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Soumif

les poftes défendus par les habitans: Courage, braves Singhanois, penfez à ce qu'on dira de vous à la Cour, lorfqu'on y fçaura ce qui fe paffe ici; que de toutes les Villes de la Province, il n'y a eu que Singhan qui foit refté fidéle ; & que fes Bourgeois ont écrasé vaillamment cent mille ennemis de notre bon Maître.

Les Soldats Mancheoux, nation folide à bien des égards, loin d'être jaloux & mécontens de l'honneur que ce Mandarin fembloit faire à la feule Bourgeoifie de la défenfe de Singhan, étoient les premiers à lui applaudir. Ils affe&toient `même de dire tout haut que là Place eût été infailliblement perdue, fi les Citoyens avoient eu moins de bravoure ou moins de fidélité pour leur Souverain.

Le fecours approchoit cepenfion du dant; mais tout bien examiné, les Chenfi. affiégeans déjà fi mal traités ne jugèrent pas à propos de le voir arriver. Ils décampèrent avec tant de hâte, qu'il refta bien de leurs bagages autour de la Ville, dont

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les Singhanois & les Mancheoux profiterent également. L'avantgarde de l'armée tartare voyant le fiége lévé, voulut pénétrer plus avant dans le pays: on ne s'avifa pas de troubler fa marche. Point d'ennemi en campagne, point de Ville qui fermât fes portes; tout parut foumis, autant qu'on pouvoit le defirer. Il eft hors de doute que cette conduite toucha efficacément le Général Mancheou, & lui fit tomber les armes des mains. L'amnistie qui vint enfuite portant exclufion de perfonne, acheva de pacifier toute la Province: elle parut plus tranquille après cet orage qu'elle ne l'avoit été auparavant,

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Chanh.

La révolte du Chanfi fut plus Ré difficile à appaifer: auffi devoit- volte du elle fon origine à l'impunité d'un crime énorme, commis par quelques Mancheoux. Lejeune Empereur approchant de fa quatorziéme année, la Régence penfa à le marier, & jetta les yeux fur la fille d'un Prince Mongou, puiffant par

lui-même, & très-accrédité dans fa nation. La politique étoit bonne pour intéreffer toujours plus les Mongoux aux progrès des armes tartares, & à la conquête entière de la Chine. Un des premiers Seigneurs de la Cour (3) fuivi d'un nombreux cortége, partit de Pekin pour aller faire la demande de la Princeffe, & arriva à Tahytong (4) dans le Chanfi, où les jeunes gens de fa fuite firent d'abord beaucoup de défordre. L'excès alla fi loin, qu'ils eurent l'impudence d'enlever la fiancée d'un des plus apparens de la Ville. Action inouïe jufqu'alors parmi les Chinois, de l'aveu des Ecrivains

(3) Le P. Martini dans fa Relation de la guerre des Tartares dit que cet envoyé extraordinaire étoit un des oncles du jeune Empereur. Peutêtre que les Auteurs fur lefquels le P. de Mailla a travaillé en écrivant fa grande Hiftoire, ont omis, exprès cette circonftance, pour fauver

l'honneur de la maifon impériale; & peut être auffi que le P. Martini s'eft trompé.

(4) Tahytong-fou eft une des plus fortes Places de la Chine, dans un des paffages de la grande muraille, au 40 d.'s m.42 f. de latitude, & au 131 d. 4 m. 30 f. de longitude.

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Tartares, qui en font fentir vivement toute la noirceur.

Le Gouverneur de la Ville ne fut pas plutôt informé de l'enlevement de cette jeune perfonne, qu'il courut à l'hôtel de l'Ambaffadeur pour lui porter fes plaintes, & demander raifon de cette infulte. Mais ce Mancheou étoit jeune luimême, étourdi & un peu libertin: il ne fit que rire de l'avanture. Kianfay au contraire ( c'étoit le nom du Gouverneur Chinois) pouvoit être regardé comme un des plus graves Mandarins qu'il y eût dans l'Empire, ferme dans fes réfolutions jufqu'à l'opiniâtreté, & par-là incapable abfolument de payer d'un prétendu bon mot. Il infifta donc avec force fur la punition que méritoient les coupables; & malheureufement on lui répondit toujours fur le même ton; c'est-à-dire en plaifantant beaucoup fur l'embarras du pauvre fiancé. Il n'est point ici queftion, répondit brufquement le Mandarin, ni du fiancé ni de l'embarras

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Ma

où il peut fe trouver: il s'agit de ma Ville qui veut avoir juftice de l'infolence de vos gens. Vous refufez de la lui rendre ; c'est donc à moi de la faire pour vous, & je m'en charge.

Il fort à ces mots : il ordonne aux habitans de s'armer; & s'étant mis à leur tête, il va faire main-baffe fur toute la fuite de l'Ambaffadeur. On épargna fa perfonne, par respect peut-être pour fa qualité; ou, ce qui eft plus vraifemblable, parce qu'il y eut des gens qui le reçurent chez eux, & le dérobèrent fagement à la vengeance de Kianfay. Le Mancheou trouva même le moyen de fortir ce jour-là de la Ville, d'avoir un cheval, & d'aller porter fa honte à Pekin.

Ce petit maffacre n'étoit après nifefte tout qu'un foible prélude des defdeKian- feins vindicatifs du Gouverneur. fay contre les Il diftilla tout le venin de fa haine Man- dans un violent manifefte qu'il publia bientôt, où les Mancheoux étoient repréfentés comme autant de montres, qu'on ne pouvoit

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