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CHAPITRE XX.

DE L'INNAVIGABILITÉ A L'ÉGARD DU CORPS ET DE SON EFFET SUR LES MARCHANDIses.

Sommaire.

209. Dispositions de la loi sur l'innavigabilité;

210. De l'innavigabilité sous l'ordonnance de 1681 et sous le Code de commerce;

211. Le délaissement pour cause d'innavigabilité n'est pas toujours recevable; de l'innavigabilité absolue ou relative; clause particulière des polices de Paris; distinction nécessaire entre l'innavigabilité absolue et relative; obligations, de la part du capitaine, d'éviter l'innavigabilité relative;

212. L'innavigabilité doit être établie légalement;

213. Personnes qui ont qualité pour constater l'innavigabilité; 214. La constatation de l'innavigabilité dépend des circonstances de temps et de lieu;

215. Procès-verbaux de visite; vétusté du navire; l'assuré est-il obligé, pour tous les voyages, de rapporter un certificat de visite du navire?

216. Délaissement des marchandises ne pouvant être chargées sur un autre navire;

217. Risques à la charge des assureurs dans le cas de chargement nouveau.

209. Les articles 369 et 390 du Code de commerce ont consacré la faculté du délaissement pour le cas d'innavigabilité (1).

(1) « Si le navire a été déclaré innavigable, l'assuré sur le chargement est tenu d'en faire la notification dans le délai de trois jours de la réception de la nouvelle. » (C. de comm., art. 390.)

<< Le capitaine est tenu, dans ce cas, de faire toutes diligences pour se procurer un autre navire à l'effet de transporter les marchandises au lieu de leur destination. » (C. de comm., art. 391.)

« Si, dans les délais prescrits par l'article 387, le capitaine n'a pu

210. Sous l'ordonnance de 1684, l'innavigabilité n'était pas une cause de délaissement; mais par la déclaration du 17 août 1779, il fut décidé que l'innavigabilité pouvait donner lieu au délaissement.

La Cour de Bordeaux (5 avril 1832, D. P., 39-2-241) a décidé cependant que, vu l'ordonnance de 1681 et sous le Code de commerce, l'innavigabilité était une cause de délaissement (1).

211. Le délaissement pour innavigabilité n'est pas permis lorsque le navire peut être réparé et mis en état de continuer sa route au lieu de sa destination. L'assuré peut alors seulement exercer un recours contre les assureurs pour frais et avaries occasionnés par le sinistre (Code de comm., 389).

On distingue deux espèces d'innavigabilité, celle qui est absolue et l'innavigabilité relative.

L'innavigabilité absolue est celle qui rend le navire innavigable sans réparation possible. Mais un tribunal peut décider qu'il n'y a pas eu échouement avec bris entraînant l'innavigabilité absolue, encore bien que le commissaire de la marine ait fait vendre le navire comme échoué avec bris (2). (Vide infrà, no 213.)

Il y a innavigabilité relative lorsqu'il faudrait plus de

trouver de navire pour recharger les marchandises et les conduire au lieu de leur destination, l'assuré peut en faire le délaissement. » (C. de comm., art. 394.)

(1) Bordeaux, 5 avril 1832, D. P., 39-2-241).

(2) Cass., 3 août 1821, S. V., 22-1-121.

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temps pour réparer un navire que pour en construire un neuf (1), encore bien que le navire ait pu être ramené au port de départ. (Vide infrà, p. 347-351.)

L'innavigabilité relative, de même que l'innavigabilité absolue, suffit pour autoriser le délaissement. L'appréciation de ces deux cas appartient aux tribunaux; mais la jurisprudence s'est montrée incertaine quelquefois sur la distinction à faire. Voici des espèces avec leurs nuances de fait :

Le délaissement pour innavigabilité absolue peut être fait, bien que le navire qui a échoué ait pu encore être ramené au port de retour, si les experts déclarent que, par suite de l'échouement et des efforts de traction employés pour le relever, le navire est désormais irréparable. (C. de comm., art. 389.) (2).

