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La nuit étoit déjà bien avancée quand ils arrivèrent au palais. L'Officier qui commandoit la garde, fe fit d'abord beaucoup de peine d'introduire ces deux hommes à une heure fi indue, & bien plus encore de troubler le repos de l'Empereur. Mais Ma-tfi ayant protesté à plufieurs reprises que le falut de l'Empire, & la vie en particulier de Sa Majesté exigeoient indifpenfablement qu'il fût admis à l'audience de l'Empereur avec fon efclave, l'Officier fe rendit à fes vives inftances, & on fe mit en devoir de faire éveiller le Monarque.

Ce Prince connnoiffoit Ma-thi pour un homme fage, peu difpofé à l'illufion, & abfolument incapable de prendre de vaines frayeurs: ainfi il confentit fans peine qu'on introduifît à l'heure même dans fa chambre le Mandarin Tartare avec l'homme qui l'acompagnoit. Ils entrèrent donc l'un & l'autre ; & Ma-tfi, pour ne pas perdre le temps en redites inutiles, pria Sa

Majefté de vouloir bien entendre d'abord ce que ce jeune homme avoit à lui dire. L'Empereur lui ordonna de parler, l'écouta avec attention, & l'ayant loué de la fidélité qu'il faifoit paroître, il chargea les gens de fa chambre d'en prendre foin.

Pour Ma-tfi, il plut au Monarque de l'arrêter auprès de fa perfonne, afin de convenir avec lui des mefures qu'il y avoit à prendre dans une conjoncture fi critique. On réfolut d'arrêter cette nuit-là même les principaux conjurés, & Ma-tfi eut cette commiffion, avec un plein pouvoir de l'exécuter felon qu'il le jugeroit à propos, fans dépendre en ce point de qui que ce fût.

Ce Mandarin s'en acquitta en habile homme. Les gardes du palais eurent ordre de ne laiffer entrer aucun esclave, même dans la première enceinte; de fouiller exactement ces gens-là, à mefure qu'ils fe préfenteroient à la fuite de leurs Maîtres, en arrêtant ceux

qui fe trouveroient armés d'un poignard. Delà il fe rendit avec une bonne escorte à l'hôtel du fils d'Oufankouei, que l'on faifit avec fes efclaves; & tous les autres de cette profeffion, qu'on put connoître pour être du nombre des conjurés, eurent le même fort. Plufieurs des coupables échappèrent à la recherche qu'on en fit; & néanmoins la multitude de ceux qu'on arrêta durant trois jours, ne laiffa pas de monter bien haut. Les Miniftres étoient d'avis qu'il falloit continuer long-temps cette perquifition, & ne faire grace' à aucun des Confpirateurs; mais l'Empereur n'en jugea pas ainfi. Comme il étoit naturellement bon & porté à la clémence, il fe contenta de faire mourir les principaux conjurés, c'eft-à-dire le jeune Prince de Yunnan, & ceux qu'il avoit d'abord féduits.

Kanghi étoit heureusement forti de ce danger, lorfque fes deux envoyés arrivèrent à Pekin, & lui apprirent en détail les funeftes

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fuites de la révolte d'Oufankouei. Divers courriers vinrent auffi de plufieurs Provinces, pour demander un prompt fecours contre les rebelles, qui fe vantoient tout haut de prendre leur marche vers la Capitale, à deffein d'y exterminer les Mancheoux. L'Empereur répondit exactement aux uns & aux autres: aux Tartares pour les animer toujours davantage à foutenir la gloire de leur nation, & aux Mandarins Chinois, pour les maintenir dans la fidélité qu'ils lui avoient jurée. Il les affuroit en même temps que les fecours dont ils avoient befoin, alloient inceffamment fe mettre en campagne. Belle Pour tenir fes promeffes, ce parole Monarque fut obligé de dégarnir ghi en confidérablement Pekin; ce qu'il dégar- fit contre le fentiment des Cende trou-feurs de l'Empire qui lui préfenpes fa tèrent à ce fujet quelques requêCapitale. tes. Mais, difoit ce fage Prince, par-tout où les maux abondent, la prudence veut qu'on coure au plus preffé. Ce qu'il ajoûta un jour dans

de Kan

niffant

une

une grande affemblée deMandarins, la plûpart Mancheoux, eft bien digne d'un Souverain qui fçait penfer jufte: On fe plaint que j'expofe ma Capitale, en la laiffant pref que fans défenfeurs: on a tort. Nous ́n'avons, nous autres Tartares, qu'à nous bien conduire chacun dans fon état & les nombreux habitans de cette Ville, feront pour nous autant de Mancheoux.

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Des foldats qu'il tira de Pekin, & des autres troupes qu'il réunit en diligence, l'Empereur vint à bout de former deux bonnes ar-. mées qui devoient fe prêter la main, en tenant, tête l'une & l'autre au redoutable Prince de Yunnan. L'ordre qu'il intima bien expreffément aux Généraux, fut de ne rien hazarder; de barrer feulement le chemin de la Capitale à ce rebelle, fans fe piquer de la fauffe gloire de le battre ou de faire fur lui des conquêtes. Cette méthode, que Kanghi jugea indifpenfable pour fe donner le temps de faire en Tartarie de grandes Tome II.

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