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perdu à ce jeu leur indépendance. Les déprédiations d'Ismaël ont puissamment contribué par exemple à l'occupation de l'Egypte.

Ne nous occupons pas davantage de ces peu scrupuleux Etats, habiles à violer traités d'arbitrage, contrats et engagements de toute sorte. Leur existence est précaire. Ils sont susceptibles de payer de leur vie une conduite sans probité.

Il en va tout autrement pour les Etats, dignes de ce nom. Nous ne soupçonnons pas comment l’arbitrage saurait atteindre leur vitalité. Il peut évidemment leur causer un préjudice sensible, comme à tout plaideur qui perd son procès. L'affaire de l'Alabama a coûté à l'Angleterre un peu d'amour-propre, valeur non cotée à la bourse de Londres, et quelques sacs de livres sterling. Le différend à propos des Guyanes nous a dépouillé d'un territoire contesté, en régularisant notre frontière hollandaise. La sentence sur les pêcheries de Behring a procuré à l'Angleterre, une grosse indemnité et aux Etats-Unis le monopole de la pêche des phoques dans une zone territoriale de trois milles.

Et nous avons soin de citer les très grosses affaires, qui ont fait couler des flots d'encre et des torrents d'éloquence. Il n'est personne qui ne sache les accents émus avec lesquels un avocat américain attendrit l'auditoire sur les phoques durant sept audiences consécutives.

Avec les litiges du Phare, de Ben Tillett, et bien d'autres, nous tomberions dans le domaine du très petit. Nous préférons nous en tenir là et poser notre conclusion immédiate à savoir que ces réserves sur les intérêts vitaux et l'indépendance ne pourront jemais être invoquées de bonne foi, et que, si elles n'existaient pas, les Etats sauraient néanmoins le cas échéant se soustraire à leurs engagements, en dénonçant ces derniers ou en se retranchant sur le terrain des contestations politiques.

Mais les atteintes à l'indépendance peuvent être d'ordre différent. Nous avons envisagé jusqu'ici l'hypothèse de l'intégrité territoriale; mais il existe divers procédés qui la diminuent, sans toutefois qu'il y ait à proprement parler amputation d'une province.

Par exemple des Etats créanciers, impuissants à obtenir satisfaction de l'Etat débiteur, se saisissent du produit des douanes. C'est là un coup porté à l'indépendance. Nous citerons également la saisie de lignes de chemins de fer, ou de câbles sous-marins. Enfin il ne faut pas oublier la défense de fortifier, ou d'entretenir des effectifs sur tout ou partie du territoire national.

L'occupation temporaire d'une région par des troupes; la mainmise sur l'activité économique d'un pays, constituent évidemment des vexations qui blessent le caractère d'indépendance.

Nous comprenons bien qu'un jugement arbitral puisse déterminer de semblables mesures. Ainsi l'Etat qui succombe est condamné au paiement d'une amende; et, à titre de garantie, un prélèvement est ordonné sur les revenus de ses douanes.

S'il y a dans ce cas lésion de l'Etat, rien ne nous paraît plus légitime; car rien n'est plus conforme aux solutions impérieuses de la justice. A quel titre cet Etat, atteint dans son indépendance, prétendraitil se dérober à la sentence qui le frappe?

Lorsqu'un Etat confie un litige à l'examen et à la sentence arbitrale, il ne saurait prévoir à l'avance quelle sera cette sentence. Pourtant elle est susceptible de heurter son indépendance. Les scrupules d'un gouvernement timoré, ou peut-être, au contraire, de mauvaise foi, envisageront cette possibilité, pour se soustraire à l'arbitrage.

En sorte que cette réserve permet en définitive toujours à l'un des litigants de se refuser à l'arbitrage malgré le traité. Bien plus, n'aurait-il pas le moyen d'assurer que le fait même de confier au jugement des arbitres une affaire, sur la solution de laquelle il reste incertain, est incompatible avec son droit d'indépendance?

Mais enfin, sans pousser si loin l'hypothèse, il n'est que trop vrai que, la solution arbitrale, inconnue à l'avance, pouvant frapper l'indépendance, un Etat aura toujours la possibilité, sans apparence mal

honnête, de décliner l'arbitrage malgré le traité qui le lie.

C'est pourquoi personne n'aurait la puissance de démentir notre assertion que par le jeu de ces réserves les Etats sont capables, s'ils le veulent, de conserver leur liberté, et que nos traités ne constituent, à vrai dire, qu'un trompe-l'œil. La cause de la paix est aussi précaire avec eux que sans eux. C'est ce qui va apparaître également avec la réserve de l'honneur, qui va solliciter maintenant notre attention.

CHAPITRE III

L'honneur.

Les litiges qui mettent en cause l'honneur des Etats échappent d'après nos traités à la solution arbitrale. C'est là une réserve ridicule. Nous sommes ici sur le terrain du droit, et voici qu'on y introduit des formules échappant par leur caractère à toute compréhension juridique.

L'honneur est un mot bien sonore qui bourdonne à l'oreille, mais que signifie-t-il exactement ? Le dictionnaire de Littré le prend dans vingt sens différents. La définition la plus technique qu'il en donne est : le sentiment qui fait que l'on veut conserver la considération de soi-même et des autres.

Cela est parfaitement juste, mais cette considération qu'il s'agit de garder dépend de causes variables selon les âges, le milieu et les habitudes. Rien de plus changeant, objectivement, ni de plus élastique.

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