Page images
PDF
EPUB

que fa perte étoit infaillible, s'il ne tentoit un coup de vigueur. Son projet n'étoit pas feulement de fe tirer de prifon; il vouloit de plus aller lui-même intéreffer le Prince

de Kouei & fes partifans à lui fournir de puiffans fecours, avec lefquels il pût dégager Nanchang, après avoir défait les Tartares. Il fort donc une nuit à la tête de deux cens hommes, les plus braves de fa garnison, & tandis qu'une autre troupe va par fon ordre infulter une des redoutes, il se préfente avec fes gens au bord du foffé, dans un endroit qui lui parut fa

vorable à fon deffein. La réfiftance qu'il y trouva ne fut que médiocre; toute l'attention des Mancheoux s'étant tournée du côté de la fauffe attaque: ainfi Kinchinhoan franchit le foffé.

chin

Cependant le Général Tartare Mort ne tarda pas à être informé que de Kinfa proie lui échappoit. Auffi-tôt hoan & il fait partir plufieurs troupes de prife de cavaliers pour aller battre la chang. campagne de tous côtés, avec pro

Nan

meffe de recompenfer magnifiquement quiconque ameneroit Kinchinhoan prifonnier, ou apporteroit au moins fa tête, fi on ne pouvoit venir à bout de le prendre vif. Un de ces détachemens l'atteignit fur le midi, & le ferra de près au paffage d'une rivière. Le hardi fugitif ne craignit pas de s'y jetter, perfuadé qu'il pourroit faire le trajet à la nage mais affoibli comme il étoit, il lui fut impoffible de vaincre le courant de l'eau, & il fe noya.

Son abfence, & bien plus encore la nouvelle de fa mort que les affiégeans eurent grand foin de rés pandre dans la Ville, achevèrent d'en décourager les défenfeurs. Bientôt les Mancheoux s'en apperçurent, & voulurent en profiter. İls donnèrent un grand affaut, qui les rendit maîtres de la Place; & perfonne n'échappa au maffacre général qu'ils y firent. Cet exemple de terreur produifit l'effet qu'ils avoient en vue; les Villes du Kiangfi fe hâtèrent d'ouvrir leurs

portes aux Tartares, & toute la Province fe foumit à eux.

Lychin

Kant

mort.

Lychintong alors ne vivoit plus. Aven Un genre de mort tout femblable ture de à celui qui venoit de faire périr tong à fen ami Kinchinhoan, l'avoit en- cheou, fevé de ce monde, depuis près & fa d'un mois. Ce Général, après avoir formé une armée d'environ trente mille hommes, s'étoit venu préfenter devant Kantcheou, qui avoit pour Gouverneur un Mandarin Chinois. La fommation qu'il lui fit, étoit non feulement civile, mais conçue en termes également gracieux & touchants. Il y conjuroit cet Officier d'avoir pitié de fa patrie opprimée; de fecouer à fon exemple le joug des cruels Tartares, auffi avides du fang des Chinois que de leurs thréfors ; & de fe joindre inceffamment à lui, pour travailler avec zéle au parfait rétabliffement des Mings.

Mais le Gouverneur de Kantcheou avoit pris fon parti en homme qui veut le foutenir jufqu'au bout. Cependant, comme la grande

armée des Mancheoux n'étoit

pas encore à portée de le fecourir en cas de fiége, il voulut gagner du temps, & ne pas irriter par un refus abfolu un homme du caractère de Lychintong. Il répondit do poliment à fa fommation; lui faifant entrevoir des fentimens femblables aux fiens, une forte d'impatience de reconnoître le Prince de Kouei pour Souverain ; & ne différant, difoit-il, cette démarche que pour la faire plus à propos.

Le Général ravi de joie que fa lettre eût fi bien opéré fur l'efprit du Mandarin, fe retira à une journée ou deux de Kantcheou, pour ne point donner lieu aux Tartares de foupçonner fon intrigue avec le Commandant de la Place. Mais un grand mois s'étant écoulé, fans en recevoir aucunes nouvelles, il fe rapprocha fubitement, & réïtéra fa fommation. L'art d'une réponse étudiée auroit été affez inutile au Gouverneur qu'on preffoit de fe rendre. Il le comprit ; & c'eft ce qui l'engagea à joindre un peu

de perfidie à la diffimulation dont il avoit ufé auparavant. Venez dans trois jours à minuit avec la moitié de vos troupes, écrivit-il à l'impatient Lychintong, la porte de l'ouest vous fera ouverte. Contenez bien votre monde, jufqu'au moment où vous ferez au centre de la Ville. C'eft-là que j'irai me joindre à vous en toute fûreté.

On ne comprend pas comment le Général Chinois, militaire de profeffion dès fa jeuneffe, & qui certainement n'avoit point été regardé jufqu'alors fur le pied d'un homme fimple, ne douta pas un feul inftant de la fincérité du Gouverneur. Le troifiéme jour venu, ce vieux guerrier, tel qu'un jeune préfomptueux qui veut devenir conquérant à quelque prix que ce foit, fe rend à minuit au lieu marqué avec la meilleure partie de fon monde, & il trouve effectivement la porte ouverte. On entre auffi-tôt en grand filence, tirant droit vers le milieu de la Ville : mais la réception qu'on fit à ces

« PreviousContinue »