jour même de leur arrivée ; mais ces pauvres folitaires en firent les frais vingt-cinq mille & plus furent égorgés aux pieds de l'idole.

Prodigue envers fes foldats, & familier à l'excès avec le moindre d'entr'eux, Chanhienchong exigeoit des uns & des autres, qu'ils paruffent toujours dans la gaieté. Un figne de trifteffe, le nuage le plus léger étoit mis au nombre des plus grands crimes que le Tyran ne pardonnoit jamais. Auffi en coûta-t-il la vie à plufieurs pour avoir péché en ce point, c'est-à-dire pour s'être préfentés devant lui avec un air fombre. Il s'autorifoit dans cette pratique bifarre, par le prétexte de couper racine aux confpirations & aux révoltes : les feuls efprits mélancoliques étant capables felon lui, de former & de bien conduire un complot. Précaution exceffive, & même extravagante dans fon excès, elle ne laissa pas d'être utile à ce brigand, en lui attachant bien des fcélérats.

Cependant il éprouva cette an

née (1650) que l'attachement qu'on a pour un Tyran n'eft pas à beaucoup près auffi folide qu'il lui plaît de le fuppofer. Informé que les Tartares fe raffembloient peuà-peu dans le Chenfi, il s'attendit à les avoir bientôt fur les bras, & il voulut les prévenir. Il fit donc un gros détachement qui devoit aller occuper Hanchong, (7) Place forte par fa fituation, que les Mancheoux ne pouvoient éviter en prenant la route du Séchuen. Mais le Commandant & les foldats de cette troupe ne fe virent pas plutôt loin de l'armée, qu'ils prirent la réfolution de fe donner aux Tartares; & ce fut pour eux en effet que le détachement s'empara de Hanchong.

Cette nouvelle portée à Chanhienchong le rendit furieux : il y trouva une occafion de fatisfaire

(7) Hanchong-fou eft une des plus im: portantes Places du Chenfi, près des limites du Séchuen, au centre d'une longue

chaîne de montagnes & de forêts, fur la rivière de Han. Sa latitude eft de 32 d. 56 m. 1of. & fa longitude de 125 d. om, 25 f

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fa cruauté, & il la faifit. Ces déferteurs étoient pour la plupart de Chingtou, (8) Capitale du Séchuen: c'en fut affez pour décharger fa colère fur les habitans de cette Ville. Il les fit fortir pas différentes troupes, hommes, femmes, enfans, fous prétexte de les transférer ailleurs ; & chaque troupe ayant été conduite en un lieu étroit, à quelque diftance de la Ville, on les y égorgea toutes fuc-. ceffivement durant plufieurs jours. Les Historiens affurent que le nombre des malheureux qui périrent à cette cruelle boucherie, monta à plus de fix cens mille:

Le refte de la Province eut bientôt fon tour. La cavalerie de Chanhienchong fe répandit comme un torrent dans les divers quartiers du Séchuen, mettant tout à feu &

(8) Quoique le commerce de Chingtou foit floriffant, cette Ville n'a pu cependant recouvrer encore fon ancienne fplendeur; du moins voit-on bien des

veftiges de l'affreux état, où la réduisit Chanhienchong. Elle eft au 30 d. 40 m. 41 f. de latitude, & au 121 d. 58 m. 30 f. de longitude.

à fang, coupant les arbres, rompant les digues, & faifant de ce pays un vafte défert. La plupart des habitans de la campagne eut à la vérité le temps de fe fauver dans l'épaiffeur des bois, ou dans d'autres lieux de difficile accès; mais la mifére & la faim en firent périr plus de la moitié.

Le motif du Tyran dans ces barbares exécutions, ou du moins celui qu'il fit le plus valoir auprès de fes foldats, pour les rendre dociles à fes ordres, fut que l'armée tartare, fçachant la Province en cet état, n'auroit plus envie d'y entrer; qu'ils y confumeroient tranquillement leurs grands amas de vivres, pour paffer enfuite dans des Provinces plus fertiles, pénétrer dans le Petcheli, & s'emparer à leur tour de Pekin. La fafcination étoit fi forte parmi fes troupes, qu'elles le crurent fans beaucoup de peine, & qu'on s'empreffa de lui obéir.

Il en coûta un peu plus à cette armée de brigands, pour fe prêter

à l'horrible facrifice que Chanhienchong exigea d'eux, après le facagement de la Province. Officiers & foldats, tous étoient riches & en ménage. La plupart même avoient quantité d'efclaves dufexe, que leur jeuneffe avoit fait épargner dans le maffacre de tant de Villes & de Villages. Le Tyran fe perfuada avec raifon qu'un pareil train ne convenoit du tout point à des guerriers, qui fe propofoient de grands deffeins, & qui alloient fe mettre en voie de les exécuter glorieufement. Mais la manière dont il s'y prit pour délivrer fon armée de cet attirail embarraffant, eft bien digne d'un monftre tel que lui.

Il fit entendre aux troupes que ce tas de femmes ne pouvoit que leur être funefte en amoliffant leur .courage, en retardant leur marche, en gênant leurs opérations; & fa conclufion fut qu'il falloit fe défaire au plutôt de ces ennemis domeftiques, fur la parole qu'il leur donnoit de les dédomma