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chaînes, & on en chargea le Mandarin déclamateur, après l'avoir dépouillé à demi.

Le Viceroi Thomas furpris qu'on l'épargne lui-même en maltraitant fi fort fon ami, représente doucement au Prince » qu'un hom»me équitable qui veut punir » s'attache bien plus aux faits, qu'à » de fimples paroles dites en l'air » & fans réfléxion; qu'ayant été » plus élevé à la Cour du Prince » de Kouei, & ayant fait incom>parablement plus de mal aux »Tartares que Chantonchang, il » méritoit à plus jufte titre les chaî»nes dont on l'accabloit. » Cette remontrance fit une vive impreffion fur Kongionté : fon efprit fe calma tout à coup, & il fit ôter les chaînes au Mandarin, à qui on rendit fes habits & fon bonnet. Prenant même un air gracieux à l'égard des deux prifonniers, il les invita à s'affeoir auprès de lui pour entendre un long difcours qu'il leur fit fur l'état préfent de la Chine; laquelle, difoit-il, ne pourroit

jamais être pacifiée, qu'autant qu'on fe foumettroit aux Tartares. Comme il vit que fes paroles ne produifoient rien, il fe borna à obtenir au moins des deux Man-, darins qu'ils vouluffent couper leurs cheveux à la façon des Hochanhs, s'ils ne pouvoient fe réfoudre à fe rafer l'un & l'autre à la Mancheou. Thomas fourit à cette propofition, & il y repartit en ces termes. Quoi, Prince de Tingnanouang, vous l'ennemi héréditaire de l'idolátrie, (12) vous nous confeillez férieufement à mon ami & à moi de prendre les livrées de l'idole Fo! y pensez-vous de bonne foi ?

Kongionté rougit en entendant ce reproche; & fe levant de fon fiégé, les larmes aux yeux, il leur dit: Je fens bien que je m'égare: prenez-vous-en au defir que j'ai de vous fauver. C'est le feul objet qui

(12) Cette qualité fi glorieufe d'ennemi héréditaire de l'idolâtrie étoit attachée à la qualité de defcen

dant de Confucius, Philofophe zélé pour l'unité d'un Dieu fou verainement parfait.

m'occupe; mais je ne le vois que trop, mon bonheur n'ira pas jufques-là. Le Viceroi & fon ami eurent encore quelques jours pour fe déterminer à la foumiffion volontaire qu'on exigeoit d'eux. Ce terme expiré, fans qu'ils paruffent ébranlés l'un ou l'autre dans la ferme réfolution qu'ils avoient prife de refter fidéles au Prince de Kouei; Kongionté fuivit malgré lui la pratique ordinaire des Tartares, de punir par la perte de leur vie ceux qui refufoient de reconnoître l'Empereur Mancheou pour Souverain. Au refte les Ecrivains Chinois fans faire aucune mention du chriftianisme du Viceroi, qu'ils ignoroient peut-être, ou qu'ils regardoient comme un point affez indifférent, affurent néanmoins que le Tien montra d'une manière trèsfenfible combien cette mort lui déplaifoit. (13)

(13) Fut-elle bien innocente cette mort de la part du brave Thomas? Pourquoi s'opiniâtra-t-il à ref

ter dans une Place qu'il ne pouvoit défendre, & où fon attachement au Prince Ming ne pouvoit

Siége

La perte de Koueilin avoit été & prife précédée d'une autre, également cheou. funefte au parti du Prince de Kouei: c'étoit celle de Koancheou, Capitale de la Province de Koantong. Deux des nouveaux Princes. Feudataires l'avoient investie au commencement de cette année (1651.) Mais outre qu'elle avoit manquer de lui coû. ter la vie? La raifon qu'il en a apporté luimême est très-fenfée; il craignoit de donner par fa retraite un exemple de lâcheté plus pernicieux que jamais dans la conjoncture préfente. D'ailleurs le Viceroi étoit reconnu pour chrétien dans Kouei. lin au moins, & dans le Koangfi: les peuples ne pouvant ignorer long-temps le vrai chriftianifme de ceux qui les commandent, Or ce caractère de chrétien dans une ame fimple & bien difpofée, fourniffoit au Mandarin Thomas un nouveau motif de braver la mort. On faifoit entendre aux Chinois, ce qui

eft exactement vrai, que la Religion chrétienne est toute mâle, toute magnanimedans fa morale; le bon Viceroi le fentoit vivement; il crut donc que pour foutenir cette idée, il devoit regarder la mort avec mépris : non pas en fe la donnant lui-même comme font les lâches Chinois, mais en l'attendant de pied ferme, & en l'affrontant en héros. Plus les Grands & les Guerriers fur-tout font élevés au deffus des autres, & plus auffi doivent-ils donner de grands exemples de fermeté; plus l'Evangile attend-il d'eux de grands facrifices..

une garnison très-nombreuse, le Viceroi Thomas avoit engagé le Corfaire Chinchikong à aller avec toute fa flote au fecours de cette grande Ville. Il s'y étoit rendu effectivement; & comme il ne s'épargnoit pas, quand il s'agiffoit de nuire aux Tartares, ceux-ci perdirent d'abord bien du monde. Cependant il leur arrivoit tous les jours de nouveaux renforts, dont ils profitoient pour pouffer le fiége avec vigueur. C'étoit à pure perte, dit un Hiftorien de ce tempslà. Le port n'étant point fermé, Chinchikong y faifoit entrer librement tout autant de fecours & de munitions qu'il en falloit pour laffer la patience des affiégeans. Sept mois s'étoient déjà écoulés, & les Mancheoux en étoient à peu-près, comme aux premiers jours du fiége.

Enfin une trahifon vint encore ici les tirer d'intrigue: elles étoient alors, ainfi qu'on l'a déjà observé, plus à la mode que jamais dans le parti du Monarque Ming. Quel

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