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ger abondamment de ce facrifice quand ils feroient au bout de leur carrière. Moi qui fuis votre Roi, ajoûta-t-il, je vais vous donner l'exemple. Outre les quatre Reines de qui j'attends un Prince héritier ; j'ai de plus trois cens efclaves. Mon deffein eft de conferver huit de ces captives, pour le fervice de mes Reines, & d'immoler aujourd'hui à vos yeux toutes les autres. Que chacun de vous fe falfe une gloire de m'imiter. Souvenez-vous que je fuis votre pere, autant & plus encore que votre Maître. Je vois plus loin qu'aucun de vous, & je ne cherche après tout qu'à vous rendre heureux. Il immola effectivement ce même jour fes deux cens quatre-vingt-douze efclaves, & tous les feldats traînèrent les leurs dans une vafte prairie, où ils les maffacrèrent fans pitié, au nombre de quatre cens

mille.

Cette barbare exécution une fois faite, Chanhienchong jugea à propos de tirer infenfiblement fon armée du Séchuen, & de la

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mettre au moins en mouvement pour lui ôter de devant les yeux l'affreufe image de la prairie enfanglantée. Il lui fit donc prendre inceffamment la route de Hanchong. Quelques-uns de fes gens, fur qui il comptoit le plus, eurent ordre de s'introduire fucceffivement dans cette Place, en fe donnant pour déferteurs ; & à chaque occafion importante, un de ces efpions devoit s'enfuir adroitement de la Ville pour venir apprendre au Tyran ce qui s'y paffoit.

Arrivé qu'il fut à Chunking, (9) il fçut par cette voie que les Tartares étoient encore à Singhan; Ice qui lui fit juger qu'en fe preffant un peu, il pourroit investir

Hanchong avant leur arrivée. Il hâta fa marche, & ufa de tant de diligence, qu'il fe trouva à quatre

(9) Chunking-fou eft une des plus confidérables Villes du Séchuen, environnée de collines d'une grande fertilité, où

l'on fait beaucoup de foie. Sa fituation eft au 30 d. 49 m. 12 f. de latitude, & au 123 d. 55 m. 30 f. de longitude,

lieuës de cette Ville, fix jours après fon départ de Chunking. Un autre efpion vint l'avertir alors qu'un gros détachement de Manchcoux étoit à la vérité entré dans Hanchong; mais qu'on n'y attendoit pas de long-temps le refte de leur grande armée. Sur cet avis Chanhienchong crut pouvoir s'arrêter quelques jours; pour laiffer repofer fes troupes: ce délai ne pouvant lui être préjudiciable, par la raifon que les chofes feroient à peu-près dans le même état, lorf qu'il voudroit reprendre fa marche.

Malheureufement pour lui, l'Of ficier qui commandoit le détachement ennemi qui venoit tout récemment d'entrer dans Hanchong, étoit un de ces Mancheoux infatigables, nés pour conquérir la Chine. (10) Dès qu'il fut arrivé

(10) Le P. Martini nous donne encore ce Commandant pour un des oncles du jeune Empereur; & il en fait un grand éloge, en blâmant néanmoins, comme il eft

évident qu'on doit le faire, la manière étrange dont il finit fes jours. Suivant le narré de ce célébre Miffionaire, le Prin- . ce dont il s'agit après avoir termine

pes

dans la Ville, il joignit aux troudu détachement tartare le corps de Chinois qui avoit abandonné le Tyran, & tout ce qu'il trouva parmi les Bourgeois de gens difpofés à le fuivre. Un jour qu'on s'y attendoit le moins, il fait fortir tout ce monde, qu'il place fur les hauteurs du chemin que l'armée ennemie devoit prendre en voulant -s'approcher de Hanchong. Son deffein étoit feulement de retarder la marche du Tyran, de lui difputer le terrein pied à pied, en attendant le gros de l'armée tartare. Mais le fuccès de cette journée fut bien fupérieur à celui qu'il se propofoit.

cette guerre, revint à la Cour, où il fut af fez mal reçu. On lui reprocha d'avoir laif fé dépérir fes troupes, & fur cela il s'emporta violemment; jufqu'à jetter fon bonnet par terre, ce qui eft parmi les Mancheoux un trait de mutinerie des plus indécens. Auffi le Régent voulut-il que le coupa

ble fût puni. On le condamna à une efpèce de prison, telle que les Empereurs Mings l'employoient à l'égard des Princes qu'ils vouloient châtier. Mais le fier Mancheou, outré de dépit qu'on commençât par lui à ramener cet ancien ufage, fe donna la mort › en s'étranglant.

C'est un ufage parmi les Mancheoux, que le Général eft toujours précédé lorsqu'il marche en campagne, d'un petit nombre d'archers à cheval. Celui-ci en avoit fix. Il voulut s'avancer avec eux, pour reconnoître la pofition du camp ennemi, en prenant la précaution de fe faire accompagner par le Capitaine des déferteurs de Chanhienchong. Les gardes avancées apperçurent cette petite troupe de fort loin ; & la croyant beaucoup plus nombreufe qu'elle n'étoit, un cavalier fe détacha auffitôt pour aller avertir le Tyran que les Tartares approchoient. Cela ne peut pas être, repart-il incontinent: mes efpions font fidéles; & le dernier qui eft venu de Hanchong, m'a protefté qu'il n'y avoit dans cette Ville qu'un détachement de Mancheoux, qui tremble de peur approche.

à mon

D'autres cavaliers également trompés à la vue des tourbillons de pouffière qu'ils découvroient. fur les hauteurs, vinrent confirmer

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