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Le

Patou

Province de Koantong : les Portugais qui occupoient cette Place fe chargeant d'écarter les Corfaires loin de la côte.

L'Empire étoit alors dans une profonde paix, & le jeune Empereur donnoit chaque jour des marques fenfibles de la bonté de fon efprit, de la droiture de fon cœur, & d'une fermeté dans fes vues toute fingulière à fon âge. On en jugera par les traits fui

vans.

Des quatre Chefs du Confeil de Régent Régence, Patouroukong étoit cerokong lui dont l'autorité l'avoit bientôt eft arre- emporté fur celle des autres. Sans damné avoir à beaucoup près le génie & à mort. les vertus du grand Néchingouang,

té & có

il n'en voulut pas moins marcher fur fes traces en attirant à lui toutes les affaires. Son unique but étoit de remplir fes coffres, & il l'atteignit parfaitement aux dépens du Prince & des fujets: mais il fe fit des ennemis en grand nombre qui n'oublièrent rien pour le perdre.

L'Empereur qui approchoit de fa majorité reçut d'abord quelques requêtes de la part des Cenfeurs de l'Empire, où ce Miniftre Régent étoit fort maltraité. Il les lut avec attention; on le fçut dans le public; & c'en fut affez pour voir multiplier ces fortes de pièces, que le jeune Monarque recevoit toujours. Les crimes de Patouroukong y étoient mis en évidence avec les moyens de l'en convaincre. Kanghi en fut frappé; & le premier exercice qu'il fit de la Royauté étant devenu majeur, ce fut de s'affurer du coupable. Il donna ordre de l'arrêter, fans confulter perfonne ; & tout de fuite il le livra au Tribunal des crimes. Son procès fut bientôt fait. On le condamna lui & fon fils à être hâchés tous vivans; mais le Prince en confirmant la fentence commua le genre de mort: les deux Patouroukong furent fimplement étranglés. On ne fçauroit exprimer les applaudiffemens que cet acte de justice, plus néceffaire à la

Jalou

Aftro

Chine que par-tout ailleurs, fit donner au jeune Empereur. Ce Monarque ne fignala pas moins fon difcernement & fon équité dans l'occafion

que voici. La jaloufie des Lettrés Chinois contre Tanjaouang avoit toujours nomes été extrêmement vive. Mais après Chinois la mort de l'Empereur Tchangti, Tanja- cette paffion devint furieufe dans ouang. l'ame de ces Sçavans. Il n'eft rien

contre

là après tout qui doive beaucoup
nous furprendre à la honte de
l'efprit humain, la jaloufie d'Ecole
eft de tous les pays; & fi elle nuit
au progrès des fciences comme
on n'en peut douter; fi elle intri-
gue même quelquefois des gens
de mérite, du moins eft-elle infini-
ment propre à divertir les vrais
Philofophes.
Tanjaouang
habile, avoit convaincu le feu Em-
pereur des défauts énormes de
l'Aftronomie Chinoife. Avec elle,
difoit-il à ce Prince, on ne peut
dreffer un bon calendrier : l'expérience
de tous les jours le fait fentir; & votre

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Mathématicien

Majefté s'en eft fouvent plainte à ceux qu'elle honore de fa confiance. Qu'un Mandarin cependant chargé de ce foin vienne à fe tromper, le Tribunal des crimes eft en droit de pren→ dre connoiffance de cette erreur; & fi elle eft notable, le Calculateur eft févérement puni. Mais où eft en cela l'équité d'une Compagnie d'ailleurs fi fage & fi digne de nos refpects? He Seigneur, comment pouvoir tirer une ligne droite, en fuivant une régle qui ne l'eft pas? Le Monarque touché de ces raifons profcrivit l'Aftronomie Chinoise, & lui fubftitua celle d'Europe.

La néceffité de ce changement le fit conferver dans le Tribunal des Mathématiques, quelque dépit qu'en euffent les Chinois: on n'ofa pas au moins y toucher directement, quoique la résolution fût prise de revenir peu à peu aux anciens ufages. Mais pour l'Aftronome Tanjaouang, il n'éprouva point à beaucoup près les mêmes égards. Dès la troifiéme année de la Régence il fut caffé de fon em

ploi, & accufé même de plufieurs crimes qui fe réduifoient à ces deux-ci: le premier, d'avoir voulu introduire à la Chine une religion nouvelle & pernicieuse; l'autre, d'avoir formé divers complots pour porter les peuples à la révolte. La preuve en particulier de ce fecond chef d'accufation étoit fondée fur les Affemblées clandeftines des Difciples du Miffionnaire dans des fales ornées à la façon des Européens, & fur les petites piéces de cuivre qu'il diftribuoit à fes complices, comme autant de fignaux de leur engagement à la rébellion. On voit affez qu'il s'agiffoit ici des médailles de piété, dont les Miffionnaires font avec raison un trèsgrand usage.

Pour tous ces prétendus crimes le Mathématicien Européen fut chargé de chaînes, jetté dans un cachot, & condamné enfin à être découpé tout vivant. Les Régens devoient confirmer la fentence & ils l'auroient fait fans difficulté, par une espèce de prodige il ne

fi

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