, l'introduction d'une machine, d'un modèle, d'une invention quelconque dont la connaissance promptement acquise peut avoir pour résultat heureux de tenir notre industrie et notre agriculture au niveau le plus élevé? — Selon nous encore, l'intention de la loi se manifeste dans cette expression: essai, et le gouvernement, nous en avons reçu l'assurance, comprend cette expression, comme la Commission elle-même, dans le sens le plus restrictif et à la fois le plus protecteur du travail national et de l'agriculture. - Le travail national et l'agriculture! Nous sommes témoins, messieurs, de la constante préoccupation du gouvernement pour les développer. Le prochain concours est une preuve nouvelle de sa sollicitude, et nous ne pouvons trouver, dans la loi qui vous est soumise, que des dispositions dictées par l'application intelligente et féconde des divers moyens qui font la prospérité.

Par ces considérations, votre Commission vous propose, messieurs, l'adoption du projet de loi.

Observations. La modification que cette loi apporte au dernier paragraphe de l'art. 32 de la loi de 1844 ne porte en réalité que sur ses termes, qui ont paru trop restrictifs; car, en

ne s'attachant qu'à son esprit, on doit reconnaître que le ministre avait parfaitement le droit, sans compromettre les intérêts du breveté, d'autoriser l'introduction en France de machines et même de produits étrangers, quoique le texte ne le dit pas expressément, soit pour servir de modèles, soit à titres d'échantillons et pour permettre des essais. Le but de la loi de 1844, en effet, a été uniquement de protéger l'industrie nationale et de ne pas permettre que, sous le couvert d'un brevet pris en France, on introduisit des machines et produits étrangers, faisant une concurrence d'autant plus désastreuse à l'industrie française, que l'étranger breveté eût été libre de réduire, autant qu'il l'eût voulu, sa fabrication en France, tout en jouissant du bénéfice du monopole que lui aurait assuré son brevet français. Mais tous les intérêts sont sauvegardés lorsque les objets introduits ne le sont qu'à titre de modèles et d'échantillons, soit pour guider la fabrication, soit même pour servir à des essais. C'est ce qui a été jugé par deux arrêts: l'un, rendu par la Cour de Douai, le 11 juillet 1846, à l'occasion de produits brevetés introduits d'Angleterre en France, à titre d'échantillons, par un sieur Warlick, qui avait pris un brevet d'importation de quinze années pour la fabrication d'un combustible artificiel; l'autre, rendu par la Cour de Paris, le 8 juin 1855, au sujet d'une machine à coudre, introduite par les sieurs Saulter et Say 1. Or, dans ces deux affaires, l'introduction avait eu lieu sans que l'on eût obtenu ni sollicité l'autorisation du ministre, et néanmoins les Cours de Douai et de Paris ont jugé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la déchéance édictée par l'article 52 de la loi de 1844, parce qu'il était justifié, en fait, que les objets introduits ne l'avaient été qu'à titre d'échantillons et de modèles, et non pour être livrés au commerce.

On comprend qu'il en eût été ainsi, à plus forte raison, si les introductions avaient eu lieu pour des objets déterminés et avec la garantie d'une autorisation ministérielle. Cependant, comme des arrêts ne font pas loi, dès l'instant que des doutes s'élevaient sur les cas où le ministre pouvait autoriser l'introduction, sans compromettre les intérêts des brevetés, mieux valait prévenir les contestations qui auraient pu surgir, en donnant clairement au

1 Nous avons rendu compte de cette affaire et donné le texte de l'arrêt dans notre numéro des Annales de juin 1855, p. 11, art. 2.

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