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á les remettre de leurs fatigues paffées, Mais ils fe trompoient, & ils eurent bientôt occafion de fe convaincre de leur erreur. La retraite du prétendu Prince de Han & de fes meilleurs foldats dansl'enceinte d'une Place, étoit ce que le Général Mancheou fouhaitoit paffionnément, & ce qu'il attendoit avec une forte d'impatience, pour faire connoître à tout le monde qu'il fçavoit agir efficacement lorsqu'il le falloit. Je tiens notre ennemi, écrivit-il auffi-tôt à l'Empereur, & votre Majesté peut être bien affurée que le pouvoir de cet. homme eft fur fon déclin. Quand des Généraux de ce mérite parlent d'un ton fi affirmatif, on ne s'avife pas de former des doutes. Néchingouang étoit regardé à la Cour comme un Prince intelligent & modefte: on le crut fans héfiter " & il tint parole.

L'armée tartare reçut ordre incontinent de décamper, & fa marche en différentes colomnes fe fit avec tant de promptitude, que dès.

Ouvra

Tahy

le lendemain fur le foir, Tahytong fetrouva investi. Ce Général qu'on avoit taxé de lenteur montra alors une telle activité, que les Tartares, gens fi actifs dans leurs opérations militaires, ne pouvoient fe laffer de l'admirer. Le jour même Grand que l'armée eut pris fes quartiers ge auautour de la Place, plus de vingt tour de mille payfans furent commandés tong. pour venir travailler à un grand ouvrage, où la moitié des troupes fut auffi employée, tandis que l'autre reftoit fous les armes. Cet ouvrage étoit un de ces larges foffés, dont nous avons déjà vu plus d'un exemple, garnis de petits forts, où l'artillerie ne fut pas épargnée. Durant ce travail que l'âpreté & l'inégalité du terrein rendit trèspénible, Néchingouang fut nuit & jour en action, & prefque toujours à cheval. Auffi malgré les difficultés qu'il fallut vaincre, l'ouvrage fut-il achevé en dix jours de temps, quoiqu'il eut quatre-vingt lis, ou huit de nos lieues de circuit. Kianfay fit bien des tentatives

pour l'interrompre : il tua du monde & il en perdit: mais on vint à bout de le repouffer chaque fois. Vainement fe flata-t-il qu'une feule attaque bien dirigée le tireroit heureufement d'intrigue; ce bonheur lui manqua toujours; & il fe vit expofé dans fa Ville aux horreurs de la famine; tandis que l'armée tartare étoit tranquille & pourvue abondamment de tout dans le camp. Au bout d'un mois cette tranquillité fut interrompue à la pointe du jour par l'effort extraordinaire qu'on vit faire à Kiansay, en homme qui fe livre au defefpoir; & qui joue, comme on dit, de fon refte. Il fortit brufquement de Tahytong à la tête de fes troupes, & donna avec violence fur le retranchement. La fureur qui le transportoit lui & fes foldats, leur fit faire des prodiges de valeur pendant deux grandes heures de combat: auffi gagnèrent-ils le foffé, après y avoir perdu les deux tiers de leurs gens. Kianfay fe croyoit vainqueur & au moment de devenir libre, lors

qu'il apperçut un gros de cavalerie qui s'avançoit de la gauche pour le couper. Il voulut faire ferme avec un bon nombre de fes Chinois qui fe rallioient autour de lui, ne doutant pas qu'au moyen de leurs longues piques ils ne vinffent à bout de rompre l'Efcadron Mancheou, qui n'avoit que l'arc & le fabre: mais cet homme intrépide n'en eut pas le temps. Une fléche qui l'atteignit, le renverfa fay eft tué, & mort. Sa chute ôta le coeur aux leChanautres rebelles: ils fe mirent en fife foudevoir de fuir; on courut à eux, on les enveloppa, & en un inftant tout fut fabré.

La Ville de Tahytong n'avoit pas affurément du temps à perdre pour éviter fa ruine, en implorant la clémence du Prince Régent. On vit bientôt fes habitans en habits de deuil fortir en foule hors des murs, & répétant fans ceffe le nom de Néchingouang. Ce nom les garantit de la première fureur des Tartares qu'ils rencontrèrent, & leur valut encore la liberté & la

Kian

met.

vie. Le Régent fe contenta de mettre leurs maisons au pillage qui dura trois jours entiers.

Ainfi finit la plus dangereufe guerre que les Mancheoux euffent eu jufqu'alors à foutenir à la Chine. Fruit malheureux de l'impudence d'un petit nombre de libertins, ou plutôt de la mauvaise plaifanterie d'un Courtifan étourdi: il fit fentir aux Tartares qu'il eft des crimes fi contraires au droit des gens, qu'on les voit échapper rarement à la punition qu'ils méritent. On ne peut douter même qu'une pareille leçon ne devînt utile à ces vainqueurs, en rendant leurs jeunes guerriers plus réservés, & les Cominandans plus attentifs à prévenir les defordres. Combien cette réserve & cette attention ferventelles en quelque pays que ce foit à abbréger l'ouvrage des Conquérans !

Celui des Mancheoux alloit toujours en s'avançant ; mais fa perfection ne laiffoit pas de paroître encore bien éloignée. Des quinze

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