Il faut entendre par échouement, le bris considérable qui détraque le navire dans sa marche, ou qui l'endommage gravement dans ses parties essentielles, et non un bris quelconque (3).

Au contraire l'échouement du navire, porteur des facultés assurées, et son abandon par l'équipage, ne suffisent

(1) Cass., 5 juilles 1848; Lehir, 1852, 161; Douai, 7 avril 1842; Revue des Assurances, 1-58; trib. de comm. de Marseille, 4 décembre 1820; Journal de Marseille, 2-1-10; Cass., 14 juin 1832, S. V., 32-1-757; id., 5 juillet 1848; Lehir, 1852, 30; Bordeaux, 24 février 1853; Lemir, 1853, 530; voy. le Droit, 29 octobre 1853.

(2) Bordeaux, 24 février 1853, arrêt déja cité; voy. aussi Douai, 7 avril 1842; Revue des Assurances, 2-189; Cass., 5 juillet, 1848; Gazette des Tribunaux, 6 juillet 1848.

(3) Aix, 1o avril 1852.

pas pour autoriser le délaissement; ces faits n'étant pas l'équivalent d'un abandon en mer qui rend le navire épave.

Si encore le navire, quoique échoué, n'a éprouvé ni bris ni naufrage; s'il a été, avec son chargement, relevé et sauvé après le sinistre, et que d'ailleurs la perte n'ait pas été des trois quarts des objets assurés, il n'y a pas lieu au délaissement, mais seulement à l'action d'avarie (1).

Suivant les termes de la police de Paris (art. 12), l'innavigabilité absolue donne seule ouverture au délaissement. Ainsi, lorsque l'innavigabilité ne sera que relative, l'assuré devra régler en avarie. Cette condition des polices a une grande importance au point de vue des franchises dont jouit l'assureur lorsqu'il règle en avarie. M. Lemonnier (t. II, no 272 bis) s'exprime ainsi, après avoir constaté les dispositions de la loi :

«A toutes ces règles notre police n'apporte qu'une seule, mais importante dérogation: elle exclut formellement, par le second alinéa de son article 12 (2), l'innavigabilité relative du nombre des cas de délaissement du corps. Toutes les fois donc que l'innavigabilité ne sera point absolue, toutes les fois qu'elle résultera du manque d'ouvriers, ou du défaut de matériaux et d'argent, l'action en délaissement sera fermée à l'assuré, et l'action en avarie lui demeurera seule ouverte.

(1) Aix, 6 juillet 1852.

(2) C'est aujourd'hui le troisième et le quatrième alinéa combinés.

« La raison de cette disposition est facile à trouver. L'action en délaissement est d'ordinaire beaucoup plus avantageuse à l'assuré que l'action d'avarie. Les assureurs se sont donc appliqués à trouver les moyens d'empêcher que, sous prétexte d'innavigabilité, l'assuré pût mettre à leur charge un navire dont il eût été bien aise de se défaire avantageusement.

« Or, les preuves de l'innavigabilité absolue devant porter, à la fois, et sur le mauvais état matériel du navire, et sur la fortune de mer qui l'aurait ainsi rendu incapable de réparations, il est assez facile de les soumettre à un contrôle efficace, et fort malaisé de se les procurer par complaisance ou par collusion. >>

Lorsque les juges n'appliquent donc pas cette clause de la police, innavigabilité absolue, ils étendent les risques acceptés par l'assureur, et dès lors la convention qui liait les parties n'est plus respectée.

Il est assez difficile quelquefois de reconnaitre quand l'innavigabilité relative est, dans la réalité, une innavigabilité absolue.

Cependant les juges ont un guide certain pour prononcer une décision équitable qui concilie les intérêts de l'assuré aussi bien que ceux de l'assureur.

Si l'assuré peut, par un moyen quelconque, profiter du navire, le remettre, en un mot, en état, l'assureur doit être admis à régler en avarie. Ce n'est point parce que, dans ce cas, il jouira d'une franchise, faible compensation de la perte, qu'il mérite intérêt; mais bien plutôt parce que le plus souvent le délaissement est une ruine pour l'assu

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